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lundi 24 mai 2010

LE GRAND LIVRE DU 12 JANVIER...EMMELIE PROPHETE

Ici, presque personne n'ose dire " tremblement de terre ". Comme si ne pas prononcer ces mots, n'évoquer le séisme qu'avec des euphémismes mettait du baume sur les douleurs ou ferait – pourquoi pas ? – fondre ces tonnes de décombres qui jonchent les rues et encombrent les têtes. La mémoire est tenace, prise entre ce présent coupé en deux, cette pause forcée entre la vie et la mort. Repenser. Refaire. Décaler. Les chantiers sont énormes. Tout est prioritaire.

Ces grands villages de tentes, ces femmes à la démarche lente et désespérée, ces enfants à béquilles qui ne pourront plus courir après le ballon ou le papillon attendent ce rêve qui devra être plus grand que leur souffrance, l'ouverture d'une porte sur un monde où les maisons résistent à la pluie, un monde dans lequel on lit et rêve, un monde où l'on vit en harmonie avec les éléments. En harmonie les uns avec les autres, peut-être… Apporter le livre avec la conviction qu'il peut réconforter, changer la vie, faciliter l'intégration. Le pari ne sera gagné que si nous arrivons à nous adapter à la nouvelle réalité. Au nouveau pays. Tout commencer ou recommencer avec un livre : le grand livre du 12 janvier.
Conserver et transmettre la mémoire de l'avant-12 janvier, contribuer à éviter qu'une catastrophe du même type ne nous trouve dans cette impréparation quasi totale en matière d'information sur les séismes alors que nous avions eu des séismes dans le passé et que la probabilité élevée d'un tremblement de terre était connue.
Un grand livre. Le grand livre du 12 janvier. Un ouvrage de compilation à plusieurs dimensions qui constituera une référence en matière d'information sur le tremblement de terre qui nous a frappés. Un livre qui vise à maintenir vivante la mémoire de cette tragédie. Un ouvrage à caractère informatif, didactique, préventif, esthétique et patrimonial.
Le grand livre du 12 janvier, pour prévenir les générations futures de l'ampleur d'un séisme et les aider à s'y préparer. Un monument imprimé qui témoigne du passage de cette grande catastrophe, rende hommage à la mémoire des victimes, serve de passerelle entre l'avant et l'après-12 janvier ; rende compte de ce que nous avions été et de ce que, désormais, nous refusons d'être… Nous le lisons déjà avec les enfants, les tout jeunes, les adolescents. Nous le lisons dans les baraques qui servent désormais de salles de classe, à proximité des campements pour donner un coup de pouce à la vie, au temps, pour que la transition se fasse entre cet avant et cet après condamné à être meilleur. Les mêmes solidarités sont là. Les solidarités qui portent. Les solidarités sincères, celles de l'intérieur. Cette solidarité qui a sorti des centaines de corps sous les décombres, loin des caméras, loin de la folie voyeuriste.
Chaque témoignage sur ces trente-cinq secondes qui ont changé notre vie est consigné. Nous les appelons les archives marginales du 12 janvier. Il y a autant d'histoires que de cadavres. Nous ne refusons rien de cet héritage. Tout est nôtre. Tout doit être partagé. Ce ne sera pas un livre. Ce sera un exercice utile pour refuser l'oubli et aborder l'après avec sérénité.
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Emmelie Prophète est poète. Elle vit à Port-au-Prince où elle est responsable de la Direction nationale du livre. Dernier récit paru : Le Testament des solitudes (Ed. Mémoire d'encrier, 2007).

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