Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
mardi 22 juillet 2008
Saut-d'Eau, route de la foi
ville de Saut-d'Eau communément appelée Ville-Bonheur, pour de nombreux croyants, est le lieu mystique d'Haïti où l'on se débarrasse le mieux de la déveine, de la guigne, des « madichon », des « dyòk », des « move zè ».
Des pèlerins de partout ont afflué à Saut-d'Eau à l'occasion de la Mont-Carmel, fêtée en cette ville d'eau de 50 000 âmes, dans le Plateau central. A l'entrée comme au coeur du bourg où se concentrent les édifices les plus importants de la commune, les gens se bousculent, les voitures roulent pare-choc contre pare-choc, les taxis-motos se frayent difficilement un passage dans ce brouhaha homérique, les 15 et 16 juillet.
Bandes de rara, pèlerins, marchandes, hougans, mendiants, putes, éclopés se mêlent dans une foule bigarrée de carnaval que la police ne parvient pas à contenir.
Les prières, les chants dédiés à la Vierge, les rites vaudou, la musique d'Azor, le vacarme des bandes de rara, l'arôme de l'encens, le relent des cornes de boeuf, l'effluve des fritures, l'odeur de thé, des compositions de feuilles sélectionnées pour des bains de chance, le fumet exacerbé de la viande de porc éveillent les sens tout le long de la route poussiéreuse menant à la ville.
Saut-d'Eau, sol jaillissant d'eau, route de la foi, terre bénie pour de nombreux croyants venus en pèlerinage, est la Ville-Bonheur, le lieu mystique d'Haïti où l'on se débarrasse mieux de la déveine, de la guigne, des « madichon », des « dyòk », des « move zè »...Sur les chemins qui conduisent à la cascade, au calvaire, à Palme ou à l'église, des gens, en groupes, allument des bougies soit au pied d'un arbre au tronc à moitié calciné, soit sur une pierre noire près d'une source d'eau. Ils prient, méditent, chantent, puis, l'instant d'après, plongent dans l'eau purificatrice dans l'espérance de renaître sous de favorables auspices.
A Palme, à quelques mètres d'une source d'eau, sous un manguier touffu, un taureau est sacrifié. On suspend la tête de l'animal aux yeux horrifiés à une branche de l'arbre. La chair du boeuf est partagée, distribuée le jour de la messe, aux mendiants.
A l'église Notre-DameDevant l'église Notre-Dame du Mont-Carmel, ils sont nombreux les mendiants en quête de nourriture qui se bousculent. Les policiers font pleuvoir sur le dos des enfants, des jeunes et des vieillards des coups de « rigwaz » ou de bâton. Chassés, ils reviennent en force vers le hougan ou la manbo qui leur distribue une pitance.
Un hougan, envahi par des mendiants, sollicite l'aide des policiers. Les agents de l'ordre utilisent agressivement leur fouet. Une femme se réclamant de la diaspora distribue des billets verts aux pauvres. Ceux-ci s'agrippent à elle, la retiennent par les bras, par la taille, tirent sa robe. Affolée, elle appelle à l'aide. Les policiers font leur devoir.
Les handicapés, moins agressifs, envoient des signaux de détresse et font peine à voir : culs-de-jatte, unijambistes, manchots, aveugles égrènent leurs éternelles litanies. A côté d'eux, les « bòkò » font tinter des clochettes et appellent les gens qui vont assister à la messe à faire une pause au pied de leur petite chaise, le temps de tirer une carte, d'allumer une bougie et de verser un peu de clairin au nom des saints et des loas.L'enceinte de l'église Notre-Dame est pleine à craquer : officiels du gouvernement, parlementaires, fidèles prêtent l'oreille à l'homélie de Mgr Pierre-André Dumas.
A peine nommé à la tête du nouveau diocèse des Nippes, l'évêque, assisté d'une vingtaine de prêtres, a fait sa première sortie officielle lors de la patronale de Saut-d'Eau, pour clamer sa foi en Dieu et demander aux Haïtiens de s'aimer les uns les autres, de s'armer de courage et de volonté pour construire un monde d'union et de fraternité en vue de faire échec à la misère qui ronge les membres de la famille haïtienne. Il explique que le chemin de la délivrance pour tout un peuple passe par le développement, seul moyen de sortir de la bêtise, de l'ignorance et des bas-fonds de la misère.
A la CascadePortant costume de bain sexy comme à la plage, une femme en transe risque de fracturer le cou dans la cascade architecturée en gradin. Ses proches la retiennent et l'emmènent loin de l'ambiance qui règne dans l'eau.
Dans l'escalier, descendant vers la cascade, un va-et-vient de pèlerins aux vêtements bigarrés et de toutes les couleurs fait penser à l'arc-en-ciel. Le site prend mystérieusement vie avec les prières, les chants et les trombes d'eau dévalant le saut où grouillent une foule de gens en quête de bénédiction.
Muni d'un morceau de savon, de parfum et d'une brassée de feuilles d'odeur impénétrable, Dr Chavannes vient aux pieds de Notre-Dame pour solliciter son intervention en sa faveur lors des prochaines élections. « Je veux briguer un poste au Sénat de la République.
Je mettrai mon mandat sous la protection de la Vierge », clame-t-il.
Le médecin jette son slip dans l'eau saturée de vêtements abandonnés et s'en va. Demain, le jour de la fête, il continuera, dit-il, son pèlerinage à l'église et au calvaire.
Rhau Winston, représentant d'une fondation haïtienne, révèle : « Longtemps, tous les documents que je soumettais à plusieurs institutions, au nom de ma fondation, étaient rejetés. Lorsque je les ai placés sous la protection de manman Marie, toutes mes demandes ont été agréées par ces mêmes institutions », avoue-t-il.
Dans les grottes, sous les feuillages de grands arbres et sur les marches de la cascade qui se répand en nappe d'eau, Saut-d'Eau continue d'exercer son attraction mystique sur des milliers de croyants.
La ville de Saut-d'Eau, de son ancien nom Ville-Bonheur, fut fondée en 1905. Elle fut élevée au rang de commune en 1926. Elle a 4 sections communales : Rivière-Canot, La Selle, Coupe-Mardigras et Montagne-Terrible.
Claude Bernard Sérant
serantclaudebernard@yahoo.fr
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=60068&PubDate=2008-07-22
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