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jeudi 23 décembre 2010

« L’adoption internationale n’est pas une solution d’urgence »

Pierre Lévy-Soussan, spécialiste de l’adoption, est sceptique sur l’adaptation des enfants haïtiens en France. Par Sidonie Sigrist
Le second avion affrété par le Quai d’Orsay part aujourd'hui de Roissy à destination de Port-au-Prince pour ramener une centaine d’autres enfants haïtiens, adoptés par des familles françaises. Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre et auteur de Destins de l'adoption (1), s’inquiète des suites, pour ces enfants, de cette procédure accélérée.
Figaro.fr/Madame : Que pensez-vous du processus d’adoption mené en Haïti par le Ministère des Affaires étrangères ?
Pierre Lévy-Soussan : Sur le plan éthique de l’adoption internationale, c’est un scandale. L’adoption internationale n’est pas une solution d’urgence, elle ne doit pas répondre à une logique humanitaire. Il s’agit de construire une famille, non pas de sauver des enfants.
Haïti est par terre sur le plan administratif. D’autre part, le pays n’est pas signataire de la convention de la Haye sur l’adoption internationale. Dans ce contexte, tout processus accéléré est préjudiciable pour l’enfant. Comment voulez-vous garantir qu’un enfant est adoptable ? Qu’il n’est pas issu d’un trafic ? C’est difficile à entendre mais il n’y a aucune urgence. L’adoption est un processus qui prend du temps. L’enfant doit d’abord assimiler l’abandon. Puis, il s’agit pour lui d’envisager l’investissement dans une nouvelle famille. C’est une construction. Si on court-circuite ce processus, on court-circuite la construction de la filiation. Dans certains pays, les parents adoptants doivent rester trois mois sur place. Si on coupe les racines de l’enfant trop rapidement, elles saigneront toute sa vie.

Ces enfants sont-ils sujet à un double traumatisme, l’abandon et le séisme ?
Effectivement, mais l’accélération du processus et le choc thermique et culturel à l’arrivée sont aussi traumatisants. Les enjeux sont ici beaucoup plus complexes. Or, aucune mesure d’accompagnement spécifique n’a été prévue. D’autre part, les futurs parents adoptants ne sont pas forcément bien préparés. Et puis, encore une fois, l’accélération du processus est préjudiciable. On a pu observer des débordements à risque, où certains enfants avaient subi des maltraitances graves.

Lorsqu’on adopte un enfant, doit-on entretenir le lien avec son pays d’origine ou, à l’inverse, couper court ?
Les parents ne doivent pas se sentir vulnérables par rapport à ce passé. Ils ne doivent pas tomber dans le piège des origines. Il s’agit de mêler leur désir d’enfant avec l’histoire de celui-ci, sans tomber dans l’idéalisation de la culture - manger du riz tous les jours par exemple - ni dans son rejet. Les parents doivent respecter ce passé. Leur défi est d’expliquer pourquoi tout le monde ne veut pas être parent, trouver les mots pour expliquer à leur enfant la filiation défaite par l’abandon. Il s’agit ensuite d’accompagner la construction d’une nouvelle filiation via l’adoption. L’enfant doit assimiler ce lien et se situer entre sa propre histoire et celle de sa nouvelle famille.
(1) Éd. Fayard
http://madame.lefigaro.fr/societe/ladoption-internationale-nest-pas-solution-durgence-221210-121158

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