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vendredi 8 février 2008

La réjouissance dans tous ses états

Comme pour les années précédentes, les lieux d'intérêt ont été concentrés entre la tour 2004 et le Rex Théâtre. Les stands les plus représentatifs des secteurs public et privé ont rivalisé en décor et animation de DJ. Certaines institutions ont fait des efforts notables non seulement dans le décor traditionnel, mais aussi dans les installations de grands écrans faisant la promotion de leurs produits avec des images encore idylliques de paysages haïtiens. Un nationalisme culturel à encourager. Le Premier ministre est intervenu, au troisième jour, pour montrer l'importance du partenariat public / privé dans l'organisation du carnaval.

Du « Kanaval Soley leve » de l'année 2007 au « Rale mennen vini pou yon Ayiti vèt », les préoccupations sociales et les urgences concrètes du pays investissent les domaines culturels dans le but d'une conscientisation plus soutenue. Le thème de cette année, selon un texte titré « Plan d'Action du Carnaval 2008 », traduit un « sérieux motif d'inquiétude » par rapport à l'environnement. Ce dernier « continue de se dégrader malgré toute la sensibilisation entreprise pour contrer le déboisement et la pollution des sources et des nappes phréatiques».
Le Carnaval 2007 était un grand hommage public au peintre Tiga ( Jean Claude Garoute) dont des posters illustrés du graphisme Saint-Soleil décoraient les porches d'entrée du Palais national. Cette année, la remarque a été faite que les murs du palais étaient restés nus, dépourvus de tout décor rappelant la fête annuelle et populaire de février. Alors que des observateurs mettaient cela sur le compte d'un « contentieux entre l'Exécutif et la mairie de Port-au-Prince », d'autres laissaient croire à l'influence nocive d'un contexte général face auquel le chef de l'Etat n'aurait pas le coeur à la fête. Le renvoi par le Parlement du ministre de la Culture Daniel Elie et le constat d'impuissance du gouvernement face au chômage et à la cherté de la vie seraient-ils la raison de cette « indifférence » ?Au Comité du carnaval de cette année, on s'est plaint de cette réduction. Le coordonnateur général Gary St-Germain a précisé que les fonds disponibles sont gérés par l'administration du ministère de la Culture. La mairie fait des réquisitions au ministère pour les dépenses du carnaval. S'il reste un reliquat, il sera déposé au compte de la mairie, informe M. St-Germain. Le budget de la mairie pour le carnaval 2008 était de 131 millions de gourdes.
L'animation enfiévréeLe carnaval 2008 a démarré le 3 février à travers le circuit habituel d'une longueur de 3.8 kms. Du stade Sylvio Cator en passant par la rue Oswald Durand, le boulevard Jean-Jacques Dessalines, la Rue des Casernes (Ave Paul VI), la Rue de la République, la Rue Capois, la Rue St-Honoré et retour au stade.Comme pour les années précédentes, les lieux d'intérêt ont été concentrés entre la Tour 2004 et le Rex Théâtre. Les stands les plus représentatifs des secteurs public et privé ont rivalisé en décor et animation de DJ. Certaines institutions on fait des efforts notables non seulement dans le décor traditionnel (maillots, couleurs, motifs, masques...), mais aussi dans les installations de grands écrans faisant la promotion intelligente de leurs produits avec des images encore idylliques de paysages haïtiens. Un nationalisme culturel du secteur privé à encourager contre le bovarysme obsolète.
L'animation était particulièrement enfiévrée entre les stands de la Sogener et de la Unibank. Sans les décibels installés sur ces stands et les images projetées aux grands écrans, les longs intervalles constatés dans le défilé, le premier jour, seraient insupportables par un public qui s'était déplacé pour oublier les tracasseries du quotidien. Sans provocation, les corps des filles invitaient à la joie.La première journée laissait un peu l'impression d'une désorganisation dans le cortège. Plus d'une heure d'attente entre le char de la presse et celui de « Coopération jumelage », c'est mettre à rude épreuve la patience d'une population assoiffée de détente.
Si certains commentaires allaient bon train au sujet d'une différence dans la discipline constatée entre l'année 2007 et 2008, des habitués des festivités carnavalesques objectaient pour leur part que la grande affluence urbaine a toujours été un goulot d'étranglement au défilé du cortège. L'ère de la foule ou de la surpopulation est difficilement contrôlable par un projet artistique authentique.
Les groupes à pied sont en grande partie passés inaperçus. Ils n'ont pas fait honneur à une tradition culturelle de quartier (Bel-Air, Morne-à-Tuf, Bas-peu-de-chose...) qui doit être mieux soutenue face aux décibels tonitruants et le « leve men anlè » de la foule. Les Charles Oscars, les diables, les arabes, les jongleurs, la faune animalière ont fait de leur mieux pour maintenir une esthétique de l'allégorie.
Le Comité du carnaval 2008 a visiblement beaucoup investi dans un effort de créativité qui rappellerait les beaux jours du carnaval de Jacmel. Cependant, la pression de la foule a comme couvert le thème de l'année.
Le décor de la tour 2004
Parallèlement au groupe de jeunes basketteurs en perruques multicolores qui traduisait notre entrée dans la modernité sportive américaine, le défilé en l'honneur de Dessalines montrait une dimension esthétique particulière. Alliant l'ocre aztèque aux figurations des temples incas, des jeunes femmes en pagne et des hommes très athlétiques rappelaient, dans la parure du « soleil brûlé » cher à Tiga, la relation existante entre l'Empereur et les civilisations des pyramides du continent. Ce serait plus captivant à voir si le groupe avait défilé un peu plus tôt, dans la clarté de l'après-midi.
La Tour 2004, depuis 2007, retrouve à chaque carnaval une parure inattendue. Aux oriflammes de Daniel Elie ont succédé, cette année, de gigantesques banderoles publicitaires de la compagnie cellulaire Voilà. Le vert de la fête a coloré la grisaille et l'abandon de la tour. La photographie de jeunes filles pleines de rythme et de générosité a attiré l'attention.La publicité joue un rôle de plus en plus déterminant dans le décor du carnaval. Cela a commencé en 1963 avec Energétic et Cigarette Banda. La vague publicitaire a grandi, au fil des conjonctures, pour devenir, aujourd'hui la marque déterminante du secteur privé aux festivités carnavalesques des quatre dernières années. Ce dit secteur, après des années de recul, a beaucoup investi au carnaval 2008. Le climat politique y est pour beaucoup.Les orchestres de compas n'ont pas échappé à cette avancée agressive de la publicité aux devantures des chars. Il faut demander au passant averti quel orchestre joue sur tel char pour avoir une meilleure idée de l'aspect musical du défilé. RAM sur le char de la Digicel faisait un tabac. Il en est de même pour T-Vice et Kreole la. La réjouissance de la foule était dans tous ses états.Du podium d'animationPour se faire une vue plus panoramique du carnaval, il faut aller à rebours du cortège, réduire par ainsi les intervalles et partir à la rencontre des chars tardifs peinant encore à la Grand-Rue plongée dans le noir.
Les chars qui ont attiré l'attention sont ceux du Tourisme, de la Sogebank, du Ministère de l'Intérieur, de la Banque nationale de Crédit, de Socatransfert. L'originalité en revenait au char de la presse de la Unibank présentant la caricature de journalistes connus tels que: Carl Labossière, Konpè Filo, Wendel Théodore, Guyler C. Delva, Fritz Valescot, Valérie Numa, Nancy Roc, Clarens Renois, Serginio Lindor, Hérold Jean-François.Le chanteur Azor a marqué son passage avec « chay pote » symbolisant la situation actuelle du pays. Ce thème est une récurrence depuis 1980 avec Boukman Eksperyans.
Comme pour les années précédentes, le constat était fait que la Grand-rue, partie importante du circuit, est laissée à elle-même. Les gens se sont contentés de monter sur les toits de vieux immeubles salis pour voir passer le défilé.
Le podium d'animation « pour la diffusion d'informations concernant les déguisements, les chars allégoriques, les sponsors ainsi que les orchestres », selon le Plan d'Action de la mairie, a été effectivement érigé à l'intersection de la Grand-rue et de la rue Oswald Durand. La déconcentration prévue n'a pas eu lieu. Pourtant, la position de ce podium est stratégiquement bonne. Elle donne une vue générale sur le départ des chars et offre un panorama sur tout le Morne L'Hôpital, lieu de la menace écologique qui pèse sur la capitale. Le manque d'éclairage, les tréteaux du commerce informel (on se souvient de l'affaire de la cathédrale) et les autobus de province en stationnement confèrent à l'endroit un aspect désorganisé. Ce podium est une idée à mieux explorer l'année prochaine.De ce poste d'observation durant le deuxième jour, on a pu constater un ordre plus régulier dans le déploiement du défilé. Contrairement au thème retenu par la mairie, le ministère de la Culture adoptait plutôt sur son char allégorique le message : « Yon Ayiti vèt se youn Ayiti banda ».
Partenariat public et privé, dit le Premier ministreAu troisième jour, le Premier ministre Jacques-Edouard Alexis a fait un long parcours à pied accompagné par le Secrétaire d'Etat à la Sécurité publique Luc Eucher Joseph, le ministre de l'Intérieur Paul-Antoine Bien-Aimé, le directeur de la PNH, Mario Andrésol. Au micro de la TNH, il a réaffirmé la détermination de l'Etat à aider la « créativité culturelle » dans le pays. Il a insisté sur une nouvelle approche incluant la participation du secteur privé en vue d'alléger les charges financières de l'Etat. Il a affirmé que, par rapport à l'année dernière, il y a une plus grande participation de la population au carnaval.Le carnaval Ayiti Vèt a soulevé des débats contradictoires entre la mairie de Port-au-Prince et le ministère de l'Environnement. Au troisième jour, nous avions été du côté de la Rue St-Honoré où des arbres ont été coupés. Il n'y a pas eu plus de stands que d'habitude. Un deuxième stand de la mairie y était érigé.
Les stands ont été faits à la va-vite. Se sont détachés du nombre, Voilà, Unibank, Cam, Tchako, Digicel, OAVCT, Mairie de Port-au-Prince.Le carnaval 2008 est tombé dans un contexte de chômage, de licenciements (Téléco) et de hausse des prix des produits de première nécessité. Si les festivités ont la vertu d'attirer l'attention vers nos désastres écologiques, elles n'auront pas encore atteint le stade de la rentabilité économique. Miroir de la situation sociale, le carnaval 2008 reflète une culture bousculée par la technologie contemporaine. Trois jours d'exutoire contre les contraintes du néolibéralisme ont encore prouvé que les traditions festives sont plus têtues que les urgences sociales.Le mercredi des Cendres, on s'activait à la destruction des stands. Le mur de clôture du palais doit être repeint.

Le stand de la mairie à la rue St-Honoré avait très tôt disparu. Des unités de la PNH protégeaient le matériel des stands détruits.Des résidents de certains quartiers de la capitale remercient l'EDH pour le miracle de l'électricité durant les trois jours. Le morne l'Hôpital était illuminé comme un fanal.Et c'était beau.Tandis que les coups de marteaux résonnaient ici et là sur les structures métalliques, les filles en vert et blanc pleines de rythme et de générosité dansaient encore sur les murs de la Tour 2004 comme pour promettre que la ville retrouvera ses arbres.
Pierre Clitandre

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