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lundi 16 juillet 2007

Jacques Roumain : l'irrépressible engagement poétique (I)

Au combat du journalisme incandescent succède chez Roumain celui d'une poésie engagée. Elle naît de causes inextricables qui traversent la société haïtienne bouleversée, qui devait connaître de plus les horribles exactions de l'Occupation américaine de1915 à 1934. La renaissance de la poésie haïtienne à laquelle Roumain a été mêlé, a dû sa gestation surtout aux événements sociologiques et politiques d'ordre national et international.

Naomi M. Garret nous apprend dans The Renaissance of Haitian Poetry que :« Haïti n'a pu développer une tradition ou un mécanisme politique pouvant prévenir des hommes ambitieux et sans scrupule à aspirer au sommet de l'état pour en faire une source d'enrichissement personnel et s'accrocher au pouvoir par des moyens, quelque immoraux qu'ils soient. Ce qui était important, c'était de savoir qui était en mesure de garantir le plus de profit possible aux opportunistes ou qui pouvait étaler plus de puissance militaire que les autres. Ces troubles ont légué une somme d'anxiété sur la jeunesse du pays pendant les quinze premères années du 20e siècle »(1) (ma traduction)Les Haïtiens ont ressenti les secousses de l'occupation et les lettres haïtiennes opposent, par stratégie de réplique depuis l'arrivée des forces américaines, soit un retour à la poésie patriotique et héroïque qui glorifie l'épopée de 1804, l'hominisation de l'île, soit une évasion dans les évocations des légendes amérindiennes du passé, tandis que d'autres poètes plus actifs préféraient abonder dans les anathémes vengeurs contre l'Amérique et ses collaborateurs les plus proches- ce qui opérait une évidente actualisation du conflit.

Les affirmations d'Antonio Vieux et Philippe-Thoby Marcelin dans La Nouvelle Ronde allaient faire presque l'unanimité. Pour prouver l'existence de la littérature haïtienne, les oeuvres devraient adopter la nouvelle mission d'exprimer les aspirations légitimes, les nouvelles tendances de la génération plus fidèlement: il fallait véritablement toucher l'âme même du pays « la disséquer et la mettre à nue »(La Nouvelle Ronde,1er juillet 1925,p.30). Cette philosophie qui recevait un suffrage massif animait non seulement La Nouvelle Ronde, mais aussi La Trouée : revue d'intérêt général et plus encore La Revue Indigène Les Arts et La Vie, deux journaux auxquels Roumain offre une chaleureuse collaboration. L'emphase sur la psychologie et l'esthétique répondait à une phase de la résistance contre l'occupation. La résistance par les armes n'était plus de mise,la futilité était évidente ;l'échec des cacos était encore dans les esprits. La possibilité de l'avènement d'un gouvernemnt nationaliste était presque nulle.L'affairisme de l'armée et le comportement intéressé de l'élite avaient presque provoqué une paralysante démoralisation de la jeunesse du pays.


Mais, en revanche, il faut aussi avouer que les Haïtiens n'étaient pas tout à fait isolés durant l'occupation de leur pays, leurs liens culturels et intellectuels avec la France s'étaient raffermis.Beaucoup d'entre eux préféraient vivre en France où ils subissaient moins de discrimination plutôt que de faire face aux inévitables humiliations que les Marines imposaient au pays.
D'autant plus qu'en France, après la grande guerre, un concours de circonstances favorisait l'accroissement de l'intérêt porté à l'art nègre. Cela produisait une véritable mutation de la perception, une nouvelle dynamique qui permettait aux insulaires d'abord d'appréhender leurs ancètres africains avec moins d'hésitation et de se familiariser avec les oeuvres de la littérature afro-américaine dont les auteurs partageaient les mêmes intérêts qu'eux.
Il faut rappeler qu'une instabilité presque générale s'étendait sur le monde émergeant du conflit mondial. On rêvait du retour à la vie simple et heureuse de l'avant-guerre. (A suivre)

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