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samedi 29 mars 2008

La route de Cornillon: un vrai calvaire

Il est des expériences qui valent la peine d'être vécues, tant elles sont fertiles en enseignements. Le voyage Port-au-Prince/Cornillon effectué la semaine dernière en compagnie du député Gasner Douze est de celles-là. Route caillouteuse, étroite et en cul-de-sac. A travers le pays profond, c'est à l'aune de cette triste réalité que se mesure la vision de l'Etat en matière d'infrastructure.
La suite dévoile le désenchantement et la détresse d'une population livrée à elle-même. Et confrontée aux défis de l'espoir qui semble posséder un ordre, une raison.
Elevée au rang de commune en 1888, Cornillon/Grand-Bois s'apprête à célébrer, du mieux qu'elle peut, son 120e anniversaire, en juin prochain. Située à quelques 12 km de Malpasse, Cornillon a une démographie des êtres et des choses. Ici, les gens naissent, vivotent et meurent. Ni route (en terre battue), ni infrastructure sanitaire viable, ni école professionnelle, ni... ni... En milieu rural, c'est la règle générale. Il faut le dire en toute bonne conscience.
A Cornillon, la précarité s'évoque sans se masquer. Elle pourrait susciter frustration et colère. Mais la colère a raison d'être quand elle est justifiée.
Après plusieurs heures en 4x4, on est en pleine savane. Des arbres géants ou rabougris, bordant la route à certains endroits, ne fournissent que des ombres dérisoires. Dans cette région apparemment lointaine, forêts et zones agricoles sont enveloppées par une certaine végétation en zig zag.
N'était l'état lamentable de la route (principale), je me sentirais plein d'allégresse intérieure propre à me faire trouver joie, plaisir et beauté devant ce surprenant paysage que constituent l'étang saumâtre, les mornes et les champs verdoyants.
Comme pour la culture du pois, de la canne à surcre et de divers céréales, Cornillon/Grand-Bois a un cadre naturel très magnifique. En route vers cette commune, le visiteur doit se contenter de pantoufles artisanales (les sandales au style du Jésus de Nazareth) pour faire des kilomètres à pied sans se préoccuper du caractère rougeâtre du sol formant assurément une masse boueuse bien compacte en saison pluviale.

La nuit, la lune toute pleine et très intense luit immensément sur la région non encore électrifiée. On distingue vers l'Est, un peu voilée de brume, la splendeur de l'étang saumâtre. Là, malgré la grande chaleur, l'air est vif. Le soleil, en se couchant, emplit l'espace de rayons pourprés. Mais, au matin, le ciel est ineffablement pur, tandis que l'air, trop chargé de vapeur pour être parfaitement limpide, étale sur le vert sombre des jardins et le vert glauque des savanes plutôt désolées un glacis de nacre azurée.
Le charbon de bois
A hauteur du lac, on domine admirablement Croix-des-Bouquets. Les considérations de Tézée, un riverain de 54 ans, sur l'importance accordée par l'Etat haïtien au développement de la région, paraissent d'autant plus justes et fondées en raison qu'elles confirment le résultat de mes propres observations. L'homme, souriant, souligne en passant l'hypersensibilité des paysans à l'égard de tout ce qui a trait à l'agriculture, l'élevage, le charbon de bois et la sorcellerie. «Nous sommes en bon commerce avec les Dominicains à qui nous vendons régulièrement des dizaines de sacs de charbon.

C'est ce qui nous permet de subsister en cas de sécheresse», raconte-t-il, avant de reconnaître la stratégie de ses voisins qui consiste à protéger leur environnement à ses dépens.
Parlant de la sorcellerie, le quinquagénaire indique que la coutume veut, à Cornillon, qu'un malade, à la suite de sa convalescence, change de nom. Ce, pour bien marquer sa guérison et que l'être malade était mort. Enthousiaste, abordable, c'est le seul de tout le groupe qui l'entoure qui risque de dire des choses à un inconnu.
L'homme plaide à son corps défendant pour un vaste mouvement communautaire soucieux d'améliorer l'accès à la commune.
Pour sa part, le député de la circonscription de Cornillon/Grand-Bois, Gasner Douze, heureux que le ministre de l'Education, Gabriel Bien-Aimé, ait procédé au lancement officiel des travaux liés à la construction d'une école fondamentale dans la commune, n'a pu être en reste: «Un vent nouveau souffle sur la région qui reçoit la visite d'un ministre dans le cadre de ce projet. Pour la première fois depuis 120 ans, Cornillon/Grand-Bois accueille un haut responsable de l'Etat», fait-il remarquer en rappelant le passage du président Sténio Vincent dans la zone en 1941.
Préoccupé par la nécessité de construction d'un lycée, d'une école professionnelle et d'infrastructures routières, M. Douze demande à la population de garder l'espoir que ses revendications trouveront sans aucun doute pleine et entière satisfaction, encore que les gouvernement s'est manifestement engagé à accompagner la paysannerie, déterminante dans la relance de la production nationale.

Un préjugé assez adieux
Cornillon/Grand-Bois? C'est l'exemple typique de la politique antinomique (ville/campagne) ayant prévalu. Et qui a force de loi. Le préjugé paraît odieux à Maryse, une commerçante, qui exige que cette politique soit arrêtée. « Les missionnaires de cet Evangile n'ont plus rine à faire, s'ils veulent entrer la tête haute dans la nouvelle histoire socioéconomique nationale », proclame-t-elle avec un certain dépit.
Cornillonnais et Grand-Boisiens sont du même avis: en milieu rural, les paysans ne sont rien et n'ont droit à rien. Pas même à leurs terres. La misère et l'analphabétisme sont leurs maîtres. Mais il y a une particularité: la cité jouxte Thomazeau qui a vu naître de hauts gradés des Forces Armées d'Haïti (FADH), une bourgade dotée d'un petit ruban d'asphalte, ne paraît pas moins arriérée. Rien qu'à cause de cela, les riverains de la commune rêvent de voir leur région devenir aussi accessible que Thomazeau dont la vérité est pourtant à écrire. Sans clientélisme ni voyeurisme.
Considérant la précarité de leurs conditions de vie, l'isolement de leur région du reste du pays, les Cornillonnais/Grand-Boisiens pourraient avoir raison d'avoir la plus grande méfiance envers les politiciens et les ONG qui, tout "modernes" qu'ils sont, accusent tant de retard par rapport à l'importance accordée au développement socioéconomique de toute la région pour laquelle tout n'est pas perdu jusqu'ici.


Robenson Bernard

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