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mercredi 18 juin 2008

Le dimanche noir de Barikad Crew

Jerry Payas, membre du groupe qui nous informe au milieu d'une foule de fanatiques, ne peut nous donner de précision sur les corps qui ont été retrouvés carbonisés. Les artistes rap très connus du Barikad Crew : K-Tafal ( Sénatus Jean Wilker), Déjavoo ( Junior Badjo), Dad (Jonny Emmanuel), Guy Charles, le chauffeur et Djo, le batteur, sont retrouvés carbonisés, leur voiture écrabouillée au fond d'un canal sur la route de l'aéroport...
Dimanche 15 juin 2008, l'avenue Nicolas était remplie de jeunes. Ce n'était ni pour le démarrage d'une bande carnavalesque, ni pour quelque festival de quartier qu'ils étaient venus en si grand nombre, au tronçon compris entre l'avenue Magloire Ambroise et la rue Monseigneur Guilloux. C'était pour manifester leur douleur.


Ils se sont réveillés avec une mauvaise nouvelle.Il était environ 2h du matin quand, revenus d'un spectacle à Olympia Night Club, la voiture a bord de laquelle se trouvaient cinq membres de Barikad Crew eut un violent accident sur la route de l'aéroport, nous précise notre informateur.

Les artistes très connus : K-Tafal, Déjavoo, Dad, le chauffeur Guy Charles sont retrouvés carbonisés au fond d'un canal.

Certains parlent d'électrocution produite à la suite d'un câble de haute tension qui serait tombé sur la voiture.

D'autres signalent que le véhicule aurait pris feu à cause de la violence du choc. Des pneus à l'intérieur du canal auraient attisé le feu. On souligne aussi que les musiciens rap se pressaient pour aller participer à la fête d'anniversaire de Radio Caraïbes.

Formé en 2002, le groupe s'est fait remarquer par la jeunesse de Port-au-Prince en quête de modernité et de rythme nouveau. Barikad Crew n'a jamais fait de voyage à l'extérieur, mais il planifiait pour l'année 2008 une tournée en terre étrangère. « Malheureusement, cet accident vient enterrer nos rêves, » laisse tomber avec regret Jerry Payas.

Les chanteurs du groupe victimes de l'accident habitaient tous à la rue Nicolas. « C'était notre quartier général et tout le monde est en deuil des deux côtés de la rue », nous dit une dame. « Le groupe animait le quartier et on nous respectait », dit un jeune homme en larmes. « J'ai vu les cadavres, c'est épouvantable », continue-t-il.
Accourus à l'Hôpital général où les corps ont été transportés à la morgue, nous trouvons une foule de jeunes qui voulaient coûte que coûte voir les cadavres.
Aux journalistes, un membre de la direction répond qu'il faut une autorisation de l'administration de l'hôpital. La police a dû intervenir à la morgue pour faire partir la foule.
LE PHENOMENE RAP
Barikad Crew fait partie d'une longue lignée de groupes rap qui ont mobilisé les jeunes de Port-au-Prince durant leurs prestations. Original, Masters, King Posse, King of the king, Black Leaders, Metal Ice, Brothers Posse... sont parmi les rappeurs les plus connus.
La rue Nicolas était bloquée à toute circulation automobile, ce dimanche. On chantait des airs de Barikad Crew et les plus « branchés » faisaient le geste signalétique du groupe : les deux pouces croisés. Le créole militant, le style vestimentaire, la démarche rappelant l'attitude contestataire des noirs des ghettos de Brooklyn caractérisaient les proches amis des victimes, ceux qui se trouvaient au premier rang pour « chauffer » l'assistance lors des spectacles du groupe.

De maison en maison, des jeunes rentraient ou sortaient. En bois style début XXe siècle ou en ciment de l'époque contemporaine, ces résidences modestes ouvraient leurs barrières pour permettre aux fanatiques de s'exprimer librement. Les murs de la rue Nicolas sont décorés du signe du groupe: un croisement des deux pouces. Le quartier général de Barikad Crew est en deuil.

La rue Nicolas fait partie du bloc du Bas-peu-de-chose qui a donné naissance à des groupes musicaux comme Scupa-Schupa (mini- jazz), Lobodia (groupe à pied) qui animaient les samedis soirs et les dimanches des jeunes des années 70.

Le phénomène rap a pris naissance dans les ghettos noirs de Brooklyn ou de Mississipi, au début des années 80. Le style s'imposait très vite aussi bien sur le plan musical que dans les attitudes des rappeurs contestant tout ce qui est « socialement et culturellement correct ». Les gestes, nous informe-t-on, sont l'expression du poids des chaînes portées par les noirs à l'époque de l'esclavage. Les paroles se dégagent de la mélodie pour être des messages plus directs non plus dépendants des rythmes.

Le rap n'a pas tardé à constituer des richesses dans le marché du showbiz et de la production de CD. Le rap s'est répandu un peu partout dans le monde, chacun y mettant un zeste national. En Haïti, le rap kreyòl connaît un grand succès. Le « Rap Forum » ouvrait régulièrement des débats à l'avenue Magloire Ambroise mêlant philosophie, musique et politique.

Après la musique racine, le rap est le plus grand attrait musical des jeunes. Il est contesté dans certaines radios de la capitale. On mentionne la violence qui domine dans le milieu, les affrontements entre les « mouchoirs noirs » et les « mouchoirs rouges ». Barikad Crew était parmi les derniers.

Le compas a connu son disk-jokey avec Ricot Jean-Baptiste. Le rap a son pionnier radiophonique en Master Dji ( Georges Lys Hérard) dans les années de succès de Tropic FM. Il est mort, au milieu d'une grande réputation populaire, en 1992.

Barikad Crew faisait aussi du rap une manière de conscientisation sociale. Sa musique « Pa koupe bwa » est devenue célèbre au moment où la problématique de l'écologie est posée pour chaque Haïtien comme une menace.
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=58708&PubDate=2008-06-16

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