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mercredi 28 juillet 2010

( WYCLEF JEAN) ....Le dauphin d'Aristide

Wilson Saintelmy

( D'origine haïtienne, l'auteur a immigré au Canada en 1983. Après avoir enseigné la finance à l'UQAM, il termine présentement un doctorat en droit international.)
Selon toute vraisemblance, la pop star américaine d'origine haïtienne Wyclef Jean s'apprête à déposer sa candidature aux prochaines élections présidentielles en Haïti, fixées pour le 28 novembre. Si les rumeurs étaient fondées, un tel geste aurait une portée beaucoup plus considérable qu'il n'y paraît à première vue.
La recevabilité de sa candidature risque d'être le principal obstacle sur son parcours vers la magistrature suprême de l'État haïtien. Son éventuelle participation aux joutes présidentielles semble avoir été accueillie avec le même scepticisme que celle de Barack Obama à l'investiture démocrate. Erreur. Il ne faut pas sous-estimer une telle initiative.
René Préval est de plus en plus assimilé à l'avatar haïtien de George W. Bush. Le tremblement de terre du 12 janvier dernier est à M. Préval ce que le 11 septembre 2001 et l'ouragan Katrina furent à M. Bush. De plus, Wyclef Jean a le potentiel d'être à la génération hip-hop en Haïti ce que M. Obama est à la génération «nexus» aux États-Unis. D'autant plus que Port-au-Prince a de plus en plus l'allure du Bronx des Antilles.
Jusque-là, rien pour donner des migraines à l'élite créole d'Haïti. Lorsque les médias et elle réaliseront que Wyclef Jean risque d'être davantage l'avatar de Jean-Bertrand Aristide ou de Hugo Chavez, ils anticiperont à sa juste mesure l'impact de son éventuelle élection à la présidence d'Haïti.
Un tel scénario serait la deuxième humiliation infligée par un outsider à l'élite politique haïtienne. Ce serait également un deuxième Waterloo politique, après celui de 1990, pour la communauté internationale face à la mouvance populiste haïtienne, telle qu'incarnée jadis par Jean-Bertrand Aristide.
Wyclef Jean est porteur de la même symbolique messianique que ce dernier. Il émerge comme son dauphin potentiel, du moins dans l'imaginaire des déshérités d'Haïti. Tout comme M. Aristide, il est d'origine modeste, issu de la majorité bossale. Tout comme M. Aristide en 1990, Wyclef Jean est en 2010 l'Haïtien le plus populaire. À l'étranger, en raison de sa célébrité artistique; et en Haïti, davantage pour son militantisme social.
Avocats de la cause des pauvres, les deux hommes font désormais partie de la gauche progressiste de la diaspora haïtienne. Les deux auront fait le saut en politique dans la trentaine avancée. Les deux sont des virtuoses de l'irrationnel; l'un par la théologie de la libération, l'autre par celle du hip-hop. À l'instar de M. Aristide, qui demeure un rescapé salésien devenu millionnaire, Wyclef Jean est un miraculé du Bronx new-yorkais, béatifié au panthéon mondial du hip-hop. Il apparaît aujourd'hui comme la réincarnation du rêve aristidien d'un lendemain meilleur pour la majorité bossale du pays.
Les deux hommes sont porteurs d'un double messianisme: judéo-chrétien et socioéconomique, que l'on trouve au coeur de la théologie de la libération et celle du hip-hop. Tous deux demeurent le produit de la faillite spectaculaire de l'élite créole haïtienne. Faillite matérialisée par l'incapacité avérée d'une telle élite à combler le vide de leadership observé notamment dans l'Haïti post-séisme.
Wyclef Jean sera, dans l'imaginaire populaire, la rançon politique de la trahison et du comportement fratricide de René Préval envers Jean-Bertrand Aristide, son ex-frère jumeau. Voilà qui fait de Wyclef Jean le dauphin non désiré du patriarche déchu.
Si Wyclef Jean réussit son pari, nous risquons d'assister à une double révolution en Haïti. Culturelle, la première révolution verrait la langue créole émerger, pour la première fois dans l'histoire du pays, comme langue officielle prédominante avant l'anglais, question d'accommoder l'hypothétique nouveau chef d'État. Ultime forfait à l'oncle Napoléon. Exit le français comme instrument bicentenaire de domination de la majorité bossale par la minorité créole.
Politique, la deuxième révolution s'ouvrirait sur deux avenues opposées. La première risque de conduire Haïti vers un statut factuel de 51e État américain. La seconde l'engagerait sur l'autoroute bolivaro-chévariste, en tant qu'expression du populisme et de la mouvance néo-progressiste latino-américaine.
Plausible, ce dernier scénario serait une catastrophe politique pour l'Oncle Sam.
http://www.cyberpresse.ca/place-publique/opinions/201007/28/01-4301944-le-dauphin-daristide.php

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