Google

mardi 9 octobre 2007

La belle messe de l'art




Une tentative de méthode donnerait sommairement une idée globale au niveau de la récurrence des sujets : l'obsession du poisson, la persistance de l'arbre, la référence au soleil, les particularités anthropomorphiques de l'éternel féminin s'opposent, par leurs symboles, à des thèmes plus séculiers : le rituel rara, le travail paysan, l'habitat rural, les fruits de table et les masques de carnaval. Toutefois, c'est une approche réductive qui ne donne pas toute la dimension de cette fête de l'Art qui, selon Martine Blanchard, l'initiatrice de l'événement avec M. Max Chauvet, directeur de Le Nouvelliste, « malgré vents et marées est un grand succès. »
Entre Joseph Lubernier qui a affirmé « être très fier d'exposer, par exemple, son tambour miroir » et Berthony Seize qui travaillait à son stand un superbe buste du peintre Dieudonné Cédor, il y a mille et une beautés allant de la rutilance des drapeaux rituels pailletés à la provocation du goût face à un cocktail de fruits de Micheline Hector.
On déambule d'un stand à l'autre pour découvrir une réussite sculpturale sur une pierre de rivière, l'élégance minimaliste du découpage d'un métal et l'anthropomorphisme baroque de Sanon François. Entre les assiettes décorées d'un art de la cuisine qui tarde à se répandre chez nous et les vases sublimes aux allures d'amphores de caciquats, éblouissants en formes, motifs et teintes, on essaie, dans la difficulté, de chercher un fil conducteur. On le perçoit du photographe de la beauté naturelle, Antoine Verdier, à l'art de la mosaïque qui, selon Frantz L. Gardère, remonte au XVIIIe siècle. Art qui s'est imposé en Haïti avec " Mosaïque Gardère " en 1944.
De l'instantané d'une photo de Verdier montrant le bleu du lac Azuéï sur lequel flotte, étrangement, la géographie de la République d'Haïti comme dans une oeuvre de Salvador Dali, là-haut dans les nuages, on découvre un peu plus loin la modernité, le dynamisme, le design nouveau, l'Art Décor caribéen de Gary Douyon qui réussit des symbioses heureuses entre diffusion de lumière et stabilité de l'objet. Il traverse de l'utilitaire à la beauté avec une finesse que lui donne, en toute dextérité, sa profession d'architecte. Cette profusion lyrique et baroque de multiples tendances et de diverses sensibilités traduit ce qu'il faut appeler, désormais, les textures particulières de l'imagination haïtienne. Toutes les expériences s'y mêlent. L'Occident lui donne une certaine raison dans l'anatomie et l'harmonie chromatique. Mais, cet art ne connaît pas la perspective du XVIe siècle. Les formes éclatent dans tous les sens et présentent un monde si merveilleux et tellement superposé qu'il est trop prématuré de faire la différence, ce dimanche 7 octobre 2007, entre l'art et l'artisanat. Un thème, d'ailleurs, qui peut soulever tout un débat à partir de ce qui est présenté à la première édition de Artisanat en fête.
Une tentative de méthode donnerait sommairement une idée globale au niveau de la récurrence des sujets : l'obsession du poisson, la persistance de l'arbre, la référence au soleil, les particularités de l'éternel féminin s'opposent, par leurs symboles, à des thèmes plus séculiers : le rara rituel, le travail paysan, l'habitat rural, les fruits de table dominicale, les masques de carnaval... Toutefois, c'est une approche réductive qui ne donne pas toute la dimension de cette fête de l'art qui, selon Martine Blanchard, l'initiatrice de l'événement culturel avec M.Max Chauvet, directeur de Le Nouvelliste, « malgré vents et marées est un grand succès. »

LA GRACE DU BEAU TEMPS

En effet, le premier report de Artisanat en fête des 18 et 19 août 2007 a du avoir psychologiquement un impact sur les organisateurs. Reprise avec détermination de vaincre les aléas du temps pour les 6 et 7 octobre au moment où la météo annonçait des turbulences atmosphériques, la foire a tenu bon en dépit de la pluie de la première journée. On n'a pas encore assez de précision sur l'impact de la température au niveau des ventes. Cependant, les artisans interviewés à ce sujet affirment tous que « l'atmosphère de samedi a joué un rôle un peu négatif sur les achats. »
Comme Keslyne C. Mathurin qui expose de beaux objets de bureau avec des motifs haïtiens et selon laquelle « la pluie a été une bénédiction », Mme Martine Blanchard se réjouit du fait que « Dieu nous a fait grâce du beau temps. » On est le dimanche et la fête se transforme en une belle messe. Le Parc historique de la Canne à sucre devient, selon les observateurs, un lieu de grandes fêtes « socialement correct ». En fait, le Champ de Mars de plus en plus délaissé pour des raisons de...conjoncture politique ou sociale, une attraction dont on n'a pas encore saisi la vraie nature sociologique attire les amants de l'art et du spectacle. A Tabarre, dans la banlieue nord de la capitale. Cela devrait inciter les autorités politiques et culturelles du pays à repenser des stratégies de sécurité et de logistique pour réaliser au Champ de Mars des événements culturels à la portée de tous.
Des commentateurs argumentent que la Fête du Travail, le 1er Mai, « est presque obsolète quand il n'y a aucune nouveauté et lorsqu'on n'invite, en toute quiétude, tous les secteurs de la production haïtienne à y participer.» On peut souligner que c'est un peu cocardier et orthodoxe quand une foire de l'art se transforme en kermesse patriotique ! Mais, la finesse et le savoir-faire doivent être aussi des attributs d'un Etat moderne et réconciliateur.
Ne nous empressons pas, en ces temps imprécis, à parler d'une géographie des classes sociales. Le constat de la vitalité de notre imaginaire, tous secteurs confondus, est si envahissant qu'on doit un instant laisser de coté les vieilleries idéologiques. Les événements culturels comme Artisanat en Fête mobilisent beaucoup de monde, par expertise, par amateurisme, ou par snobisme, vers un lieu dont le décor nous rappelle les origines de la technologie du colonialisme. C'est le premier pas qui compte.Les nouveaux sponsors sont pour beaucoup dans les succès de ces « fêtes culturelles » qui nous éloignent de la nocivité du quotidien et des redites médiatiques qui nous accablent. Les organisateurs ont compris et ont agi pour mieux oxygéner les Port-au-princiens. Entre le ballon gonflable de Digicel qui flottait dans le ciel bleu et l'érotisme sulfureux des « girls and boys » on peut affirmer qu'en bousculant la vieille moralité décadente et les activités culturelles limitées à de petits groupes de connaisseurs, nous entrons dans une modernité qui présente de nouvelles valeurs. Les artisans entrent sans grand bruit dans une autre époque : sortir de l'atelier vers le grand public est un pas géant.
Après avoir assisté à cette brillante fête de l'Artisanat, le dimanche 7 octobre au Parc historique de la Canne à Sucre, on en sort avec l'impression d'un grand excès de l'imagination en Haïti. On se pose des questions sur tant d'élaboration esthétique par ces temps où le contexte socioéconomique suscite plutôt le pessimisme pur et dur.La réponse qui vient spontanément est celle-ci : c'est au milieu des adversités les plus prononcées que le peuple haïtien montre les multiples aspects de sa résistance. Ce qui se passe, ces derniers temps, sur le plan culturel, prouve que la « résistance », ce n'est pas seulement celle des Marrons ou des Cacos. C'est aussi, et surtout, à cette époque de trouble idéologique qui ressemble à ce qu'on considère comme « la fin de l'histoire », cette manière élégante et inédite des artistes haïtiens de prouver qu'ils existent. Avec leur pays. Pour des lendemains meilleurs.
Devant la floraison d'un imaginaire que le chaos physique de la ville n'arrive pas à détruire, il est, sinon impossible du moins pas souhaitable d'en faire un simple reportage objectif. Le spectateur est comme submergé entre l'intérêt commercial, l'étonnement esthétique et le bonheur des formes et des couleurs.
La question à se poser est celle-ci : le spectacle à décibels nuit-il à l'exposition d'oeuvres artistiques dont on gagnerait à introduire les structures didactiques sans trop « académiser » les fêtes ? Les autres éditions d'Artisanat en fête viendront répondre à cette importante question.
Pierre Clitandre

Aucun commentaire: