Anne-Marie Voisard, La Presse
«Il faut savoir d'où l'on vient si on veut savoir qui on est», dit Lyonel Trouillot, dont le magnifique petit roman La belle amour humaine est toujours dans la course au Goncourt. L'auteur mène sa vie de professeur et écrivain engagé à Port-au-Prince, où il est né, mais c'est à Paris que nous l'avons rencontré, dans les bureaux de son éditeur Actes Sud, au coeur du Quartier latin.
Cigarettes, café et cellulaire à portée de main, l'homme est fébrile. Et sollicité de partout. Mais il prend le temps d'écouter. «Quel usage faut-il faire de sa présence au monde?» À cette question que pose Anaïse, l'un des personnages du roman, plus importante selon lui que celle des origines, il répond que la réponse se refait au jour le jour. Impossible de régler ça une fois pour toutes.
Anaïse, que l'on imagine vivre quelque part aux États-Unis, retourne vers le pays qu'a quitté son père, certainement Haïti, même s'il n'est pas nommé. Sept heures de route séparent l'aéroport de la capitale d'Anse-à-Fôleur, le village du bord de mer où elle a grandi. Durant le trajet, Thomas, chauffeur de taxi et guide touristique, issu du même patelin que sa jeune passagère, lui parle. Des vivants et des morts. De la part de mystère qui subsiste 20 ans après l'incendie qui a détruit deux villas jumelles. L'une d'elles était habitée par le grand-père d'Anaïse, homme d'affaires «spécialiste du chantage». L'autre logeait un colonel à la retraite non moins détestable. Entre eux, «rien, mis à part la cruauté, ne pouvait justifier l'amitié».
Un peuple heureux
Ce roman a été écrit après le tremblement de terre de janvier 2010. «Je ne voulais pas cette logique de la catastrophe», dit Lyonel Trouillot, qui s'est appliqué, au contraire, à présenter Haïti comme «une terre habitable» et les Haïtiens «un peuple heureux». C'est par choix d'ailleurs qu'il s'est lui-même fixé à Port-au-Prince, après avoir passé toute son adolescence à New York avec mère, tante, soeurs, frère. De son propre aveu, il appartient à une famille particulière, celle qui, dans l'histoire d'Haïti, a écrit le plus de livres. «On est tous nés dans une bibliothèque», blague-t-il.
Dans son cas, ce fut le 31 décembre 1956. Père avocat, bâtonnier de son ordre, professeur à la faculté de droit et, pour ces raisons, «bien vu du gouvernement», de qui le fils tient sa passion des mots et des livres. Mère infirmière, qui a fondé sa propre école et dont le centre culturel de Delmas porte le nom, Anne-Marie Morisset. «Elle nous a enseigné le devoir de donner», dit Lyonel Trouillot qui a décidé, à 19 ans, de revenir au pays natal pour mieux contribuer à renverser la dictature de Duvalier.
Le jour, à l'université, il étudiait le droit, la meilleure couverture, à son avis, pour ses activités militantes. «J'étais dans la norme de l'establishment.» La nuit, «nous lisions tout ce qui nous tombait sous la main», si bien qu'à 20 ans, déjà, il enseignait la littérature. En même temps, il écrivait et n'a pas tardé à publier, tant en français qu'en créole.
Cette deuxième langue représente une richesse, tout comme le vaudou qui appartient à la culture populaire. Ils méritent d'être protégés, ce que l'école, souvent faute de moyens, néglige de faire. La parole des écrivains, tels Lyonel Trouillot ou Dany Laferrière, et tous ceux qui les ont précédés, dont Jacques Stephen Alexis, compense. C'est à ce dernier que l'auteur a emprunté le titre de son roman, La belle amour humaine. Une histoire qu'il a su rendre à terme en l'espace de seulement trois mois. Sauf qu'avant de s'y mettre, «il faut, dit-il, que j'aie vu le livre, qu'il soit vivant dans mes yeux, dans mes oreilles».
Enjeux humains et sociaux
Rien d'étonnant donc à ce que la poésie s'incorpore au texte. C'est même «le seul langage» que reconnaît l'auteur. Pour ce qui est du roman lui-même, il fait dire à l'oncle de Thomas, peintre et vieux sage, qu'il est «la plus vulgaire de toutes les formes littéraires, puisqu'il raconte toujours quelque chose de banal, le mélange de petites vertus et de petits travers qui font l'individu». À cela, Lyonel Trouillot réplique qu'il ne s'est jamais ennuyé en lisant Cent ans de solitude (Gabriel Garcia Marquez) ou Les raisins de la colère (John Steinbeck). L'intérêt vient de la présence d'enjeux humains et sociaux.
Or, ce n'est pas ce qui manque au discours que tient Thomas dans son taxi le long des routes cahoteuses. À propos de l'aide internationale, par exemple, il observe que «les belles étrangères, les pas belles aussi, c'est un peu comme ces agences de l'humanitaire ou la Croix-Rouge [...] Il leur faut des victimes, des cobayes ou des subalternes». Pas tendre pour les touristes: «Au pied d'un monument, ils le regardent quand même de haut.» Les phrases à citer abondent. Celle-ci, pour décrire le centre ville: «Le bruit, c'est comme la pauvreté, on n'en a jamais fait le tour.» Cette autre encore, terrifiante: «Quand on a perdu tout le reste, reste plus que du temps à perdre.»
Lyonel Trouillot n'aime pas les écrivains naïfs. Aussi ses attentes face au nouveau gouvernement de Michel Martelly restent minces. «Le drame d'Haïti, dit-il, est celui d'une société fondée sur l'inégalité à tous les niveaux.» La belle amour humaine, cet admirable roman, montre bien toute l'importance de la voix des artistes en ce pays.
La belle amour humaine
Lyonel Trouillot
Actes Sud/Leméac, 176 pages
http://www.cyberpresse.ca/arts/201110/22/01-4459889-trouver-sa-place.php
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
lundi 24 octobre 2011
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