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lundi 17 janvier 2011

Baby Doc de retour, les Haïtiens sceptiques

ReportageLe retour inattendu de Jean-Claude Duvalier dimanche soir a provoqué une vraie stupéfaction dans la capitale. Si quelques Haïtiens affichent sympathie ou nostalgie, la plupart restent circonspects. Par MARWAN CHAHINE
Il est 17 heures ce dimanche, le soleil se couche doucement sur Pétionville. La nouvelle commence à se répandre. Jean-Claude Duvalier va arriver en Haïti. Baby Doc est de retour. Une rumeur? Une blague? Non, tout ça a l’air d’être vrai. Les téléphones n’arrêtent pas de sonner. En apprenant la nouvelle, les gens sourient surtout d’hébètement et d’excitation. Pas de grand mouvement de joie, pas de colère non plus.
Trente minutes plus tard, devant l’aéroport Toussaint-Louverture de Port-au-Prince, trois cents personnes sont venues l’accueillir. Quelques «Bon papa Jean-Claude» sont clamés ci-et-là mais les simples curieux semblent aussi nombreux que les nostalgiques. D’autant que beaucoup sont jeunes, très jeunes. Ils n’étaient pas nés en 1986 au moment où le peuple haïtien fêtait le départ du dictateur. «Mes parents m’ont beaucoup parlé de lui», explique Marlon, un adolescent. «Avant, Haïti était un grand pays.» «Il nous faut du changement» complète sa sœur avec enthousiasme.
Enthousiaste, Franciscain, 20 ans, l’est moins. Il dit être là «pour voir» mais aussi «parce que mon père était militaire et Duvalier c’est le temps où on avait une armée». Il ne croit pourtant pas au retour providentiel et s’agace un peu de la situation. Tout le monde crie; l’avion aurait atterri. «Ça c’est du fromage, du show», lâche-t-il en désignant un groupe courant avec un drapeau haïtien; «moi, je veux du travail. Vous avez pas besoin d’un chauffeur?» A côté de lui, un homme d’une cinquantaine d’années fait cracher à son autoradio Tropicana, un hymne duvaliériste. Lorsqu’on l’interroge, son engouement est en fait très mitigé: «Il y avait un Etat mais c’était la dictature!»
«Il était roi d’Haïti?»
En pleine période électorale, l’arrivée de Baby Doc ne gomme pas les clivages partisans. Parmi son comité d’accueil, on trouve des défenseurs de Mirlande Manigat, de Michel Martelly et même de Jude Celestin, tiercé du premier tour des élections. Chacun y va de sa combinaison à imaginer Duvalier Premier ministre de l’un ou de l’autre. Des soldats de l’Onu, passent, casques bleus sur le crâne. «Minustah (la mission de l'ONU, ndlr) caca, vive la police (haïtienne)», chantent quelques badauds. Nesly, casquette vissée sur ses dreadlocks et baggy, n’approuve pas: «Vive la police? Ils sont fous?».
Certains sont là par pure coïncidence. Coincé contre la grille de sortie des voyageurs, dont la police bloque l’accès, un homme agite une pancarte ornée de cœurs, sur laquelle on peut lire «Gégé», vraisemblablement un passager de l’avion. Quelques humanitaires venus récupérer des commissionnaires cherchent à en savoir plus sur le fameux Jean-Claude: «Il était roi d’Haïti?», interroge une jeune anglophone. Lassés, les gens commencent à se disperser sans savoir s’il est vraiment parti et même s’il est vraiment arrivé. En rebroussant chemin, un jeune, visiblement énervé, prophétise: «Demain, c’est Aristide qui revient!»
Duvalier à son hôtel dimanche soir. (REUTERS)
Finalement Duvalier a quitte l’aéroport, il se dirigerait vers La réserve, un resto chic de Pétion-ville. Tout le long de la route, la vie semble suivre son cours, normalement. Par endroit, des groupes sont agglutinés derrière un poste de télé ou de radio, rien de plus. La seule scène de liesse que nous voyons se déroule devant une Eglise d’où sortent des fidèles, dansant et chantant. Sans doute ignorent-ils tout de ce retour surprise, leur messie est ailleurs.
Hypothèses
Après l’étonnement viennent les interrogations: Pourquoi ce retour? Pourquoi intervient-t-il entre les deux tours? Mais surtout: qui sert-il? Toutes les hypothèses même les plus farfelues sont envisagées à voix haute. Louis, un avocat d’une quarantaine d’années y voit une manigance de Washington ou de Paris pour garder la Minustah en fonction. Très vite, il se ravise: «Préval est dans le coup!» assure-t-il désormais. «Il a fait ça pour ne pas être lui-aussi contraint à l’exil.» Fils de Makoute, Louis a manifesté, adolescent, contre le régime duvaliériste puis contribué à porter Aristide au pouvoir avant de déchanter. Aujourd’hui, il ne sait plus très bien quoi penser: «Il a fait quoi pour son pays pendant vingt-cinq ans? Il vient rajouter sa merde?»
La Réserve était une fausse piste. Jean-Claude Duvalier et son épouse se trouvent en réalité au Karibe, l’un des plus chics hôtels du pays. Vers 21 heures, le gros des troupes a déjà déguerpi. Ne restent plus que quelques jeunes supporteurs qui, à leur démarche chancelante, ont tout l’air d’avoir déjà bien fêté leur champion. Il est minuit. Les rues sont vides, presque silencieuses. Frantz, un riche Haïtien qui habite une immense villa près de l’hôtel, est inquiet: «Ce soir, c’est calme mais demain tout le pays va manifester. Il y a des gens qui portent encore des vraies cicatrices.»
http://www.liberation.fr/monde/01012314149-baby-doc-de-retour-les-haitiens-sceptiques

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