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vendredi 29 avril 2011

Cérémonies vaudoues dans les caves de Brooklyn

Une importante communauté d’origine haïtienne vit à New York, où les cérémonies vaudoues, depuis le séisme qui a dévasté Haïti, connaissent un regain d’intérêt auprès de cette population, écrit le New York Times.
29.04.2011 | Dan Bilefsky | The New York Times
Il est 3 heures du matin. Dans une cave sombre de Brooklyn, Jack Laroche, un ingénieur en informatique d’origine haïtienne, attend nerveusement sa future épouse, un esprit vaudou nommé Ezili Freda qui a le pouvoir d’accorder amour et richesse. 
Pendant que quatre hommes frappent les tambours en rythme, les prêtresses vaudoues vêtues de robes de couleurs vives dansent en cercles extatiques, aspergeant le sol de rhum et scandant “Ayibobo !” – l’amen vaudou. La mariée fait une entrée spectaculaire : l’une des prêtresses, vêtue d’une robe rose étincelante, est prise de violents tremblements, ses yeux se révulsent et elle s’évanouit ; lorsqu’elle revient à elle, elle est possédée par Ezili Freda. Elle prend la main de M. Laroche, lui suçote l’oreille avec coquetterie, puis les heureux époux échangent leur consentement en français. 
Longtemps mal compris et mal perçu par la culture populaire occidentale, le vaudou est devenu un repère spirituel dans les enclaves haïtiennes des Etats-Unis. Ses adeptes y cherchent un réconfort après le tremblement de terre dévastateur qui a frappé Haïti l’année dernière. New York compte 300 000 personnes nées en Haïti ou nées aux Etats-Unis de parents haïtiens. On trouve des temples vaudous richement décorés dans les caves de Harlem ou de certaines zones de Brooklyn et du Queens. Les cercles de prière vaudous se sont multipliés dans les mois qui ont suivi le tremblement de terre en Haïti. 
Dowoti Desir a étudié le vaudou d’origine haïtienne et a un temple chez elle, à Harlem. “Les adeptes du vaudou se dissimulent de peur d’être persécutés, déclare-t-elle. Mais la vérité, c’est que le vaudou a été une aide et un soutien pour des générations de Haïtiens.” M. Laroche, 35 ans, qui s’est mis sur son trente et un pour son mariage, a décidé d’épouser sa femme spirituelle pour affirmer sa culture, faire avancer sa carrière et se protéger contre le malheur. “Certains pensent à tort que ceux qui pratiquent le vaudou peuvent transformer leurs amis en chèvres, confie-t-il. Mais le vaudou, c’est reprendre contact avec le passé.” 
Le vaudou est une religion de guérison et a été apporté à Haïti par les esclaves d’Afrique centrale et occidentale. Les adeptes communient avec un dieu – Gran Met – en adorant les Ioas, des esprits puissants et parfois irascibles, qui gouvernent l’amour, la morale, la reproduction et la mort. 
Selon les chercheurs, la moitié des Haïtiens pratiquent le vaudou sous une forme ou une autre, souvent en conjonction avec le catholicisme. Comme cette religion se pratique en secret et qu’elle accorde une grande importance aux esprits, aux sorts et aux sacrifices animaux, elle est stigmatisée et considérée comme primitive. 
Le vaudou joue cependant un rôle central dans l’histoire d’Haïti : c’est lui qui permet aux gens de supporter l’oppression, la pauvreté et les catastrophes naturelles. 
De même que les membres du clergé des autres religions administrent des sacrements moyennant finances, les mambos, les prêtres et prêtresses vaudous, font payer leurs services, en partie pour financer les goûts dispendieux de certains esprits ; Ezili Freda, par exemple, aime bien le champagne rosé. Les tarifs varient de 300 dollars pour une recette destinée à rendre quelqu’un fou d’amour jusqu’à 5 000 dollars pour un exorcisme en bonne et due forme. M. Laroche déclare avoir payé 10 000 dollars pour son mariage, un prix selon lui plus que justifié par les bénéfices que la bonne volonté des esprits va lui rapporter. 
Les aspirants mambos font en général leur apprentissage auprès d’un mentor expérimenté, et il faut parfois cinq ans pour maîtriser les divers rituels du vaudou, explique Mme Desir. Elle-même a choisi il y a des années de faire des études pour devenir mambo plutôt que de poursuivre ses études d’anthropologie. Sa mère, qui était catholique, en fut consternée, se souvient Mme Desir. 
“Personnellement, je ne cache pas que je suis prêtresse vaudoue, déclare-t-elle. “Mon rôle, ce n’est pas de créer des philtres d’amour, mais d’aider les gens à renouer avec la culture originelle africaine.” 
Pour M. Laroche, qui est arrivé à New York à l’âge de 5 ans, le vaudou représente un lien avec le foyer familial à Port-au-Prince [capitale d’Haïti]. Il ne voit aucune contradiction à manipuler un iPhone et à épouser un esprit vaudou. Pendant la cérémonie, il a décidé de célébrer ses noces avec son amie. Celle-ci n’a pas de raison d’être jalouse : elle a elle-même épousé Ogou, un esprit viril fumeur de cigares qui donne force et protection.

http://www.courrierinternational.com/article/2011/04/29/ceremonies-vaudoues-dans-les-caves-de-brooklyn

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