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mardi 7 août 2007

Môle St-Nicolas : une destination méprisée

A quoi bon avoir de l'or dans sa montagne si on ne sait comment l'exploiter ? A quoi bon avoir des hommes s'ils ne savent reconnaître leurs bénédictions et compter leurs richesses ?
A force de perdre du temps à regarder ce que possèdent les autres, on finit par oublier ce que l'on possède. En ce qui a trait au Môle St-Nicolas, il est patent que le citoyen haïtien a de sérieux troubles psychologiques.
Qui ne l'a pas entendu se plaindre que son pays ne possède rien, qu'il n'y a plus rien à espérer, qu'il faut partir, car l'espoir est au-dehors?

Le Môle St-Nicolas, fondé sur le site même de la « découverte » du Nouveau Monde par Christophe Colomb, est un lieu touristique par excellence qui appartient, sans conteste, au patrimoine mondial, un site témoin de la genèse de la destruction d'un peuple, de la bataille d'un autre peuple pour son émancipation, un lieu où le mot « liberté » est inscrit en lettres de sang sur chaque pierre, chaque grain de sable.
Lumière de l'Amérique, le Môle St-Nicolas est occulté par l'obscurantisme, l'ignorance de la majorité du peuple haïtien, la mauvaise foi des prétendus élites, les discriminations de la communauté raciste et coloniale internationale, pays amis compris (ansyen bon toujou bon, ansyen kolon toujou kolon), le manque d'information et la désinformation
Comment, en effet, comprendre l'ostracisme qui frappe le Môle ?
Il existe presque tout pour faire de cette commune un haut lieu du tourisme caribéen. Il est difficile, après l'avoir visitée, de comprendre qu'elle ne figure pas sur la liste des priorités du ministère du Tourisme qui s'embrouille en suivant les sentiers battus, les pistes tracées par ses prédécesseurs qui avaient choisi la voie de la facilité, du « tou kwit, tou pare ».
Il est évident qu'il est plus facile de développer un certain « programme touristique » là où certaines infrastructures existent déjà. C'est certainement ce que pensent les paresseux et les « manfouben ». Mais si l'on veut vraiment penser tourisme, il faut penser ressources, histoire, potentiel avant de voir la facilité qu'offrent les infrastructures existantes.
Il y en aura pour parler de déboisement, de mauvais état des routes, etc. Comment, alors, expliquer que des opérateurs touristiques vendent le désert de la Namibie ? ou encore des randonnées dans le Sahara ?
Le tourisme ne se fait pas à coups d'a priori, de préjugé. Il se base sur une analyse réelle des possibilités de développement de cette entreprise dans un lieu déterminé en visant un public déterminé. Ainsi, il sera fort difficile de trouver un Haïtien en voyage de lune de miel chez les esquimaux. Pourtant, ils reçoivent des touristes. Alors, quoi ?
Pour le développement touristique du Môle St-Nicolas
La mer turquoise, d'intéressants sites de randonnées (Côtes-de-Fer, par exemple), plusieurs monuments historiques (les forts, la batterie de Vallières, l'ancienne et la nouvelle cathédrale), de magnifiques grottes, une situation géographique privilégiée, une baie naturellement protégée sont autant de raisons de promouvoir le tourisme au Môle St-Nicolas.
Malheureusement, il n'existe aucune structure hôtelière dans la ville, à part une auberge d'une dizaine de chambres. Qu'à cela ne tienne. Il suffit de faire venir des investisseurs, de vendre le Môle comme destination touristique, de faire sa promotion, de faire venir des bateaux de croisière (ce qui résout en partie le problème de l'hébergement).
"Plus facile à dire qu'à faire", diront certains. Cela ne doit pas être si difficile que cela puisque plusieurs pays de la Caraïbe ont pu négocier avec des multinationales qui les ont aidés à mettre en place les infrastructures nécessaires. La République dominicaine est un exemple éloquent de ce qui peut être réalisé quand il existe une volonté réelle de bien faire les choses.
Qui ne sait pas que n'importe quelle compagnie organisant des croisières serait prête à participer au bitumage des rues, au renforcement des capacités du secteur de la restauration, à la formation de guides touristiques ?Peut-être, ce qui nous bloque est cette pratique qui exige que nos négociateurs soient, en général, plutôt disposés à négocier, avant toute autre chose, leurs « petits » pots-de-vin, leurs petits «anba tab », réclamant plusieurs millions de dollars à leurs interlocuteurs, une pratique qui, dans le passé, a déjà coûté cher au pays.
Etat des lieuxLa situation, si elle est problématique, est loin d'être alarmante. Les problèmes sont multiples, mais certains progrès ont été réalisés au cours des douze derniers mois.

Energie
Contrairement à ce que nous avions constaté lors de notre passage, il y a environ un an, les rues de la ville sont éclairées. Les douze premiers lampadaires ont été installés par le sénateur Beauplan. Puis un groupe de citoyens de la ville et de la diaspora, sous la coordination de Edouard Mortimer, a pris l'initiative d'en ajouter d'autres et de fournir une génératrice ainsi que le carburant nécessaire. Une initiative citoyenne louable.
Cela ne constitue qu'un premier pas dans la résolution du problème de l'énergie, car la ville n'est éclairée que de sept heures à onze heures, le soir. Un véritable progrès pour sortir la commune du moyen âge.
Certains particuliers vendent la gazoline en détail puisqu'il n'existe pas de station d'essence dans la commune. Lors de notre périple, il nous a fallu nous rendre à Port-de-Paix pour nous ravitailler en carburant, car il n'y avait pas de diesel, ni dans la commune ni à Jean Rabel.
Education
D'après les déclarations du maire principal Gilbert Jean-Charles, les dysfonctionnements enregistrés dans le système éducatif proviennent uniquement du manque de discipline de certains professeurs qui cumulent les retards, lésant les élèves qui risquent, de ce fait, de ne pas boucler leur programme, une situation qui est due à l'absence d'un inspecteur du ministère de l'Education nationale.
SécuritéLa force publique est pratiquement absente si l'on considère qu'il n'y avait que deux policiers pour toute la commune... jusqu'au transfert aux Gonaïves, il y a environ quinze jours, de l'un d'entre eux. Les sections communales sont livrées à elles-mêmes.InfrastructuresLes routes communales, bien que praticables, sont loin d'être ce qu'elles devraient être, et certains sites naturels sont carrément inaccessibles. A l'intérieur de la ville, les rues sont en terre battue, ce qui est particulièrement désagréable quand il vente, ce qui est pratiquement toujours le cas.
Lorsqu'il pleut, certaines zones sont impraticables parce qu'il n'existe aucune canalisation, aucun réseau d'égouts.
Il n'y a pas de port, pas de marché, pas de téléphone. La présence d'une antenne de la Digicel laisse cependant espérer qu'avant longtemps les choses iront mieux.
Si toutes les promesses sont tenues, la piste d'aviation sera réaménagée avant longtemps, avec le support financier et technique d'une compagnie minière opérant dans la commune.
La gestion des déchets est l'un des problèmes qui préoccupent l'actuelle administration communale. Le manque de confiance dans l'eau fournie par les robinets pousse la quasi-totalité de la population à consommer de l'eau « traitée » en sachet ou en bouteille. Les contenants en plastique constituent la plus grande source de pollution de la région (ce qui est le cas pour presque toutes nos agglomérations).
Santé
Le centre de santé est finalement opérationnel grâce à la présence d'une équipe médicale tchèque qui fournit le maximum de soins possible à la population qui, pendant longtemps, a souffert des faiblesses du système. Cependant, le centre ne répond pas aux besoins de la population. L'absence d'un hôpital se fait sérieusement sentir.
Environnement
Nombreux sont ceux qui, pour une raison ou pour une autre, sont partis, abandonnant leurs terres qui, sans surveillance, sont complètement déboisés.
Le commerce du charbon de bois, l'une des principales denrées de la région, n'est pas pour améliorer les choses. Là où, autrefois, il y avait des jardins, il n'y a plus que des ronces, des cactus. La plaine qui entoure la ville n'est plus qu'un vaste désert où, pourtant, il est possible de faire venir de l'eau pour redonner à la terre sa fertilité d'antan, car la terre n'est pas partie vers la mer, elle est encore là et ce qu'elle a pu donner autrefois, elle peut encore la fournir aujourd'hui, si l'on veut bien mettre la main à la pâte.
Les trois sections communales, Damé, Mare-Rouge, Côtes-de-fer se battent pour protéger leur écosystème fragilisé par la déforestation. La palme revient incontestablement à Côtes-de-Fer qui est une véritable réserve écologique et qui constitue un véritable grenier pour la commune et même l'arrondissement.
Le Môle St-Nicolas, s'il n'était livré à lui-même, pourrait être un centre touristique et économique important. S'il est permis de rêver, il est à espérer que ceux qui sont placés au timon des affaires prendront le temps de jeter un coup d'oeil sur cette région du pays qui, vraiment, vaut le détour.

Patrice-Manuel Lerebours



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