"Soyez rassurés que malgré les images vues au Mupanah, nous n'avons en nos cœurs le moindre signe de haine. Par contre, nous avons été choqués. Les larmes versées par l'une d'entre nous sont l'expression de notre douleur face aux tribulations de nos anciens parents africains. "
A Messieurs les Ambassadeurs de la France et de l'EspagneLeurs Excellences Christian Conan et Paulino Gonzalez,
Nous sommes des enfants de 5 à 17 ans. La plupart d'entre nous ne connaîssent encore rien de l'histoire de notre pays. Nous habitons tous le même quartier. Nos parents nous racontent que la zone était très boisée. Ils nous disent que ce que nous voyons aujourd'hui est l'envers d'un espace résidentiel qui, avec le Bas-peu-de-Chose, constituait une réserve importante pour la capitale.Nous vivons dans de petites pièces sombres. Nos parents louent à prix très cher ces espaces clos souvent rivés au fond d'un corridor. Plusieurs d'entre nous n'ont pas d'eau potable. L'électricité est disponible au moins une trentaine de minutes par jour. Ce qui est un luxe par rapport à d'autres quartiers. Parmi nous, il y en a qui n'ont jamais vu s'allumer l'ampoule salie de leurs petites pièces. Les prises de courant sont dangereuses.
Il y a beaucoup de vacarme autour de nous. Si ce n'est une voisine qui discute bruyamment avec une autre, c'est le klaxon tonitruant d'un véhicule de passage qui nous assomme les tympans. Notre professeur de musique nous a dit qu'il y a un seuil de bruit que l'oreille ne peut pas entendre. On nous signale à la bibliothèque que le peintre Vincent Van Gogh s'était coupé l'oreille avec un couteau de cuisine à cause d'un bruit insupportable. Un pays qui ne prend pas des mesures contre tout vacarme public ne peut se régaler d'une autre Nicole St Victor.
Nos proches ont accueilli l'initiative du Camp d'été du soleil avec joie. Nous pouvons dire qu'ils ont fait pour nous un sacrifice économique en nous y inscrivant. Certains jours, nous arrivons au local du Camp d'été sans prendre un modeste petit déjeuner. Les responsables ont fait ce qu'ils ont pu pour nous donner certains jours de la nourriture.Nous sommes en grande partie des enfants pauvres. Ceux qui ont un peu de moyen ont généreusement partagé un morceau de bonbon avec nous. Nous nous sommes faits de bons amis, de juillet à août 2007. Nous nous sommes baignés dans la piscine de la bibliothèque. Nous avons appris de la musique, du dessin, des coloriages. Nous avons battu du tambour.L'événement qui nous a marqué durant le Camp d'été 2007 est notre visite au Musée du Panthéon national. C'est pour la première fois que nous visitons ce lieu. Il est très beau.
Cette journée du 1er août est mémorable parce qu'on nous a parlé de l'histoire traumatisante et douloureuse de nos pères.
Nous vous écrivons aujourd'hui, Messieurs les ambassadeurs, pour vous demander s'il est vrai que des africains ont été jetés au fond de la cale des bateaux. Le guide du Mupanah les appelle « les négriers ». Est-il vrai qu'ils ont été enchaînés l'un à l'autre. Est-il vrai qu'ils ont eu très peur ? Nous avons vu cela dans leurs yeux exorbités et la crispation de leurs traits. Est-il vrai qu'il y en a qui sont morts dans le voyage ? Ou qui se sont suicidés en se jetant dans l'océan ? Est-il vrai qu'ils ont été séparés de leur famille ? Pourquoi sont-ils si amaigris, affolés, empilés l'un sur l'autre ? Ont-ils été violemment battus par ceux qui les avaient achetés ?
Le guide du Mupanah nous a dit que les africains étaient venus remplacer les indiens massacrés. Pourquoi ces massacres ont-ils eu lieu ? Le guide nous a parlé des esclaves mis en terre avec toute leur tête barbouillée de sirop de canne attirant des fourmis qui ont mangé leurs chairs, jusqu'aux os. Est-ce la couleur des nègres qui portaient les commandeurs à effectuer sur le corps des esclaves toutes sortes de tortures ?
Nous avons demandé à nos parents : qu'est ce que la colonisation ? Nous n'avons pas eu de bonnes réponses. Nous cachent-ils une vérité ? Nous nous adressons à vous, Messieurs les ambassadeurs, pour être mieux informés de ce qui s'était réellement passé. Vous avez, assurément, des documents, des livres, des références que vous pouvez nous communiquer.
Soyez rassurés que, malgré la violence des images vues au Mupanah, nous n'avons pas en nos coeurs simples le moindre signe de haine. Par contre, personne ne peut nous empêcher d'être très choqués. Les larmes versées par Christie Selma Pierre sont l'expression d'une douleur face aux tribulations de nos anciens parents africains.
Peut-on dire que le fouet de la colonie a annoncé le « rigouaz » de punition dans les foyers et dans les institutions d'éducation ? On nous dit aussi que le fouet est un élément de la culture haïtienne. Est-ce vrai que quand on veut dominer quelqu'un on le fouette pour qu'il soit totalement soumis ? Cela ne provoque-t-il pas des troubles ? Que nous suggérez-vous de dire à nos parents quand, dans la pièce sombre et close, ils nous battent avec un ceinturon ? Est-il vrai que ces pièces closes sont la version actuelle de la cale du bateau négrier ?
Nous voulons être heureux dans notre pays. Cependant, nous avons peur des répétitions de l'histoire dans le temps présent.
Nous ne sommes pas des enfants de la révolte et de la violence. La meilleure façon d'éviter la révolte est le dialogue franc. Le guide du Mupanah nous a dit une vérité. Nous voulons entendre la vôtre. Nous n'exigeons aucun repentir. Mais, nous tenons à vous demander, Messieurs les ambassadeurs, pourquoi les choses se sont-elles passées de la sorte ? S'il y a des conséquences négatives, des troubles de comportement collectifs, des attitudes politiques désarticulées, des hommes en dérive, une nation écartelée et un pays écologiquement en danger, n'est-ce pas, en grande partie, en raison des effets de la colonisation ? Pourquoi la France et l'Espagne ont-elles choisi cette voie ?
Messieurs les ambassadeurs, soyez confortés que nous sommes sortis du Mupanah en joie. Une belle journée de vacances ne peut être assombrie par le passé.
La visite au Musée est inoubliable. Nous serons mieux instruits quand nous ajouterons aux propos du guide du Mupanah vos explications de la colonisation. Elles peuvent être succinctes. Mais, nous serons déçus d'un simple accusé de réception qui évite le dialogue avec nous. Le silence diplomatique peut fermer la porte du dialogue. Cette lettre, vous en convenez, Messieurs les Ambassadeurs, ne remue pas, comme on dit, le couteau dans la plaie.
Nous voulons réaliser d'autres éditions du Camp d'été du soleil, le mois d'août de chaque année. Cela deviendra une tradition pour nous de visiter un endroit important, une institution publique ou privée, un site touristique ou religieux, un quartier populaire et de poser des questions aux élites responsables du pays.Signalons à votre noble attention que nos lettres ouvertes seront publiées dans la presse locale avec une priorité au Doyen de la presse, Le Nouvelliste, qui a soutenu, par la manière médiatique, l'initiative du Camp d'été. Il n'y a pas là une façon de forcer la main à nos interlocuteurs. Il s'agit, plus simplement, de prendre l'opinion publique à témoin de nos utiles interrogations.
Le monde devient un village. Il est possible, dans une dizaine d'années, de rencontrer vos petits fils à Paris ou à Madrid, au Musé du Prado ou au Musée du Louvre face au « Guernica » de Picasso ou à « La liberté guidant le peuple » de Delacroix. Nous avons eu le privilège de voir des reproductions de ces oeuvres dans les livres d'art de la bibliothèque.Il est souhaitable qu'avec les nouvelles générations on fasse barrière aux douleurs du passé. Il est un devoir, aujourd'hui, de commencer le dialogue sincère qui écarte la culpabilité et efface la haine.
Dans l'espoir, Messieurs les Ambassadeurs, que les enfants du Camp d'été du Soleil contribuent au rapprochement des peuples, ils vous prient de comprendre que l'enfance saine non traumatisée par la fureur de l'histoire universelle est le meilleur chemin de la vérité.9 septembre 2007 Suivent trente et un noms des enfants du Camp d'été du Soleil
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=48335&PubDate=2007-09-18
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
mercredi 19 septembre 2007
«Nous avons peur des répétitions de l'histoire»
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