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jeudi 7 octobre 2010

Canada-Haïti : contribution substantielle pour situation extraordinaire

Le 12 janvier, à 16 h 53, l'ambassadeur Gilles Rivard était à son bureau et a vécu le tremblement de terre comme « une expérience qu'on voudrait oublier mais qui reste inoubliable ». Depuis, le diplomate, originaire de Trois-Rivières au Québec, s'attelle à mettre en oeuvre la politique du Canada envers Haïti. C'est d'abord un appui sans faille dès les premières heures et une augmentation des contributions promises à Haïti. Le Canada, c'est aussi une politique sur l'immigration et plus de prudence sur les questions électorales en Haïti. Pour faire le point sur les relations Haïti-Canada, l'ambassadeur s'est prêté aux questions du Nouvelliste.
Haïti: L. N. : M. l'ambassadeur Gilles Rivard, pouvez-vous vous présenter un peu aux lecteurs du Nouvelliste ? Depuis quand êtes-vous en Haïti ? D'où venez-vous ? Qui êtes-vous ?
G. R. : Je suis dans le pays depuis juin 2008. J'ai eu l'occasion de passer à travers un certain nombre de difficultés en Haïti, notamment les ouragans qui ont affecté le pays, le tremblement de terre et ainsi de suite. Mais je peux vous dire qu'entant qu'ambassadeur du Canada, le temps passe très vite ici.
Je suis originaire de Trois-Rivières, au Canada, une ville qui a aussi la chance d'avoir comme quotidien Le Nouvelliste. Alors, quand je suis arrivé ici, c'est avec plaisir que j'ai retrouvé un journal que je lis depuis que je suis tout jeune (rires), car je continue mes lectures ici avec la version haïtienne.
Essentiellement, mes responsabilités de représentant du Canada sont de m'assurer de la conduite des relations entre Haïti et le Canada. L'objectif le plus important, comme vous le savez, c'est la reconstruction du pays, suite au tremblement de terre du 12 janvier.

L. N. : Avant d'être ici, vous étiez où ?
G.R. : Avant d'être ici, j'étais vice-président, responsable de tous les problèmes des Amériques, auprès de l'Agence Canadienne de Développement International. C'est une position de sous-ministre adjoint au Canada. Et auparavant je travaillais au bureau du Premier ministre du Canada au Conseil privé. Je dois dire que j'ai fait une bonne partie de ma carrière dans le domaine de la coopération internationale. Alors, c'est ce qui fait que « être en Haïti » et gérer les interventions du Canada - qui a eu à annoncer à New York la donation de quatre cent millions de dollars - je crois posséder en ce sens un bon background qui me prépare bien à ce genre de priorité du Canada.

L.N. : Comme vous le dites, la reconstruction est la priorité ces jours-ci. Le Canada est impliqué, le Canada avait fait des annonces à la conférence du 31 mars. Concrètement, en quoi consiste l'action du Canada au niveau de la coopération (ce qui se faisait avant et ce qui a changé depuis le 12 janvier) ?
G.R. : Depuis le 12 janvier, c'est cent cinquante millions de dollars en assistance humanitaire, en aide humanitaire ; ce sont aussi des contributions extraordinaires des Canadiens. Les Canadiens ont donné plus de deux cent millions de dollars en contribution volontaire pour la reconstruction d'Haïti, ce qui est l'équivalent de sept dollars par Canadien. C'est quelque chose qu'on n'a jamais vu ailleurs, c'est quelque chose qui témoigne de la préoccupation, de l'intérêt des Canadiens à l'égard de la situation en Haïti. Ces contributions sont venues de toutes les provinces canadiennes sans distinction. C'est un effort tout à fait extraordinaire.
Ce qui se passe aussi, ce sont nos efforts dans le domaine de la reconstruction, telle que la construction de l'hôpital de Gonaïves, la construction de la route Cayes-Jérémie. Ce sont les contributions aux institutions non gouvernementales canadiennes. Il y a aussi la construction d'abris temporaires...
Une contribution substantielle pour une situation extraordinaire ! Je crois que cela résume grosso modo ce qu'on fait ici.

L. N. : Le Nouvelliste avait été invité à couvrir l'inauguration du complexe administratif du ministère de la Santé et le complexe de Belladère. Pouvez-vous nous parler de ces deux derniers projets ?
G.R. : À Belladère, c'était la concrétisation d'un projet fait à travers le programme « Start » du ministère aux Affaires étrangères et qui consiste à appuyer l'appel à la sécurité en Haïti. C'est un complexe d'immigration et de douane qui a été construit comme celui qu'on avait fait à Malpasse pour assurer une gestion plus étendue de la frontière et ainsi permettre au gouvernement haïtien de collecter davantage de revenus en droit de douane et de taxes diverses. Si vous parlez au ministre des Finances, il vous dira que le gouvernement haïtien pourrait récolter plusieurs millions de dollars par année si les frontières étaient mieux gérées. En plus de ça, il est aussi question de permettre un meilleur contrôle. Donc cela fait partie de notre engagement à long terme envers Haïti.
Dans le cas de la contribution de douze millions de dollars qui avait été annoncée par le Premier ministre Stephen Harper lorsqu'il était venu ici les 16 et 17 février dernier, il s'agit de la construction de bureaux modulaires qui ont été construits non seulement au ministère de la Santé publique, mais aussi au ministère de l'Agriculture et qui actuellement abritent les bureaux de la Commission Intérimaire et de la Primature. Alors il s'agit d'une contribution qui devrait être faite rapidement pour répondre à des besoins exprimés par le Premier ministre et par un certain nombre de ministres, pour permettre aux fonctionnaires de se retrouver à un lieu de travail qui les faciliterait d'accomplir leurs fonctions au service de la population haïtienne.

L. N. : Les douze millions ont servi à ériger trois sites ?
G.R. Oui, on peut dire, au moins, que cela a servi à trois sites.

L. N. : Le Nouvelliste, lors de l'inauguration au ministère de la Santé, avait cru entendre que la tente qui abrite le dit ministère avait été aménagée pour douze millions de dollars...
G.R. : Non, non, non, non ! C'est un ensemble. On avait environ douze millions de dollars, alors s'est dit : « Qu'est-ce qu'on peut faire avec ça ? » Comme le Canada a des activités en santé et en agriculture, on a voulu être consistant avec nos priorités, d'où l'idée d'appuyer ces deux ministères. Je peux vous dire que le ministre Larsen et le ministre Gué sont très heureux des aménagements. Et par la suite, nous avions aussi pris en charge la primature et la Commission Intérimaire.

L.N : Huit mois après, quelle est l'action que le Canada a eu à mener dont vous êtes le plus fier, Monsieur l'ambassadeur ?
G.R. : Ah !... Mon Dieu ! L'assistance humanitaire qu'on a donnée à la population qui était en difficulté, la contribution des forces armées canadiennes à Léogâne et à Jacmel. Si vous allez à Léogâne, vous allez voir que la ville a été détruite à 80%. Je pense que c'est là où on a pu voir l'action du Canada de manière très rapide, très ciblée, une action qui a pu contribuer à soulager les souffrances de beaucoup d'Haïtiens dont plusieurs continuent à subir les contrecoups du tremblement de terre. Mais je pense que ce qui me rend beaucoup plus de fier c'est de pouvoir donner, de pouvoir appuyer les organisations non gouvernementales, la Croix-Rouge, pour appuyer les gens qui étaient et qui sont dans le besoin dans les premiers mois du séisme.

L.N. : Huit mois après le séisme, la situation des personnes vivant dans les camps d'hébergement n'a pas beaucoup changé. Comme cause, on évoque le plus souvent la lenteur des donateurs. Est-ce que vous ne pensez pas, Monsieur l'ambassadeur, que cela va trop lentement ? Est-ce que le Canada est à la bonne vitesse ?
G.R. : Ecoutez ! On voudrait justement en faire plus. Hier, j'ai été à Corail au cours d'une visite. Je vais régulièrement dans les camps. Quand je regarde à Corail, je revois les camps au mois de mai. Et je suis un peu impressionné de ce qu'il y a maintenant aux alentours.

L.N. Parce que le camp a grandi hors du camp ?
G.R. : Justement. Mais il est évident qu'il y avait un problème. À l'intérieur de Corail même, j'étais content de voir que World Vision était en train de construire des abris temporaires qui sont quand même faits en béton, ça va vite passer. D'ailleurs, on voudrait que ça aille plus vite. Nous avons rencontré des gens qui s'occupent de cette question d'accélérer le processus. C'est sûr que si je me mets à la place des gens qui vivent dans les camps, ce n'est pas facile. D'un autre côté, lorsque j'ai rencontré quelques-uns des coordonnateurs, dont certains vivaient à Delmas 3 avant le tremblement de terre, ils préfèrent être à Corail que d'être à Delmas 3, où au moins ils peuvent avoir de l'eau et des soins de santé. La question de nourriture est un problème. C'est pour cette raison qu'il faut donner du travail à ces gens. Et actuellement on parle d'un investissement de la part du gouvernement de Corée du Sud qui veut installer une usine de textile dans ce coin-là, ce qui va permettre aux gens non seulement de travailler mais de s'assurer un revenu et ainsi de suite. Quand on se promène à Port-au-Prince et qu'on voit encore tous ces camps, on se dit qu'il faut trouver des solutions, mais c'est surtout important d'en trouver rapidement. Ce n'est jamais facile de pouvoir déplacer des gens, d'abord des gens qui avaient été déplacés, et les déplacer à nouveau vers un autre camp. C'est certain que ça va créer des préoccupations. Mais je peux vous assurer que le Canada, conjointement avec le gouvernement haïtien et les organisations non gouvernementales canadiennes, ainsi que les institutions internationales, vont se réunir régulièrement pour voir comment accélérer le processus.
Ce que je vous dirais, c'est que si on se reporte à un évènement comme celui du tsunami en décembre 2004, cela a pris quatre ans et demi pour que la région reprenne un aspect un peu plus normal. Ce n'est jamais facile de dire à quelqu'un : « Il faut s'armer de patience », mais je pense que ça va aller.
J'étais encore dans le centre-ville il y a une dizaine de jours, et il est évident qu'il y a encore beaucoup de travail à faire. Si on se promène à Turgeau ou à Pacot, on voit que l'impact du séisme est encore extrêmement visible. En revanche, on voit aussi des brigades de gens oeuvrant dans les programmes de « Cash For Work » qui ramassent des débris. On voit des camions qui nettoient les rues. On voudrait que cela se passe plus rapidement, je pense qu'on doit y mettre toute notre énergie. Je pense aussi que ce n'est pas vraiment une réponse suffisante pour les Haïtiens qui vivent dans les camps, mais je peux vous assurer que le Canada en fait une de ses priorités.

L.N. : Le Canada avait annoncé des mesures pour faciliter la réunification des familles. Les dernières informations publiées dans la presse parlent de statistiques qui ne sont pas éloquentes.
G.R. : Je peux vous commenter le programme qui est un programme exceptionnel qui a été mis de l'avant par le gouvernement du Canada en collaboration, entre autres, avec le gouvernement du Québec, pour faciliter les réunifications de familles.
Ce programme est un processus long et compliqué parce qu'il y a beaucoup de familles qui ont perdu des papiers, des documents essentiels.
Donc, il faut faire des recherches, il faut faire des tests d'ADN et ainsi de suite. Dans les premiers mois du tremblement de terre on a rapatrié 4 602 personnes exactement. Il y a des fois où c'était difficile, il y a même des cas où on a vu des gens qui ont voulu essayer d'être évacués avec des enfants avec qui ils n'avaient aucun lien de parenté.
C'est un sujet qui est très délicat.
On a eu des processus d'adoption, on a eu un appui extraordinaire du Premier ministre Bellerive à cet égard pour compléter des procédures dans des cas d'adoption. Mais il faut être prudent, c'est un processus qui est long. Vous voyez les gens qui attendent ici le matin devant l'ambassade ? Le processus demande beaucoup de temps.
Pour faciliter le regroupement des familles, actuellement, la section d'immigration se concentre uniquement sur les demandes qui vont dans ce sens. Les visas de court séjour au Canada sont gérés à partir de la République Dominicaine, ce qui crée un certain nombre d'inconvénients. Mais compte tenu du fait que le Canada et le gouvernement du Québec s'étaient engagés au niveau de la réunification des familles, pour nous, c'est la priorité numéro un.

L.N. : Les services consulaires à l'ambassade reprendront bientôt ?
G.R. : En fait, les services consulaires existent toujours ici. Mais j'espère tous les jours que tous les services seront disponibles parce qu'effectivement ce n'est pas facile pour beaucoup de personnes d'aller à Santo Domingo. En revanche, tout cela peut être géré par courrier. Sauf que c'est un inconvénient, j'en conviens, d'envoyer ses documents par la poste. Il y a des gens qui voyagent régulièrement au Canada, qui veulent avoir des renouvellements de visas, qui veulent avoir des visas de façon tout à fait légitimes, et le processus est beaucoup plus large. J'espère pouvoir être en mesure dans les prochains mois de ramener les opérations des sections immigration à ce qu'ils étaient avant le 12 janvier. Il n'y a aucun doute là-dessus, c'est l'une de nos priorités.

L.N. : Alors pour un Haïtien, mis à part aller en République Dominicaine, il n'y a aucun autre point où il peut renouveler son visa canadien. C'est possible de le faire à New York ou ailleurs ?
G.R. : Oh oui ! On peut le faire à New York.
Je veux dire, si vous êtes à New York, si vous y êtes de passage, cela se fait à partir de notre consulat général à New York. C'est un peu plus compliqué parce que les dossiers ne sont pas là-bas. Donc, cela coûte un certain nombre d'échanges d'e-mail, de conversations entre Port-au-Prince et New York. Mais oui, cela se fait ! On peut le faire à Paris, le faire n'importe où.

L.N. : Le Canada, dans le passé, était très actif dans la question électorale en Haïti. A-t-il changé de politique ? Le Canada appuie-t-il le CEP pour financer les élections ?
G.R. : On ne peut pas dire que le Canada appuie le CEP, le Canada appuie les élections.
Le Canada appuie les institutions démocratiques du pays. On l'a toujours dit, on l'a toujours fait. Il y a une élection qui a été déclenchée, il y a un CEP qui est en charge de la préparation des élections, et le Canada a toujours appuyé les élections libres et démocratiques en Haïti.
Et pour ces élections qui ont été annoncées, dont le premier tour est pour le 28 novembre, il y a plusieurs pays qui ont annoncé leur appui. La MINUSTAH travaille sur la préparation, le PNUD également, l'OEA, le CARICOM et ainsi de suite. Et nous, comme pays donateur important d'Haïti, on a l'intention de faire la même chose.

L.N. : Il y a un montant qui est prévu, une enveloppe qui est déjà décidée ?
G.R. : En fait, il y a un montant de cinq millions de dollars qui va servir à appuyer les fonds financiers et qui va servir à l'observation électorale. Et il y a aussi un montant qui va servir au centre de tabulation. Elections-Canada qui est une institution reconnue mondialement pour ses capacités techniques va être impliquée dans cet appui au centre de tabulation.

L.N. : Le Canada, comme je le disais tantôt, était des fois très impliqué dans les élections. Il y avait même des coopérants canadiens quasiment en permanence au CEP. Ce n'est plus le cas. Est-ce un retrait ? Un changement de politique ? Un ajustement ?

L.N. : C'est un ajustement. Nous, ce qu'on fait, c'est appuyer là où l'on pense qu'on peut jouer un rôle. Le fonds financier est définitivement la portion la plus importante du travail, l'achat des équipements, l'achat des bulletins de vote, les boîtes de scrutin et tout le matériel technique. Alors, on nous a demandé de faire une contribution substantielle, une contribution au fonds financier, je pense que notre contribution est substantielle et témoigne de notre appui à ce processus démocratique.
Il y a un autre volet : le centre de tabulation. Lors des dernières élections, il y avait un certain nombre de partis qui ont critiqué la façon dont le centre de tabulation a fait les choses. J'ai rencontré M. Opont récemment, et j'ai fait valoir un certain nombre de choses sur l'importance de la transparence au niveau des centres de tabulation. Et M. Opont m'a dit qu'il y aura des visites qui seront organisées pour les partis politiques pour visiter les centres. Nous, on a recommandé lors du comptage des votes, sous réserve de certaines restrictions de sécurité, cela va de soi, que les partis politiques puissent pouvoir visiter les centres de tabulation comme nous avons pu le faire, comme d'autres pays ont pu le faire, tout ça dans un esprit de transparence et de crédibilité du processus.
Propos recueillis par Frantz Duval et Valéry Daudier
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=84300&PubDate=2010-10-06

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