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mercredi 29 septembre 2010

Jean Hector Anacacis, le trouble-fête

Haïti: Sacré Ana ! Né le 20 juillet 1955 à Cayes-Jacmel, dans un paysage de rêve, il a peur qu'on le loue ; il le désire pourtant.

La candidature du sénateur de l'Ouest, élu en 2006 dès le premier tour, était prévisible dans ce contexte de guerre ouverte à l'intérieur de la plate-forme présidentielle INITE. Enjoué mais aussi sérieux, dans ce payage orageux, Jean Hector Anacacis n'avait qu'une idée en tête: être désigné comme candidat à la présidence par cette dernière. Se présenter sous la bannière du MODEJHA est un tour de force.
Voici donc revenu, pour Ana, comme le surnomment familièrement ses proches, le temps des sunlights, des émotions fortes et des débats d'idées.
Animal politique doué d'un sens aigu de la communication, et assez indépendant pour échapper à la main mise de tous les partis, diplômé en Sciences comptables à l'INAGHEI (1997) et en Sciences Commerciales à l'Institut des Hautes Etudes Commerciales et Economiques (IHECE, 1987), il a tout connu : une enfance pénible avec une mère analphabète, Caméla Athis, fille naturelle du tout puissant André Simon, député "à vie" de Cayes-Jacmel sous les Duvalier, l'extrême solitude et la misère d'un animateur social engagé dans l'éducation communautaire et le développement durable, la hargne créatrice et les tourments d'un petit entrepreneur. Avec une intense gamme de sentiments, Jean Hector Anacacis, sourire aux lèvres, vraiment sympathique, parle avec une âme d'enfant de sa vie : les difficiles années d'études, d'abord à Cayes Jacmel (mwen te lou kankou pwa sinkant, mwen fe preparatwa 1 twa fwa), ensuite à Port-au-Prince, avec des hauts et des bas ; parrainé par son grand-père André Simon, le premier « djob » aux Presses Nationales d'Haïti sous la direction de Gabriel Ancion, où il passa plus de dix ans (du plus petit grade, opérateur de Linotype, au plus gratifiant poste, Directeur Commercial) ; la rencontre et le compagnonnage avec de grands militants de gauche (René Théodore, Gérard Pierre-Charles, Marc Romulus, Max Bourjolly, Chavannes Jean-Baptiste, Evans Lescouflair, Michel Hector, Suzy Castor), l'ère de Titid avec ses tempêtes dévastatrices, les premiers contacts avec René Préval, les élections de 2006...



René Théodore ? Ce fut la grande rencontre de sa vie. Têtu, obsédé par les choses de l'esprit, le marxisme, le théâtre, décapant, imprévisible, Anacacis est un bonhomme complexe, aussi fier d'avoir collaboré avec René Théodore contre les militaires ou Prosper Avril que d'avoir connu Jean-Bertrand Aristide ou Sylvio Claude.
Epouvantables, insensées, "Makaron", les années 1986-2004 furent celles des déconfitures, des échecs en cascade, jusqu'à l'exil de Jean-Bertrand Aristide, « un Pol Pot pour René Théodore », se rappelle Jean Hector Anacacis. Le procès ne fait que commencer. D'autres acteurs, vivants ou morts, viendront, incendiaires ou hagiographes. Or, soyons - en sûrs, leurs témoignages ne permettront pas davantage de porter un jugement tranché sur cette période tumultueuse où les cadavres se ramassent à la pelle.
Une passion profonde
L'originalité et la force de cette vie, c'est que le bilan et les ressorts substantiels portent la marque d'un tempérament de battant et d'homme de presse. Marqué par de remarquables efforts d'auto-évaluation et de perfectionnement, son long passage aux Presses Nationales a totalement transformé sa vie et l'a accoutumé aux livres, à leur valeur intrinsèque et à leur ample métamorphose : il est le PDG de la Maison d'impression Kay-Ana (Imprimerie) et le gérant responsable du périodique Haïti - Unité (fondé le 3 mars 2006).
Le temps ne viendra sans doute pas de sitôt où il sera possible de juger avec sérénité Jean Hector Anacacis en tant que sénateur. Si jamais il vient. Son secret ? Il réside dans l'absence absolue de méchanceté ou de trivialité. Cet homme politique si attentif aux travers de ses pairs et aux dérèglements de l'Exécutif est un idéaliste : de fond en comble, preuve est faite qu'il y a un seul et même Anacacis dont la plus grande passion est ancrée dans l'élaboration et l'accomplissement de travaux d'éducation communautaire et de développement durable. Responsable de la fondation Solidarité pour un Appui au Développement Local (SOPADL) et Directeur du Centre de formation en Animation Communautaire (CFAC), auteur de divers matériels didactiques à l'intention des organisation de base (you zouti kontabilite pou òganizasyon Popilèm 107 mirak ak te lakay), il a reçu une formation au Brésil sur la comptabilité des ONGs et l'animation sociale à l'IBASE (Institut Brésilien d'Analyses socio-Economiques). Parallèlement, au travers de confidences touchantes, ce fort en gueule - tellement soucieux de faire découvrir ce qu'il estime être son vrai visage - donne, de sa ville natale et de lui-même, une image profondément moins caricaturale, plus humaine, dirait-on.

Il est devenu gauchiste, communiste par opposition à la fatalité ambiante, aux malheurs séculaires des classes démunies. Une foi ardente en la perfectibilité des hommes qui le pousse à s'engager avec force dans des projets de santé, d'adduction d'eau potable, de curage de canaux, d'alphabétisation dans les quartiers défavorisés de Port-au-Prince. En écho au métier de son père (Théodore Anacacis) qui a été obligé d'aller travailler à Santo domingo comme coupeur de canne pour échapper à la fureur d'André Simon, il se livre avec jubilation (jusqu'à l'introspection), avouant ses coups de coeur, dévoilant ses états d'âme : « Je suis un pêcheur... C'est ma seule vraie passion... » C'est un être blessé, fils à maman, qui parle sur le ton de la confession, de cette tristesse rentrée. Presque sans élever la voix. Père attentif et responsable, il a quatre enfants: deux filles d'un premier lit (Fabienne et Fabiola) et deux autres avec la Dame avec qui il vit en union libre depuis plusieurs années (Anne-Sophie et Olivier).
Donc, voici un politicien qui charme, même s'il donne effectivement l'impression de trop souvent flotter. Rarissime. Avec un discours un peu bon enfant, mais qu'on devine sentimental, quand il dit qu'il aime la vie simple, les petites gens, la terre, l'arrière pays. Utilisant un langage imagé et une posture théâtrale, tout son art est d'aller au plus profond avec l'air de ne pas y toucher. C'est que le monde politique est traversé de part en part par la duplicité, l'imposture, la bêtise et le cynisme. Entre les mots, les gestes, l'enfance surgit. Brave nature humaine !
Un intarissable bavard
A supposer que l'on fasse introspection vertu, les surprenantes révélations de Jean Hector Anacacis seraient, sans nul doute, pour la postérité, consignées dans des livres d'histoire. Bien trop fin pour laisser percer son jeu, avec son art inimitable du « scoop », il a offert jusqu'ici aux Haïtiens une image sulfureuse, contradictoire, fascinante, singulière. « René Préval ne m'appelle jamais pour me donner des instructions, précise-t-il sans aucun détail. J'anticipe au contraire. Par contre, il arrive souvent que je l'influence. Vu mes rapports étroits avec Jude Célestin qui remontent à plusieurs décennies, qui remontent à nos années studieuses, le président passe parfois par ce dernier pour me faire taire. » D'ailleurs, reconnait-il avec une certaine fierté, sa candidature du Sénat en 2005 a été vivement recommandée par Jude Célestin et Marie Claude Préval Calvin et acceptée par René Préval.
Reconnaitre à Jean Hector Anacacis un contrôle exceptionnel de son expression et une habileté naturelle ne signifie pas que d'autres sont dépourvus de ces atouts, mais que lui en profite largement. Surtout, sa capacité d'observer, tant le jeu politique que les calculs des acteurs, et de s'adapter, sans être dupe, dénote un pragmatisme vigilant et une grande probité. Enviable, mais dangereuse sur certains point, sa situation de confident et de conseiller auprès du président René Préval lui a permis d'adopter une ligne flexible et réaliste, qui explique sa sincérité.
Comme il y a des hommes politiques à mystères, Jean Hector Anacacis est un homme politique à révélations, ou, si vous préférez, un intarissable bavard. Les secrets d'alcôve politiques, les anecdotes, les digressions, il les digère, les compile, finit par les rendre publics. Il en fait son dada - un véritable dévoreur -, son sport favori. Sans doute un cas unique, un spécimen. Les tourments de l'existence et les simulacres de la vie politique lui serrent la gorge, et il ne reprend son souffle que dans le rire et la dérision. Les tumultes de l'actualité, les grimaces de la société et les bouffonneries du pouvoir le retiennent dans la mesure où ils participent de la comédie humaine. Le terme « hypocrisie » n'appartient pas à son vocabulaire. C'est que ce militant politique adore le micro, la scène, les débats d'idées. Très à l'aise face aux journalistes qui l'adorent, il veut toujours prouver qu'il a quelque chose d'intelligent ou spectaculaire à dire. Un exemple riche en actualité?
« Le choix de René Préval, c'était ou bien Jude Célestin ou moi. Puisque je suis très politique, j'ai toujours été convaincu que c'est Jude Célestin que le président va en fin de compte désigner, aime-t-il affirmer. Jacques Edouard Alexis n'a jamais été dans la tête de René Préval. Jamais, confie-t-il péremptoirement."
Minutieux et passionné, avide de bons mots, il dresse l'inventaire des indices, des manoeuvres et des décisions qui prouvent, à ses yeux d'observateur direct et d'acteur privilégié, que René Préval savait où il allait, de la chute de Jacques Edouard Alexis le 12 avril 2008 à la montée de Jean-Max Bellerive, de la mort lente de Lespwa à la formation houleuse de Inite. Ses reculs, ses atermoiements, ses concessions faites à certains groupes économiques ? Autant de ruses ou de combats souterrains, pour éviter d'être broyé par sa propre famille politique, explique Jean Hector Anacacis. Alors, pourquoi s'est-il lancé dans cette galère ?
« Parce que le président a pris trop de temps pour choisir, Jude Célestin après le rejet de Jacques Edouard Alexis par l'état-major de INITE.
Pour ne pas décevoir mon électorat, l'équipe qui est avec moi, mon entourage, mes partisans, ne pouvant plus reculer, je n'avais pas d'autre décision à prendre que me présenter comme candidat à la présidence », précise-t-il avec un grand sourire.
Pas facile, d'être Jean Hector Anacacis tant le personnage, comme la tumultueuse période politique et électorale, à laquelle il est confondu, est déroutant.
Pierre-Raymond Dumas
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=84023&PubDate=2010-09-29

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