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samedi 22 janvier 2011

Dany Laferrière : « Haïti est une puissance symbolique »

Par Hubert Artus A Haïti, on dit « le 12 Janvier » comme, un peu plus haut sur le continent américain, on dit « le 11 Septembre ». Lors du séisme à Port-au-Prince, Dany Laferrière était sur place, et a noté tout ce qu'il a vu.
Cela donne « Tout bouge autour de moi », où l'écrivain exilé pointe le courage des Haïtiens, mais surtout la condescendance de l'Occident envers cette République autodidacte. Pour lui, plus qu'un pays, Haïti est « une puissance symbolique ». Entretien.
Exilé, il ne se sépare jamais de son passeport, accroché à une pochette autour de son cou. Ecrivain, il garde aussi toujours sur lui ce « calepin noir » où il note tout ce qui traverse son champ de vision.
L'an dernier, il a eu de quoi écrire. Il était présent dans la capitale haïtienne, en tant que co-président de la manifestation littéraire qui devait débuter… le 13 janvier, soit le lendemain du séisme. Ce devait être la deuxième édition d »Etonnants voyageurs à Port-au-Prince. Ce ne fut que peurs et pleurs.
« La terre s'est mise à onduler comme une feuille de papier »
Ce jour-là, alors qu'il s'apprêtait à déguster une langouste avec son éditeur haïtien Rodney Saint-Eloi, il crut « percevoir le bruit d'une mitraillette », et vit les cuisiniers passer en trombe. Non, ce n'était pas « une chaudière qui venait d'exploser », mais « La terre [qui] s'est mise à onduler comme une feuille de papier que le vent emporte ».
« Bruits sourds des immeubles en train de s'agenouiller. Ils n'explosent pas. Ils implosent, emprisonnant les gens dans leur ventre… »
Peu après l'éternité du séisme (« Je ne savais pas que soixante secondes pouvaient durer aussi longtemps. Et qu'une nuit pouvait n'avoir plus de fin »), trop heureux de faire partie de survivants, Laferrière s'empresse de noter cette vie qui reprend ses droits à travers tout ce béton tombé à terre.
Ce que le journaliste n'a pu ressentir
Dans notre interview, il explique la différence entre ce que les journalistes écrivaient et ce que lui, écrivain haïtien exilé depuis trente ans, voyait. « Tout bouge autour de moi » montre tout ce qu'un journaliste, dont le travail se base sur les faits et sur l'urgence, ne pouvait pas ressentir.
Le livre, écrit très vite, est paru au printemps dernier à Haïti. Pour la version française, parue en ce mois de janvier, Laferrière est revenu sur place afin de compléter ses informations, sur un drame dont le bilan final est de 316 000 morts.
La vie qui reprend ses droits
Ce que voit Laferrière, c'est la vie qui reprend ses droits après ces soixante secondes d'apocalypse. Une horreur qui, pour lui, arrivait alors que le pays se relevait d'une décennie de turbulences :
« De jeunes filles rieuses se promenaient dans les rues, tard le soir » ;
« Les peintres primitifs bavardaient avec les marchandes de mangues » ;
« Le banditisme semblait reculer d'un pas »…
Et les écrivains étaient invités à la télévision plus souvent que les députés, « ce qui est assez rare dans ce pays à fort tempérament politique ».
Ce livre, certes un témoignage, raconte toutes ces autres vies que la sienne et analyse cet « instant pivotal » : un « évènement dont les répercussions seront aussi importantes que celles de l'indépendance d'Haïti, le 1er janvier 1804 ».
Que l'Occident cesse d'être condescendant
Jusqu'ici, l'Occident s'était « détourné de cette nouvelle République qui a dû savourer seule son triomphe ». On citait souvent Haïti en exemple d'affranchissement et de liberté, cette République où les citoyens se sont eux-mêmes affranchis de la tutelle coloniale et esclavagiste au début du XIXe.
Mais l'Occident laissa Haïti « libre, mais seule », dans une relation mêlant admiration, défiance et condescendance. Ce que Laferrière appelle de ses voeux, c'est que cette condescendance cesse… et que soient montrées les preuves que l'aide internationale promise (un milliard de dollars environ) est bien arrivée. Plus qu'un pays, « une puissance symbolique »
Né à Port-au-Prince, fils d'un ancien maire de la capitale haïtienne, Laferrière a débuté sa vie de plumitif dans le journalisme culturel. C'était sous la dictature des Duvalier père et fils, qu'il égratignait régulièrement.
En 1976, après l'assassinat de son collègue Gasner Raymond, et se sachant le prochain sur la liste des « tontons-macoutes », il a quitté précipitamment Port-au-Prince pour Montréal, où il réside depuis.
C'est avec ce double regard « intérieur-extérieur » que l'écrivain évoque son pays. Un pays qui continue sans cesse « l'aventure humaine ». Première République à s'être affranchie du colon et de l'esclavage en même temps, il est devenu « une puissance symbolique ».
C'est tout ce symbole qui a repris vie dès la minute du séisme passée. « Déjà la vie » est d'ailleurs le titre du deuxième paragraphe de « Tout bouge autour de moi ».
http://www.rue89.com/cabinet-de-lecture/2011/01/20/dany-laferriere-haiti-est-une-puissance-symbolique-185868

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