Google

vendredi 3 août 2007

Pierre-Raymond Dumas : l'homme et l'œuvre

S'il y a un écrivain serein de la transition, un vulgarisateur de la littérature haïtienne de la diaspora et de la nouvelle, c'est Pierre-Raymond Dumas. Il a marqué son siècle par la profondeur de sa pensée et par son esprit d'analyse.
Par Maxime Melay

Professeur de lettres et de sciences sociales, né en mai 1960, Pierre-Raymond Dumas est une figure remarquable du paysage médiatique haïtien. Méthodique et laborieux, il a collaboré, entre autres, à Haïti Libérée, à la revue Conjonction, à Clarté Magazine, au journal Le Matin, aux magazines Le Rouleau, L'Information et Le Courrier du Nord-Ouest. Il est un homme de vaste culture, curieux, ouvert au dialogue, perfectionniste.Discipliné et d'une curiosité insatiable, ce fin connaisseur des milieux médiatique, culturel et politique est rentré au journal Le Nouvelliste en janvier 1983. C'est au plus ancien quotidien d'Haïti qu'il va prouver avec dextérité son talent. Grâce à un travail acharné, ponctué d'une riche production thématique (culture, politique, relations internationales, sociologie, histoire, littérature, économie, environnement). Pendant de longues années, il n'écrit que sur la musique, la peinture, le cinéma, le théâtre, la littérature, la photographie. Avec fougue et passion. Etre journaliste, c'est connaître son milieu

Sensible aux aléas de la vie intellectuelle et aux vertus patriotiques, il a commencé en 1986 avec l'analyse politique. Il avait une rubrique sporadique enclenchée au début de l'après Duvalier en 1986, « Point du Jour ». Vient par la suite « Cette transition qui n'en finit pas... ». Encouragé par Carlo Désinor et Lucien Montas, il s'est engagé dans cette initiative louable.

Il a été boursier du gouvernement français pour un stage de formation en journalisme au Centre international des étudiants stagiaires en France (novembre 1987- mars 1988). Il a aussi effectué un voyage de formation aux Etats-Unis d'Amérique à titre de visiteur dans le cadre du Programme d'Education mutuelle et d'Echanges culturels du gouvernement américain (28 septembre -27 octobre 1987).

Ce fin commentateur a occupé différentes fonctions en plusieurs occasions. Il a été directeur de l'information de la Radio et de la Télévision nationale d'Haïti (février 1987- juin 1987), directeur de la Radio nationale d'Haïti sous le gouvernement provisoire du général Prosper avril (juin 1989- décembre 1989), directeur de la Culture et des Arts au ministère de l'Information, de la Culture et de la Coordination (MICC), assistant-directeur général du quotidien d'Etat « Haïti Libérée » (juillet 1987- décembre 1987), directeur général a.i du Musée du Panthéon national haïtien (MUPANAH).Doué d'une mémoire prodigieuse et d'une intelligence vive, l'homme a appris à connaître son milieu. Il connaît tout le monde et en parle avec jubilation. Parfois, il est agité, instable. Vivre avec lui demande qu'on l'écoute, qu'on observe scrupuleusement ses commandements. C'est un journaliste pour qui la vie, malgré ses détours sinueux, est une grande école. Il a su bien apprendre à cette école (de la vie).

Dans ses succès et dans sa vie intellectuelle, dois-je rappeler au passage qu'il est donc le produit de la générosité magnanime de Simone Jean-Paul (15 août 1922- 28 février 2006) qui l'a adopté et élevé dans le respect des plus hautes valeurs citoyennes et chrétiennes. Par son idéal et son sens du bien commun, il est un grand homme, un modèle pour les faibles et les enfants abandonnés dans la vie. Dumas: une plume sarcastiquePrincipal vulgarisateur de la littérature haïtienne de la diaspora et de la nouvelle haïtienne, il est aussi considéré comme le plus constant spécialiste de la force publique en Haïti avec ses deux ouvrages : « Une Armée dans la mêlée » (1994) et « Fin du Militarisme Haïtien ? » (1996). L'auteur de « Panorama de la littérature haïtienne de la Diaspora » appartient à cette espèce d'écrivains vivants qui s'attachent corps et âme à leur métier. Grâce à la profondeur de son oeuvre et à son enracinement dans la culture, ce professionnel de la plume arrive à s'imposer dans une « société haïtienne difficile ». Notre analyste politique prépare actuellement une série d'ouvrages sur Anthony Phelps, Frankétienne, François Denis Légitime. En phase avec notre quête de la modernité, ses nombreux articles de vulgarisation relatifs au Plan national d'Education et de Formation (PNEF) en font aussi un chroniqueur éducatif avisé et apprécié.

Avec sa bibliographie chronologique, il a su mener le bon combat. Pierre-Raymond Dumas invite le lecteur à découvrir le condensé de toute sa carrière. De toute sa vie. Il a réussi le pari d'établir lui-même le répertoire de ses articles (portraits, hommages, analyses politiques, entretiens, études, chroniques, critiques) sur les arts et dossiers thématiques publiés de 1983 à 2006. C'est la contribution personnelle de ce passionné de l'histoire et de l'enseignement à la sauvegarde de notre patrimoine culturel marginalisé et inexploité. Conçu et élaboré avec un réel souci pédagogique, ce livre distille donc un parfum délicieux. Destiné à servir de guide aux étudiants, professeurs et chercheurs, il a été réalisé pour « conforter l'image d'une Haïti solidaire et laborieuse en un temps où la médiocrité criante et les problèmes d'édition et de lecture, d'analphabétisme et de pauvreté, constituent d'implacables obstacles à la diffusion des idées de modernité» (p.27).

Dans les ouvrages portant sur la « Transition d'Haïti vers la démocratie », Pierre-Raymond Dumas met en valeur une écriture théâtrale. Portraits, poésie baroque ou réaliste et caricature sont autant de matériaux linguistiques qu'il utilise pour construire son édifice littéraire. Son écriture est faite d'ironie, de satire, de caricature et d'humour (Lucmane Vieux, Le Nouvelliste, mai 2007). Cette option au niveau d'écriture s'explique par son souci de rendre la vérité avec le maximum de tension, de permettre à tous les acteurs de mémoriser leurs actes barbares tant sur le point moral que politique. Le directeur de communication à la Primature a opté pour un style ironique afin de mieux rendre compte du côté tragi-comique de la transition dans sa phase putschiste. Il s'inspire de l'écriture spiraliste de Frankétienne et utilise des recettes narratives pour relayer, par-delà les fracas des événements, la voix parfois sourde des sans-logis.

Animé de la volonté de servir, d'être en communication et en communion perpétuelle avec le lecteur, il aborde des sujets ayant rapport avec la politique, l'histoire immédiate, le processus houleux et tumultueux de la transition d'Haïti vers la démocratie. Il traite des sujets relatifs à la culture haïtienne, à la musique haïtienne, à l'art. C'est sa passion.Mis à part ses ouvrages sur la transition, trois autres m'ont marqué. D'abord, « Frédéric Marcelin économiste ou les riches dépouilles d'un ministre des finances » se veut une monographie à haute portée didactique. Ce livre présente la composante économique fondamentale de ses écrits non moins biaisés par des prismes idéologiques. C'est son ouvrage le plus réussi, tant dans l'agencement des idées qu'au niveau rédactionnel. C'est une mine de connaissances.L'art du portrait

Puis, « Portraits politiques et Hommages divers » comporte une série d'hommages rendus à Fidel Castro, à Balaguer et à Edmond Paul, l'une des grandes figures du XIX e siècle. Il y a des êtres de chair et de sang comme Yanick Lahens, Huguette Hérard. En clair, le portrait permet à l'écrivain de combiner à la fois l'émotion et la raison, le fond et la forme, le message et la controverse. Enfin, « Littérature et Oraliture fragmentaires d'Haïti » a le double mérite d'être à la fois une oeuvre exploratoire et didactique. Réparti en cinq grands chapitres, ce livre est un véritable plaidoyer en faveur de l'introduction de la nouvelle dans l'enseignement de la littérature haïtienne, un relevé commenté des bibliographies des études littéraires haïtiennes, un inventaire exhaustif des nouvelles, récits et contes haïtiens publiés en volume.

Somme toute, son oeuvre a une haute portée didactique. Elle est une manière de voir autrement Haïti. Pierre-Raymond Dumas, c'est un professionnel de la plume, un visionnaire qui aime son pays.

(1) DUMAS (Pierre-Raymond), La transition d'Haïti vers la Démocratie. Les 7 mois d'Aristide-Préval (tome II/volume I), L'Imprimeur II, La Collection Pacte pour la Réforme et la Démocratie, Port-au-Prince, 2001, 195 p.

(2) DUMAS (Pierre-Raymond), Littérature et oraliture fragmentaires d'Haïti, L'Imprimeur II, Le Texte Court, Port-au-Prince, 2006, 193p.
(3) DUMAS (Pierre-Raymond), Frédéric Marcelin ou les riches dépouilles d'un ministre des Finances, L'Imprimeur II, Port-au-Prince, 2000, 346p.
(4) DUMAS (Pierre-Raymond), Portaits politiques et hommages divers, L'Imprimeur II, Port-au-Prince, 2005, 218 p.
(5) DUMAS (Pierre-Raymond), Panorama de la littérature haïtienne de la diaspora, L'Imprimeur II, Port-au-Prince, 2000, 504 p.
(6) DUMAS (Pierre-Raymond), Bibliographie chronologique des écrits de Pierre-Raymond Dumas (1983-2006), L'Imprimeur II, Port-au-Prince, 2006, 368 p.
(7) DUMAS (Pierre-Raymond), Fin du Militantisme Haïtien?, L'Imprimeur II, Port-au-Prince, 1996, 181 p.

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=46656

Aucun commentaire: