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mercredi 11 janvier 2012

Deux ans après le séisme, tout reste à faire en Haïti

Près de 500'000 Haïtiens vivent toujours sous tente deux ans après le tremblement de terre meurtrier du 12 janvier 2010.

Légende: Près de 500'000 Haïtiens vivent toujours sous tente deux ans après le tremblement de terre meurtrier du 12 janvier 2010. (Keystone)
Processus politique paralysant, manque de leadership de la communauté internationale, épidémie de choléra aggravante: deux ans après le tremblement de terre qui a dévasté Haïti, le pays le plus pauvre de l’hémisphère nord peine toujours à relever la tête.
Estimés à 1,5 million au lendemain du séisme du 12 janvier 2010, qui avait fait près de 250'000 victimes, les déplacés sont encore un demi-million deux ans plus tard.
L’ONU tire pourtant un bilan positif des efforts réalisés par la communauté internationale. Selon un état des lieux dressé fin novembre 2011, près de cent mille abris temporaires ont été construits et 21'000 maisons réparées ou reconstruites. «Nous pouvons dire que la réponse humanitaire a été un succès», s’est félicité Nigel Fisher, le coordinateur humanitaire de l’ONU.
En Haïti comme au sein de la diaspora, cette vision optimiste est très loin d’être partagée. «On ne peut pas dire qu’il se soit passé grand-chose ces deux dernières années, soutient Charles Ridoré, sociologue haïtien établi en Suisse.
L’ONU est à la fois juge et partie. On l’a bien vu dans le cas de l’épidémie de choléra. Il a fallu une expertise externe pour qu’elle reconnaisse sa responsabilité dans l’importation de cette maladie sur l’île.»
«La situation humanitaire n’est pas bonne, commente Gérard Bedock, chef de mission de la section suisse de Médecins sans frontières (MSF) en Haïti. Il est erroné de parler de succès. On en est encore à déblayer les gravats, près de la moitié des déplacés vit toujours sous tente et l’épidémie de choléra fait rage depuis plus d’une année.»

Blocages politiques
Le manque de leadership, à la fois de la communauté internationale et du gouvernement haïtien, n'a pas permis de mettre en place un plan global de reconstruction. Intronisé le 14 mai 2011, le nouveau président Michel Martelly a passé les six premiers mois de son mandat à se battre pour trouver une majorité parlementaire et faire passer son gouvernement. Et ce dernier n’a pas encore annoncé la liste de ses projets prioritaires.
«C’est le signe que nous patinons, commente Frantz Duval, rédacteur en chef du Nouvelliste, le quotidien de référence du pays. Mais c’est aussi le prix de l’improvisation, car Monsieur Martelly n’était pas un homme politique. Le processus est compliqué. La bonne chose, c’est que ça se passe sans violence et recours aux armes.»
Chaotique et non coordonnée, la reconstruction est amorcée par les ONG et les coopérations bilatérales, mais surtout par les particuliers. Comme sur l’immense plaine de Canaan, au nord de Port-au-Prince, où des dizaines de milliers de bâtisses plus ou moins solides surgissent de terre dans un processus de bidonvilisation irrémédiable.
Charles Ridoré réitère un constat déjà martelé il y a plus d’une année: «Il aurait fallu faire l’impasse sur les processus électoraux et mettre sur pied un gouvernement d’union nationale. On a perdu beaucoup trop de temps.»
Frantz Duval voit toutefois quelques signaux prometteurs dans l’action du nouveau président. Comme la volonté de poursuivre l’action de son prédécesseur René Préval pour attirer des investisseurs étrangers.

Le choléra meurtrier
Charles Ridoré est plus critique à l’égard de ce qu’il appelle «une forme de collusion entre hommes politiques haïtiens, décideurs internationaux et sociétés multinationales». Certaines personnes se seraient enrichies suite au tremblement de terre, tandis que le sort de la population ne s’est pas amélioré, soutient le sociologue, qui s’inquiète également du projet de rétablissement de l’armée formulé par Michel Martelly.
Une population «découragée et désenchantée», qui passe d’une calamité à l’autre sans avoir le temps de souffler, dixit Charles Ridoré. Apparue en novembre 2010, l’épidémie de choléra a déjà fait près de 7000 victimes et contaminé un demi-million de personnes.
«Malgré tous les acteurs présents sur place et tout l’argent à disposition, la réponse a été nettement insuffisante et totalement désorganisée», constate Gérard Bedock. Avec son artillerie médicale, MSF a pu prendre en charge près d’un tiers des cas. «Nous sommes en première ligne face à l’une des plus graves épidémies des temps modernes. Nous tentons de répondre dans la mesure du possible, mais le combat est inégal», affirme-t-il.
La fin de la saison des pluies devrait marquer un répit dans la progression de la maladie. «Mais qu’adviendra-t-il dans six mois, lorsque l’épidémie fera son retour?», questionne Gérard Bedock. Car aujourd’hui déjà, certaines ONG médicales quittent le territoire haïtien faute de financement ou sont contraintes de renoncer à l’aide d’urgence pour se consacrer à leurs missions de base. Dans un pays où le système de santé repose presque uniquement sur les grandes organisations non gouvernementales, principalement Médecins sans frontières, cette hémorragie fait craindre le pire.

Ambigüité de l’aide étrangère
«C’est tout le paradoxe de l’aide: il n’est pas souhaitable que les ONG s’en aillent, mais ce n’est pas soutenable non plus d’être aussi longtemps sous perfusion internationale. Durant ces deux ans, on n’a pas réfléchi comment le malade allait continuer à vivre sans sa béquille», image Frantz Duval.
Charles Ridoré cite l’exemple de sa sœur, âgée de 78 ans et membre d’une congrégation religieuse, contrainte du jour au lendemain de reprendre la direction d’un orphelinat, l’ONG américaine gérant jusque-là l’institution se retrouvant sans financement.
«Il y a une ambigüité vis-à-vis de l’aide étrangère, souligne Gérard Bedock. Les autorités locales craignent notre départ et la prise en charge de nos activités par le ministère de la Santé, qui n’est pas à même de garantir la qualité, la gratuité et l’accès universel aux soins. Mais de l’autre côté, les politiciens utilisent les ONG comme bouc-émissaires, ce qui engendre un fort ressentiment de la population à notre égard.»
Samuel Jaberg, swissinfo.ch
http://www.swissinfo.ch/fre/detail/content.html?cid=31758972

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