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mercredi 18 août 2010

Le séisme du 12 janvier : quête et enquête

Les recherches en cours sur le séisme qui a si durement frappé le pays le 12 janvier dernier illustrent le processus scientifique : quête et enquête. Leurs résultats montrent surtout, s'il en était besoin, que notre connaissance de la menace sismique en Haïti reste rudimentaire. La science nécessaire pour aller de l'avant sera aussi au service du développement du pays. Haïti: Au lendemain du 12 janvier, tout accusait la faille de la Presqu'Ile du Sud (dénommée faille d'Enriquillo dans la littérature nord-américaine). La première information disponible : l'épicentre du séisme situé sur la faille, pointait le coupable du doigt. La faille de la Presqu'Ile du Sud, un des deux « parrains » de la menace sismique en Haïti (avec son alter ego du nord, la faille Septentrionale) était prise « la main dans le sac », en quelque sorte. D'ailleurs la liste des suspects était courte : les recherches géologiques en Haïti s'étant arrêtées à la fin des années 80, la faille de la Presqu'Ile du Sud, figurait seule sur la liste des géo-délinquants dans le sud du pays.
Une enquête fut néanmoins diligentée tout de suite après le séisme afin de recueillir les indices et preuves de ce qui s'était passé - où, quand, comment, pourquoi ? Elle a été menée par plusieurs équipes internationales et coordonnée en Haïti par le Bureau des Mines et de l'Energie et la Faculté des Sciences de l'Université d'Etat. L'enquête est en voie d'aboutir : un nouveau coupable émerge des observations et données recueillies par les scientifiques. Il s'agit d'une petite faille, jusqu'alors inconnue, proche de la faille de la Presqu'Ile du Sud. Le coupable n'est donc pas « le parrain », mais un de ses lieutenants...
Rien de bien surprenant pour les scientifiques qui savent que la géologie d'Haïti reste très mal connue, les recherches s'y étant arrêtées il y a plus de 20 ans. En particulier, on sait peu de choses des failles sismiques qui parcourent le pays et de leur niveau de menace. Bien sûr, les deux failles majeures, Presqu'Ile du Sud et Septentrionale, sont connues car leur trace est évidente dans la géologie et les paysages. Mais, comme toutes les failles importantes, elles sont accompagnées de petites failles annexes. Cela est courant : la célèbre faille de San Andreas, en Californie, est encadrée de dizaines de petites failles. Des investigations scientifiques ciblées ont permis d'en identifier certaines. Pour d'autres, il a aussi fallu un séisme pour que leur discrète présence se révèle.
L'existence de failles annexes autour de la faille de la Presqu'Ile du Sud n'est d'ailleurs pas une découverte. Les travaux de recherche des Nations unies au début des années 70 et de plusieurs scientifiques haïtiens au milieu des années 1980 en ont déjà décrit certaines, en particulier en mer de part et d'autre de la presqu'ile. Rien d'étonnant donc si, lorsque l'on y regarde de plus près - à la lumière d'un séisme par exemple - on en découvre encore de nouvelles. Une surprise relative donc, qu'il a fallu vérifier - « nous avons d'abord cru que nos calculs étaient erronés » avons-nous déclaré aux médias (phrase malheureusement mal traduite par le Nouvelliste dans son édition du 11 août). Ils ne l'étaient pas - la faille responsable du séisme est bien distincte du « parrain » de la Presqu'Ile du Sud.
La découverte d'une faille qui était inconnue avant le 12 janvier n'a donc rien de révolutionnaire. Elle ne change pas l'estimation du niveau de menace sismique, qui reste à peu de chose près ce qu'il était avant le 12 janvier. La faille de la Presqu'Ile du Sud reste de fait une menace significative, comme elle l'était avant le 12 janvier. Là encore, rien de nouveau - et surtout aucune information quant au danger immédiat, qui reste insondable aux méthodes scientifiques. Ce nouveau résultat rappelle cependant que notre connaissance de la géologie d'Haïti, en particulier des facteurs qui déterminent la menace sismique, est plus que rudimentaire. L'identification des failles n'en est d'ailleurs qu'un des aspects. Il manque aussi un inventaire de la capacité du sous-sol à amplifier les vibrations sismiques, donnée fondamentale pour la planification du futur Port-au-Prince et des autres agglomérations qui avoisinent des failles sismiques.
Plus généralement, ce résultat nous rappelle que la menace sismique doit faire partie intégrante des politiques de reconstruction et de développement - comment construire, dimensionner, planifier, si l'ennemi est inconnu ? Il y a urgence à identifier et quantifier cette menace en Haïti, la seule parmi les risques naturels majeurs qui ne donne pas de signe avant-coureur permettant de déclencher une alerte. Il s'agit bien sûr d'un travail de fond, de longue haleine. Mais il est d'ores et déjà possible d'informer les politiques pour assurer que cette menace soit incluse dans les décisions de la reconstruction, tous secteurs confondus. Ne gaspillons pas cette occasion de bâtir une Haïti meilleure.
Ces recherches ont par ailleurs une fonction au-delà des aspects purement techniques de l'identification de la menace sismique. Menées grâce à l'assistance de partenaires internationaux, elles offrent une opportunité sans précédent de développer les capacités des institutions haïtiennes concernées en les impliquant au coeur des travaux de recherche, en formant leurs cadres et, au-delà, en puisant dans le vivier des étudiants des universités pour former une nouvelle génération de scientifiques dans le pays. La mise en place d'une capacité scientifique en Haïti est le garant d'une motivation et d'une capacité durables et internes au pays, pour analyser et comprendre les risques naturels. La science au service du développement.
Eric Calais, Université de Purdue (USA), et UNDP Haïti
Claude Prépetit, Bureau des Mines et de l'Energie, Haïti
Roberte Momplaisir, Faculté des Sciences, Université d'Etat d'Haïti
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=82554&PubDate=2010-08-17

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