Faut-il s’en réjouir ? Faut-il s’en inquiéter ? Lundi 27 septembre 2010, Radio Kiskeya
Les partis, plateformes et candidats vont-ils vraiment proposer des programmes ? Est-ce vraiment le temps des grands débats qui s’ouvre ? Va-t-on être épatée par de grandes idées ? La vision salvatrice pour Haïti va-t-elle enfin être dévoilée ? Est-ce venu le moment de montrer que le « blanc » n’a point le monopole de la pensée ? Va-t-on dépasser le stade du verbiage creux, du discours trompeur et mystificateur, du « mutisme militant », le fait d’être muet en campagne électorale étant devenu depuis 2006 une variante inattendue de l’action politique, avec la victoire sans grand discours de René Préval cette année là.
Si ce n’est rien de tout cela, ne faut-il pas se demander si la campagne qui s’ouvre ce 27 septembre inaugure autre chose que le temps du discours articulé. Serait-ce, par exemple, celui du déploiement des grands moyens médiatiques ? La campagne, telle qu’elle se pratique traditionnellement chez nous, ne risque-t-elle pas de se limiter à la capacité ou non des uns et des autres à ériger des billboards géants, impressionnants, exhibant des visages au canon hollywoodien, apparemment sympathiques ? Ne risque-t-elle pas d’être réduite à la distribution anarchique de photos, slogans et graffitis ?
Y a-t-il également lieu de craindre le retour de la traditionnelle époque des foules ivres de tafia menées comme du bétail, au rythme des tambours et des vaccines, par des « chefs boukman » grassement rémunérés ? Le temps du vaste et grand trafic de cartes électorales ?
La campagne ne risque-t-elle pas de se limiter, pour les uns et pour les autres, à la capacité de pouvoir simplement faire voir devant soi ou après soi le maximum de gens possible, qu’ils soient électeurs ou non, qu’ils disposent ou non de la Carte d’Identification Nationale tenant lieu de carte électorale ? L’objectif étant tout simplement de faire voir qu’on a du monde avec soi et qu’on va gagner, qu’on doit gagner.
L’aspect cocasse d’une telle réalité est que, bien souvent, les têtes que l’on voit dans tel rassemblement politique sont souvent les mêmes que l’on rencontre dans d’autres. Car, aujourd’hui, beaucoup plus qu’hier, autant les votes que la participation à des « meetings » électoraux se négocient. On n’est pas motivé idéologiquement. On fait des « deals ». Pour de l’argent , comme pour de la nourriture. Car, après tout, se dit-on, le candidat une fois élu ne règlera que ses propres affaires, alors, nous autres, pourquoi accepterions-nous d’être toujours le dindon de la farce ? La paupérisation accélérée des masses et le développement subséquent des bidonvilles et du lumpen prolétariat y sont pour quelque chose. Et c’est ce beau monde qui constitue la clientèle politique des partis et des candidats. Cela explique que la politique soit devenue si compliquée et qu’il faille disposer de plus en plus d’argent pour en faire. Car, le lumpen cela se paie. Et, avec le lumpen, plus de l’argent, et beaucoup d’argent, surtout s’il provient de fructueux et malodorants négoces, on peut faire de n’importe qui un roi, on peut conduire le pays n’importe où, même le précipiter dans un gouffre encore plus profond que celui dans lequel il se trouve déjà. Et cela peut être d’autant plus aisé si, dans la défense de ses propres intérêts, la « communauté internationale » se montre naïve, complaisante ou complice par rapport à toute éventuelle entreprise de ce genre.
Dans le cas de notre pays, ce qui est encore triste à constater c’est que le lumpen dont nous parlons ne se cantonne plus que dans les quartiers et les strates où, naturellement, on savait le repérer. Le phénomène a pris des proportions gigantesques, atteignant des couches des classes moyennes avancées, depuis les effets néfastes de l’embargo de 1991 jusqu’à la situation catastrophique post-séisme. Que de cadres, d’intellectuels, d’étudiants sont aujourd’hui des éléments du lumpen qui s’ignorent !
Il faut reconnaitre que la faillite des partis politiques et le faible niveau d’organisation de la société civile constituent des facteurs non négligeables de cette « cocoratisation » de l’univers politique. Plus de 40 ans maintenant de populisme duvaliéro-lavalassien en est la cause fondamentale.
Alors, la campagne électorale s’ouvre officiellement ce lundi 27 septembre. Revient plus que jamais sur le tapis la question relative à l’implication citoyenne dans le débat politique. Se pose également celle du recours systématique à la violence lors des joutes électorales comme réponse au déficit de débats et d’argumentations idéologiques, doctrinales ou programmatiques.
Vu les affres de l’existence dans le contexte de l’après séisme, vu le taux élevé du chômage, vu l’analphabétisme récurrent, les citoyens des bidonvilles, ceux survivant sous les tentes, la paysannerie appauvrie par les dépossessions, la dégradation de l’environnement et les méfaits du néo-libéralisme, tous, pourront-ils écouter, analyser, apprécier et finalement choisir ? Le débat politique peut-il être démocratique quand le niveau des masses et, aujourd’hui, celui d’autres couches de la population, laissent autant à désirer. Le discours ne peut être, dans ces conditions, qu’à sens unique. Et, toujours dans ces conditions, à défaut d’une situation tout à fait inattendue créée par un candidat dont le charisme et les penchants populaires ou populistes étaient dissimulés, les plus malins et les mieux nantis s’imposeront, comme à l’accoutumée.
Mais, le clou de toutes ces interrogations en est une autre non moins pertinente : à quoi sert une campagne électorale si, comme on l’affirme dans l’opposition, les dés sont pipés, les jeux sont faits bien avant d’être lancés, l’appareil électoral est partial ? En pareil cas, il suffirait que les candidats soient tout simplement nommés. L’on gagnerait du temps et l’on économiserait de l’argent. Comme dans toute approche scientifique il convient de toujours prévoir une marge d’erreur, considérons la possibilité, fut-elle mince, que tout le monde se trompe sur le Conseil Electoral Provisoire et qu’il arrive à surprendre même ses patrons étrangers et haïtiens les plus apparents. Mais, là, on est sur un terrain vraiment fragile.
Alors, la campagne électorale s’ouvre officiellement ce lundi 27 septembre.
S’il faut faire semblant, s’il faut offrir le spectacle d’une démocratie à l’haïtienne qui se situerait à bonne distance du standard que s’imposent en la matière les occidentaux, alors, allons-y pour la campagne électorale.
Marvel DANDIN
http://radiokiskeya.com/spip.php?article7084
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
lundi 27 septembre 2010
Ouverture officielle de la campagne électorale
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