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jeudi 15 novembre 2007

Le Far-West désemparé ....

Précarité, misère: deux faces de la réalité socio-économique du Far-West, comme tout le pays. L'une, génératrice d'ennuis, porte parfois les populations à jouer légitimement les fâcheux. L'autre, couvrant la première et l'entretenant, rend les tâches collectives encore plus urgentes.
«Détresse? C'est de cela qu'il s'agit...»
Des canots pêcheurs aident des passagers à traverser les Trois-Rivières (Photo: Ronald Saintuné)
Ce mot plaintif et plein de pitié est attribué à un observateur qui, au moment de traverser les Trois-Rivières en direction de Jean-Rabel dans son 4x4, s'est vu approcher par deux gamins débonnaires faisant office de guides. Et l'indiquant à libérer son véhicule de certains de ses équipages pour faire la traversée à bord de petits canots marchands taillés vraisemblablement avec des pierres tranchantes.
C'était dans la matinée du 11 novembre 2007. A 9h30 exactement. Des pluies s'étaient assurément abattues sur la région. Et la rivière était en crue. Convaincu que les "canots de pêche", comme le véhicule "tout-terrain" pourrait fendre les eaux mêlées en quelque sorte à la terre qu'elles emportent sur leur passage, notre observateur finit par obtempérer. Résultat positif. Mais, à bord, l'efforcement ne pouvait se comparer qu'à l'engoisse rétrospective: jusqu'à la décennie du bicentenaire de l'indépendance, l'Etat haïtien n'est pas parvenu à jeter un pont sur la rivière afin de relier les populations en saison pluvieuse.

Certaines versions venant des gens qui s'y connaissent en sortilèges font croire que les déboires causés généralement par les Trois-Rivières en période de pluie sont le fait d'esprits maléfiques qui s'opposent à tout projet de construction de pont. Excuse ou litanie? «Les responsables sont comme sous les ordres de ces êtres irrationnels», raille un ouvrier de la rivière qui dit avoir vu 2004 comme l'année où le pont allait être construit. «Mais ce n'était qu'une illusion», conclut-il.
Construire le pont des Trois-Rivières
Formé de zones fertiles et désertiques, le Far-West doit son nom aux régions les plus défavorisées dont Cabaret, Lacoma, Petite-Rivière, Raymond, Port-à-l'eau, Baie-de-Henne. Mais la vallée de Jean-Rabel, avec ses sept (7) sections communales, parmi lesquelles Guinaudée, La Montagne, Grande Source, Dessources, Vieille Hatte, est entourée de zones riches en plantation et en produits agricoles. On y cultive la banane, le maïs, le café et bien d'autres céréales. «Si l'Etat était intéressé au développement socio-économique de la région, nous serions déjà très loin.
Un pick-up assurant le trajet Jean-Rabel/Port-de-Paix dans des conditions épouvantables (Photo: Ronald Saintuné)
Car ce n'est pas la bonne volonté et la solidarité des communautés qui manquent», se plaint, sur un ton presque désespéré Pierre-Lenel Azard (directeur de l'école nationale de Sauval, localité de la 2e section de Guinaudée) qui voit de bon oeil le projet de construction du pont des Trois-Rivières dont le gouvernement s'est fait le porte-étendard.
A la question de savoir si les panneaux géants indiquant les projets de construction de citernes par des ONG sont l'expression d'un vaste mouvement en faveur de l'eau potable dans la région, M. Azard répond que l'état physique du Far-West sert de tremplin aux organismes nationaux et internationaux de développement pour satisfaire leurs intérêts. «Rien de concret dans tout cela», lâche-t-il en exprimant son aversion et sa répulsion contre les politiciens qu'il dit avoir causé tant de torts au pays et à ses fils.
Des zones dotées d'un dispensaire

Une marchande de fritures devant sa bicoque à Lacoma (Gros Bassin) (Photo: Ronald Saintuné)

Par ailleurs, Pierre-Lenel Azard dit apprécier les efforts concertés ayant conduit l'Etat et des ONG à doter plusieurs zones d'un dispensaire servant de relais à l'Hôpital de Jean-Rabel. «Des médecins originaires de la zone offrent volontiers leurs services en soins de santé à la population; en plus des médecins cubains qui sont également sur place», se réjouit l'instituteur de carrière qui déplore toutesfois que le Far-West n'est point doté de spécialistes en urologie, orthopédie, cardiologie, O.R.L, etc. «En cas d'urgence, on est forcé d'aller à la Pointe des Palmistes ou à Port-de-Paix», précise-t-il.Fait important à signaler: des hommes et des femmes font office d'accoucheurs. Et la population en milieu extrarural leur en sait gré. «Nous sommes des gens de métier. Et nous avons été diplômées chez Mme Périclès Julien, une infirmière de formation à l'hôpital de Péchaud sis à Lacoma (Gros Bassin)», s'enorgueillissent Méraclès Mertilien et Elira Elie, deux sages-femmes très attachées à leur métier.
A l'abri du tempsApparemment calme et tranquille, le Far-West semble à l'abri du temps. Et pourtant, à part Jean-Rabel où l'on peut remarquer des policiers en uniforme au commissariat, toutes les sections communales sont livrées à elles-mêmes.

Certaines régions sont marquées par une sécheresse épouvantable, symptomatique de la misère et du désespoir des populations. L'observateur pressé aurait raison de se demander de quoi vivent les gens dans ce no-man's land? Loin s'en faut! «La légende faisant croire que des gens se nourrissent de la "boue" et de grains non comestibles n'est qu'un slogan utilisé par plus d'un pour attirer des fonds d'assistance à leurs organisations», objecte un citoyen de Gros Bassin qui a requis l'anonymat. L'homme qui apprécie l'initiative du sénateur Evallières Beauplan d'organiser un festival au Môle Saint Nicolas visant à encourager le développement du Far-West, ne s'est pas montré optimiste quant à l'objectif avoué de cette démarche. «Seul Dieu connaît les coeurs des politiciens», tempère-t-il avant d'indiquer que le Nord-Ouest, avec ses parlementaires, a de quoi espérer.

Pas d'électricité et on s'y habitue
Pierre Lenel Azard, directeur d'école à Guinaudée (Photo: Ronald Saintuné)

L'air pur des champs et des montagnes élevées communique en tout cas la sérénité et la joie à tout venant. Le ciel est embrasé par un soleil ardent aux alentours de midi. Au coucher du soleil, quand les cigales se taisent, tout est silence dans les agglomérations. «On n'a pas d'électricité et on s'y habitue», murmure une marchande de fritures qui indique que dans le Far-West, on sent l'écoulement du temps sous l'effet du soleil. Le soir, ne brille que la lumière blafarde des lucioles, du moins quand le brouillard ne pèse pas d'un certain poids en estompant la façade des maisonnettes construites sur un modèle similaire. Avec une toiture mansardée et pourvue d'une couche de peinture vive allant du rose au vert en passant par le bleu foncé assurant dans l'ensemble un support de décor à la "maçonnerie".

Dans le Far-West, la compagnie de téléphone Digicel règne en maître. Le signal de Comcel/Voilà passe par endroits. Le reste est inexistant. Une espèce de Pick-up assure le transport des passagers vers Jean-Rabel et/ou Port-de-Paix au prix de cent (100.00) gourdes. Le siège de devant se paie cent-cinquante (150.00) gourdes.
Les conditions de vie de la population sont précaires. Les résistances mentales, politiques et sociales auxquelles se heurte encore le processus de développement socioéconomique du Far-West devraient être surmontées. Au bénéfice des communautés dont les aptitudes distinctives et la manière qui leur est propre de percevoir le monde et d'agir sur leur environnement immédiat, seront de nature à apporter à leur progrès une contribution fondamentale.
Robenson Bernard
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=50793&PubDate=2007-11-15

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