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jeudi 18 février 2010

Visite historique de quatre heures de Sarkozy en Haïti


LEMONDE.FR | 17.02.10 | 19h47  •  Mis à jour le 18.02.10 | 06h50
Curieux déplacement de Nicolas Sarkozy en Haïti mercredi 17 février. C'était la première visite d'un président français dans cette ancienne colonie qui se libéra en 1804 de la tutelle française. M. Sarkozy y est resté moins de quatre heures. Pour effacer les plaies du passé et préparer l'avenir. Le chef de l'Etat a annoncé un plan d'aide de 270 millions d'euros sur deux ans (hors annulation de la dette haïtienne de 56 millions d'euros). L'objectif est de placer la France à l'approche de la conférence de New York du 31 mars, qui doit décider de la reconstruction d'Haïti, et d'éviter que le pays ne tombe sous la coupe des Etats-Unis.
Dans ce pays dévasté par le tremblement de terre du 12 janvier, le faste républicain avait été à peine adapté. L'on a maintenu les apparences de l'Etat tant bien que mal. Pour ne pas encombrer l'aéroport de Port-au-Prince, la troupe présidentielle est partie sans avion de presse, les journalistes sélectionnés ayant été logés dans l'avion de rechange du président de la République. Les appareils de la République, de faible autonomie, ont dû faire escale aux Açores, car il aurait été incongru de se ravitailler à Port-au-Prince.
"NOTRE PRÉSENCE ICI N'A PAS LAISSÉ QUE DE BONS SOUVENIRS "
Sur le tarmac, le président René Préval se prépare à accueillir son hôte et ne veut pas entendre parler du passé colonial français. "L'Histoire, c'est l'Histoire, et les colonisations ont été un phénomène mondial. Depuis l'indépendance, nous avons, politiquement et psychologiquement surmonté cette période difficile, déclare-t-il. Laissez-nous recevoir le premier président français en Haïti." Restée francophone depuis deux siècles, Haïti n'a jamais totalement rompu avec la France, car elle aimait son héritage, celui de la révolution. "Nous avons conquis notre indépendance en prenant la France au mot, en mettant en action la Déclaration des droits de l'homme", dira plus tard M. Préval.
A 7 heures, M. Préval accueille donc chaleureusement M. Sarkozy, gravissant de manière peu protocolaire la passerelle de l'avion pour le saluer. La fanfare décimée par le séisme a été vite reconstituée. Et La Marseillaise retentit. M. Sarkozy et M. Préval s'engouffrent dans l'hélicoptère, acheminé par la marine française, qui permettra de survoler les zones sinistrées. Une caméra et un photographe témoignent de l'action sur le terrain du président français, qui visite l'hôpital de campagne installé dans le lycée français.
Comme à son habitude, M. Sarkozy tient ensuite une allocution à l'ambassade de France. Mais une réplique sismique menacerait l'édifice. Tout se passe donc dans les jardins, dont les murs se sont effondrés. On les a remplacés par des barbelés, et la petite foule triée sur le volet côtoie donc marchands de souvenirs, tentes de fortune, coqs en cage, étendages de linge.
Le chef de l'Etat, si peu adepte de la repentance, n'a pas masqué le passé sombre de la France dans l'ancienne "perle des Antilles". "Ne nous voilons pas la face. Notre présence ici n'a pas laissé que de bons souvenirs", déclare-t-il. "Les blessures de la colonisation et, peut-être pire encore, les conditions de la séparation ont laissé des traces qui sont encore vives dans la mémoire des Haïtiens", a concédé le chef de l'Etat. Après avoir surexploité les richesses de l'île, la France a décimé ses élites lorsque Bonaparte a tenté, en vain, de la reconquérir. Enfin, elle l'a saignée financièrement lorsque Charles X a exigé, en 1825, 150 millions de francs-or pour reconnaître l'indépendance.
"LE PEUPLE HAÏTIEN EST MEURTRI"
"Même si je n'avais pas commencé mon mandat au moment de Charles X, j'en suis quand même responsable au nom de la France", a glissé M. Sarkozy en annonçant l'annulation de la dette d'Haïti, aux côtés de M. Préval dans les jardins de la présidence dévastée. Ce geste fait partie d'un vaste plan d'ensemble de la France destiné à aider à Haïti. Et mettre la France dans le jeu, alors qu'une conférence à New York doit préparer, le 31 mars, la reconstruction en Haïti. "A ceux qui tireraient argument du dénuement actuel des Haïtiens et de leur Etat, caresseraient l'idée d'une tutelle internationale sur Haïti, je dis ceci : le peuple haïtien est meurtri, le peuple haïtien est épuisé, mais le peuple haïtien est debout", déclare le président français.
Le chef de l'Etat ne veut pas que l'île tombe sous tutelle américaine, comme elle l'a été de 1915 à 1934. Mais il se garde bien du moindre reproche direct. "Les Américains ont fait un très bon travail", assure-t-il. Tout juste concède-t-il que, "dans l'urgence, on peut créer des petites tensions", alors que le ministre de la coopération, Alain Joyandet, avait peiné à atterrir sur l'île juste après le séisme.
Le souci, c'est de trouver un moyen de vraiment reconstruire le pays. "De cette catastrophe il faut que vous fassiez un renouveau. Au fond, cela veut dire tourner le dos aux erreurs du passé", a exhorté le chef de l'Etat français. Ainsi, M. Sarkozy a appelé à un développement endogène de l'île pour "libérer progressivement les Haïtiens d'une dépendance à l'égard de l'aide internationale". Il a plaidé pour un développement qui ne profite pas qu'à la capitale, "la République de Port-au-Prince" au détriment de ses campagnes, "le pays en dehors", dans le langage local.
Le chef de l'Etat a trouvé le temps pour visiter le Champ-de-Mars, jardin public du centre d'Haïti où se pressent les sans-abri. Atmosphère bon enfant, faite de promesses d'aides, d'assurance sur les adoptions d'enfants. "A la place du chaos et des pillages qu'on nous prédisait, on a vu des foules s'organiser et se recueillir dans la dignité", a commenté M. Sarkozy. Dans son élément parmi les réfugiés, Bernard Kouchner, le ministre des affaires étrangères, s'interroge sur une reconstruction efficace. "La première mission de Médecins sans frontières, il y a quarante ans, c'était en Haïti. Ils y sont encore", déplore l'ancien "French Doctor". "Depuis quarante ans, on a vu défiler toutes les ONG. Cela a été utile, mais cela n'a pas changé le fond", explique M. Kouchner, qui donne un exemple d'interrogations : "Faut-il reconstruire les hôpitaux ou créer un système de sécurité sociale ?" René Préval ne dit pas autre chose : "Le pays n'est pas à reconstruire. Il est à construire."
Arnaud Leparmentier

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