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lundi 16 avril 2007

HISTOIRE: Il y a cent ans naissait François Duvalier

Par Lyonel Trouillot
lyoneltrouillot@lematinhaiti.com
Cent ans après sa naissance, cinquante ans après son élection à la présidence de la République, trente-six ans après sa mort, François Duvalier fait encore peur.
Il est parfois de ces morts qui ne veulent pas mourir.
François Duvalier ne veut pas mourir. Pas seulement parce qu’il rêvait d’éternité. Pas seulement parce qu’il a versé beaucoup de sang et que l’Histoire garde la mémoire du sang. Il ne peut pas encore mourir, parce que tout n’a pas encore été dit sur ce qui l’a amené au pouvoir, sur ce qu’a été le régime politique qui porte son nom, sur la société haïtienne telle qu’elle fut avant son arrivée au pouvoir, telle quelle fut durant les années de « la révolution au pouvoir », telle qu’elle est aujourd’hui.

Il ne peut pas encore mourir, parce que nous avons choisi d’oublier, chacun sa parcelle d’histoire : des faits, des conjonctures, des pratiques. Parce qu’on ne peut pas se rappeler la période Duvalier en ne s’intéressant qu’à la personne du « bon docteur ». Pour comprendre cette période, c’est Haïti qu’il faut oser comprendre, et ce n’est pas chose facile. Cela demande beaucoup de courage, le tout, pour parodier Eluard, étant de tout dire. Quand il s’agit de Duvalier, du « duvaliérisme » (donc d’Haïti, puisque Duvalier, « le duvaliérisme », « le jean-claudisme » s’inscrivent dans ce tout qu’est la vie de la société haïtienne) les uns comme les autres aiment bien mentir par omission, privilégier tel aspect, occulter tel autre. Et souvent ce dont on parle n’a d’autre valeur que de faire oublier ce qu’on ne veut ni dire, ni voir, ni entendre.

Aujourd’hui, prétextant le marasme, les échecs politicoadministratifs de l’après-Duvalier, d’aucuns voudraient minimiser l’horreur du crime, oublier l’écrasement de la société civile par le totalitarisme, minimiser le poids du triomphalisme obscurantiste du macoutisme sur les vies. Le duvaliérisme a la légitimé, le droit de tuer et mérite ainsi sa place d’honneur dans le palmarès des régimes totalitaires, toutes époques et toutes géographies confondues. A-t-on le droit d’oublier cela, de le défendre ?

Il faut dire aussi, et c’est la seule façon honnête et intelligente de faire face à ses apologistes, que la présidence de François Duvalier a été combattue dès le début par des forces issues d’une logique de caste. Il faut dire aussi que c’est dans un contexte de quasi ségrégation, d’expression de frustrations légitimes contre les préjugés et des formes avilissantes d’exclusion sociale que Duvalier est arrivé au pouvoir. Il faut dire que l’une des contradictions du « duvaliérisme au pouvoir », c’est la cohabitation d’une volonté de créer des institutions sociales et de service public et d’un totalitarisme partisan et obscurantisme.

Dire cela, ce n’est pas faire l’apologie d’un régime totalitaire, mais analyser l’histoire. Car, en aucun cas, ceci, comme on dit, ne justifie cela. Les horreurs du duvaliérisme ne peuvent nous faire oublier la résistance farouche des pratiquants de l’exclusion sociale aux changements que sa présidence pouvait annoncer. Comme cette résistance et ces odieuses pratiques sociales ne peuvent justifier le brochage à la baïonnette d’un nourrisson, l’arrestation d’un professeur dans sa salle de classe, l’exil, la torture, la destruction de toutes les organisations civiles, l’inféodation de toutes les institutions, le dévoiement de la conscience individuelle de jeunes vite convertis par le régime à l’art de la délation, de la corruption et la répression… On ne peut jouer l’une contre l’autre les deux moitiés du pire…

Et puis, trop de gens instruits ont perpétué l’amalgame : duvaliérisme = noirisme = indigénisme. Cela aussi, il faudra l’admettre : c’est le mépris du populaire, du rural, de certaines composantes de l’haïtiannité qui a permis que le duvaliérisme glisse ses vagues éléments de doctrine dans le discours de la juste revendication de la promotion des composantes refoulées de la culture et de l’organisation sociale haïtienne.
Duvalier, c’était aussi un art de la caricature. Il nous en a laissé une preuve vivante, le régime de son fils, la grande réconciliation (si véritable querelle il y avait) entre le totalitarisme version liquénifiée et le pouvoir économique.

Cent ans après sa naissance, cinquante ans après son arrivée au pouvoir, vingt-sept ans après sa mort, il est grand temps que François Duvalier commence à mourir. Pour cela, il faut que l’histoire avance, l’histoire-récit qui doit tout dire, l’histoire de la pensée qui doit oser penser, l’histoire réelle qui doit mettre fin à toute possibilité que nos errements permettent qu’il ressuscite.
samedi 14 avril 2007

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