Haïti: Un bidonville est en train de naître à la sortie nord de Port-au-Prince. Canaan est son nom. Une terre promise pour ceux qui se sont découragés d'attendre une réponse concertée des autorités à leur problème de logement d'avant et d'après le tremblement de terre. Canaan c'est aussi la débrouillardise à l'haïtienne. Des malins et des nécessiteux qui se mettent ensemble pour construire à leur manière, et avec leurs limites, leur avenir.
Il manque les penseurs qualifiés, les urbanistes et les ingénieurs, mais déjà tout le monde est sur les collines pour délimiter leur portion de terre. Il y a des profiteurs, sans doute. Des spéculateurs. Des autorités. Des leaders religieux. Toute la faune des entrepreneurs et des aventuriers qui érigent partout à travers le monde, depuis des siècles, les pays, cité après cité, ici, font un bidonville.
Les ONG sont présentes. Les commerces aussi. Il y aura bientôt les pancartes publicitaires et les vendeurs de tous les rêves. Et, un matin, les camionnettes et les taxis motos établiront les circuits pour desservir la population déjà nombreuse qui habite Canaan.
Les embouteillages à la sortie de Port-au-Prince vers les départements du Centre, de l'Artibonite, du Nord, du Nord-Est et du Nord-Ouest vont un jour prochain chatouiller les nerfs de ceux qui n'ont pas vu bourgeonner et fleurir la nouvelle communauté qui tutoie la route nationale et la surplombe.
Ce jour-là, il sera trop tard, le bidonville sera devenu ville avec son poids politique et son réservoir de votes et de consommateurs bien installés dans un décor aussi sordide que celui qu'ils ont laissé en catastrophe. Sans eau, sans électricité, sans aucune canalisation, sans drainage, sans aucune route d'accès, sans les infrastructures minimales.
De qui relève la naissance d'un bidonville ? De quel ministère ? De quelle autorité ? Qui doit l'accompagner ?
Le géographe Georges Anglade, dans une conférence prononcée au Centre Technique de Planification et d'Economie Appliquée (CTPEA) en 1991, avait déclaré que l'avenir de Port-au-Prince passe par les bidonvilles. Cette assertion ou prévision avait choqué bien de nos planificateurs. Cité L'Eternel, au Bicentenaire, en face du CTPEA, sortait à peine de terre sous l'action des militaires du régime de Prosper Avril, et les étudiants bien intentionnés y voyaient ou espéraient que ce n'était qu'un épisode passager et que le temps allait donner tort au professeur Anglade. Mal nous en prit.
Depuis, des quartiers précaires se sont multipliés dans la région métropolitaine et nous sommes toujours dépourvus de moyens pour comprendre ou maîtriser leur dynamisme.
Le tremblement de terre et la refondation promise de la capitale ne semblent rien changer. La terre tremble engloutit des maisons et laisse sortir de ses entrailles d'autres cités de bric et de broc, nos fameux bidonvilles.
A Canaan, cela se passe de nos jours et vous en êtes les témoins privilégiés.
Frantz Duval
duval@lenouvelliste.com
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
vendredi 17 septembre 2010
Canaan, un bidonville pour terre promise
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