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mercredi 6 mars 2013

Au Venezuela, l’après-Chavez a commencé. Atteint d’un cancer, le Président réélu a annoncé sa rechute, et désigné son successeur.

« Une page se tourne pour le Venezuela »
Depuis deux ans, il entretient le mystère autour de lui. On ne connaît ni la nature, ni la gravité de son cancer. Dimanche 30 décembre, le vice-président Nicolas Maduro, seul habilité à communiquer sur son état de santé, annonce que Hugo Chavez « souffre de nouvelles complications ».
Elles découlent apparemment d’une infection respiratoire contractée à la suite de cette dernière opération intervenue à Cuba. Les médecins mandatés par le pouvoir castriste tentent une nouvelle fois de remettre sur pied la figure du socialisme sud-américain. Mais la venue à son chevet de Nicolas Maduro et de ses proches ne rassure guère sur l’état de santé préoccupant de Hugo Chavez. Pour Janette Habel, enseignante à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL), c’est un bouleversement : « Une page se tourne pour le Venezuela.
Mais aussi pour l’Amérique latine. » Pendant plus d’une décennie, Hugo Chavez a transformé la politique et la géopolitique d’Amérique latine. Aucune personnalité politique du continent n’a aujourd’hui la légitimité ou le charisme pour prendre le relais.
1 Hugo Chavez n’est pas encore réinvesti président du Vénézuela Réélu, Hugo Chavez n’a pas encore été officiellement reconduit à la tête du Venezuela. La cérémonie d’investiture doit intervenir le 10 janvier. Selon la constitution, la succession s’organiserait différemment si elle intervenait avant ou après cette date.
Deux solutions sont envisageables :
Hugo Chavez est investi mais ne peut pas aller au bout de son mandat de six ans : des élections doivent être organisées sous trente jours, un délai court qui ne laisse quasiment aucune place à un renversement de l’équilibre politique du pays. Ayant désigné son successeur, c’est Nicolas Maduro qui héritera du pouvoir ;

Hugo Chavez n’est pas en mesure d’être investi : jusqu’à ce qu’un nouveau président soit élu, c’est Diosdado Cabello, le président du Parlement, qui sera aux commandes. Ecarté par Hugo Chavez, qui lui reproche de traîner quelques casseroles (des soupçons de corruption pèsent sur lui), Cabello pourrait avoir du mal à quitter le fauteuil après trente jours.
Il redeviendrait aussi une alternative crédible. Mais la probabilité d’assister à une guerre de succession est faible selon Alain Musset, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales(EHESS), qui a dirigé « Géopolitique des Amériques » (éditions Nathan, 2006) : « Le successeur est désigné, c’est Nicolas Maduro. Cabello n’a pas été désigné car Chavez ne lui fait pas confiance. A la disparition du leader, des distensions au sein du parti vont apparaître, mais plus tard. Je ne suis pas sûr que quelqu’un ose s’opposer à la dernière décision du chef. Ça serait presque vu comme un sacrilège – j’utilise volontairement le mot. Même si Maduro n’est pas charismatique, il bénéficiera du “martyr Chavez”, dont il est l’héritier. » Il aurait trente jours pour convaincre. Au-delà des personnes, l’héritage politique de Hugo Chavez sera autrement plus compliqué à assumer. C’est ce que confirme Janette Habel : « Même s’il a dépassé cette tradition en mettant en œuvre une politique sociale radicale et un projet d’alliance latino-américaine, Chavez s’inscrit dans le courant des militaires nationalistes réformistes de gauche d’Amérique latine. Ces derniers n’ont rien en commun avec les gorilles et dictateurs d’Argentine ou du Chili. Chavez respecte la démocratie, même si, ancien militaire, il a cette culture du chef, très autoritaire. Ce qui explique qu’il puisse être vu comme un caudillo. »
 2 Un bilan national contrasté
LES INQUIÉTUDES D’AMNESTY
Dans son rapport annuel de 2012, Amnesty International dresse la liste de ses inquiétudes pour l’état des droits de l’Homme au pays d’Hugo Chavez : « Des défenseurs des droits humains ont reçu des menaces et les détracteurs du gouvernement faisaient toujours l’objet de poursuites engagées pour des motifs politiques. Les mécanismes mis en place pour garantir le respect de l’obligation de rendre des comptes afin d’assurer la bonne marche de la justice et pour contribuer à la prévention des brutalités policières demeuraient insuffisants. De graves épisodes de violences survenus au sein de prisons extrêmement surpeuplées se sont soldés par la mort d’un certain nombre de détenus. »
Les réussites sociales d’Hugo Chavez sont incontestables. Janette Habel rappelle qu’elles lui ont assuré le soutien indéfectible des Vénézuéliens : « J’ai été observatrice au Venezuela lors de deux élections. Je vous assure qu’à chaque fois, il a été élu sans contestation possible. Il a derrière lui la majorité de la population, à savoir les plus pauvres. Notamment dans les Ranchos, des bidonvilles où les enfants ont désormais droit à l’éducation, à la santé. Il a aussi fait construire ces derniers mois quelque 200 000 logements neufs pour les plus démunis. »
Mais en œuvrant sans compter pour obtenir l’adhésion de la frange populaire, Hugo Chavez s’est mis à dos une partie de la classe moyenne. Et les élites traditionnelles – les libéraux et conservateurs ont longtemps gouverné –, lui ont définitivement tourné le dos.
Elles critiquent la démagogie, l’autoritarisme (voir ci-contre les inquiétudes d’Amnesty International) et le clientélisme du pouvoir, comme l’explique Alain Musset : « Les classes populaires lui sont redevables, car Hugo Chavez est à l’origine d’avancées sociales. Il a multiplié les investissements sociaux avec l’argent du pétrole qu’il a aussi transformé en arme diplomatique, rompant les liens entre le Venezuela, les Etats-Unis et l’économie de marché entretenue par les élites. Mais l’opposition considère que cette politique revient à acheter les voix des plus pauvres. Et dénonce la verticalité du pouvoir vénézuelien. » « Le socialisme du XXIe siècle est un échec » Mais c’est en fait sur sa gauche que Hugo Chavez pourrait être le plus critiqué, car il doit en grande partie son ascension politique à son idéologie socialiste, inspirée des Fidel Castro, Salvador Allende, Juan Velasco Alvarado, Omar Torrijos...
Lors de son accession au pouvoir, il s’est ainsi présenté comme le représentant du « socialisme du XXIe siècle ». Selon Alain Musset, malgré sa politique volontariste, Hugo Chavez n’a pourtant jamais initié les changements structurels nécessaires à la réalisation de son ambition. Et à l’entrée dans une nouvelle ère socialiste : « Avant Chavez, le Venezuela avait une économie de rentes, issue des hydrocarbures, qui bénéficiait aux élites. Les bénéfices vont désormais ailleurs.
Mais c’est encore et toujours une économie de rentes. Chavez n’a pas utilisé l’argent du pétrole pour transformer la production et le tissu économique du pays, ce qui aurait du même coup transformé le tissu social.
 Certes, il y a plus de justice redistributive, mais elle est soumise au bon vouloir de l’Etat. Si la droite revient au pouvoir, ces mécanismes disparaîtront et les classes populaires n’auront rien gagné dans l’affaire. Car le Venezuela est extrêmement dépendant de ses importations. Sur le long terme, une telle économie de rentes n’est pas viable.
Le successeur de Chavez aura certainement à affronter une crise économique, politique et sociale. »
3 Chavez, militant de l’intégration sud-américaine 
Même ambivalence sur la scène internationale.
Si Hugo Chavez bénéficie à l’étranger d’une indéniable stature, il le doit en partie à son charisme, à sa rhétorique et à ses positions tranchées. Il a endossé le rôle de chef de file des opprimés, des pays émergents, des nations du Sud. Avec un discours hargneux à l’égard des Etats-Unis pour incarner son propos. Toutefois, selon Janette Habel, le leader socialiste a connu bien des « conquêtes régionales », faisant de l’unification sud-américaine son cheval de bataille : « Il a consolidé l’indépendance nationale de son pays en se revendiquant deBolivar, héros de l’indépendance des colonies espagnoles d’Amérique latine.
C’est dans cette optique qu’il a nationalisé les compagnies pétrolières.
Mais il a aussi porté la voix des pays voisins (Bolivie, Equateur, certaines îles des Caraïbes, certains pays d’Amérique centrale) en leur fournissant du pétrole, parfois à des taux extrêmement préférentiels (à l’image de Cuba), avec la seule ambition de consolider l’intégration latino-américaine. Cela lui a apporté un soutien de poids, notamment à l’ONU, où de nombreuses nations l’ont suivi. »
Dès son arrivée au pouvoir, Hugo Chavez a ainsi fait de la scène régionale sa priorité en matière de politique étrangère. Nicolas Maduo cumule d’ailleurs les rôles de vice-président et de ministre des Affaires étrangères. La diplomatie chaviste s’articulait autour de trois institutions, qu’il a contribué à créer, puis à renforcer : L’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba) L’Union des nations sud-américaines (Unasur) La Communauté d’Etats latino-américains et Caraïbes (Celac) En organisant politiquement une communauté des Etats latino-américains, en assumant le leadership de ces organisations, Hugo Chavez a fait reculer très largement l’influence des Etats-Unis sur ce territoire, explique Janette Habel : « Derrière tout cela, il y a une chose : le déclin relatif de la puissance américaine sur le sol sud-américain. A sa mort, l’enterrement sera un événement. Tous les chefs d’Etat de la zone seront là, c’est certain. »
 Bras dessus bras dessous avec Ahmadinejad Hugo Chavez allie souvent la parole aux actes. Critiquant l’impérialisme des Occidentaux, il a amorcé un rapprochement avec la Russie, la Chine, et surtout l’Iran – membre influent de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), comme le Venezuela –, au risque de basculer dans « l’axe du mal » de l’ancien président George Bush, selon Alain Musset : « On l’a ainsi vu prendre le président iranien Ahmadinejad par l’épaule pour énerver les Etats-Unis. »
Même scepticisme pour Janette Habel : « Je ne suis pas sûre que c’était la meilleure solution pour manifester son désaccord [avec les Occidentaux, ndlr]. “ Pas certain que Nicolas Maduro ou qu’un successeur prochain pousse jusque-là l’effronterie. L’héritage de Hugo Chavez sera bien difficile à assumer. http://www.rue89.com/2013/01/02/la-succession-dhugo-chavez-un-heritage-difficile-prolonger-238236

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