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mercredi 21 mars 2007

Montegrande, un village d'aveugles

En guise d’introduction :
Nous aimons, -et d’un amour non dissimulé- parcourir les pages du Nouvelliste pour faire le point sur les différents reportages qui retracent avec professionnalité, humanité et objectivité, un sujet d’actualité mais qui rentrent rarement dans la rubrique des faits divers qui usurpent les premières pages et l’attention de consommateurs de l’information.
Tandis que les faits divers ont souvent la capacité de nous mettre en franche rébellion contre nous-mêmes, contre les autres et assez souvent contre la société, ces reportages interpellent la conscience de notre responsabilité par notre inactivité produite de notre indifférence.
Nous voulons par le publication de ces articles en augmenter le nombre de lecteurs et surtout ceux la qui ont été happés et engloutis par l’avalanche des nouvelles à sensations !



Article paru dans L'édition digitale du Journal Le Nouvelliste surhttp://www.lenouvelliste.com

....Quelque 500 personnes habitent Montegrande, un hameau situé à 7 km de Hinche. Près de la moitié de cette infime population est frappée de cécité. Regroupés au sein de l'Action sociale, ces handicapés visuels vivent dans la misère et la privation.« Je pleure constamment et certaine fois je tente de maudire le nom de Dieu », soupire Jimène 22 ans, aveugle depuis 3 ans suite à un terrible mal de tête. Abandonnée par son mari, cette jeune dame au visage amaigri, partage sa bicoque branlante avec trois enfants présentant des signes visibles de malnutrition. « Je me demande pourquoi Dieu m'a jeté un tel sort », s'interroge-t-elle tout en évoquant ses journées sans pain et des scènes d'humiliation.
Montegrande, la localité où Jimène a pris naissance, et ses environs comprennent un nombre important d'aveugles. « Notre association compte actuellement 225 membres », informe Jean Odius Eugène, frappé de cécité depuis 40 ans. Aucune statistique n'est disponible sur le nombre de non-voyants vivant dans le quartier sec et aride de Montegrande. Cependant, père Alphonse, de nationalité belge, responsable de la congrégation des pères Scheut oeuvrant dans le Plateau Central, confirme que ladite localité présente un nombre inquiétant de personnes frappées de cécité. « C'est anormal, il y a trop d'aveugles dans la zone », s'indigne-t-il.Carence en vitamines et eau polluée On ne peut dire avec précision ce qui est à la base de cette situation. Pour plusieurs victimes, le manque de vitamine et l'eau polluée consommée en seraient responsables. « Ici, la nourriture est un luxe. Il arrive des fois que nous passons plusieurs jours sans rien manger, se plaint Francius Jean-Juste, père de quatre enfants, ayant perdu l'usage de ses yeux sous la présidence de Duvalier père. L'eau potable est aussi une denrée rare dans la communauté. » Le manager du projet Haïti Save Water Plus, l'ing. Christophor Lacroix, admet lui aussi que la pollution de l'eau pourrait être responsable des problèmes de cécité à Montegrande et dans d'autres régions du Plateau Central.
Les premiers cas avaient été recensés, dans la zone vers 1950. Ellano Jean, un vieillard chenu qui a fondé l'association Action sociale en 1988, explique avoir perdu l'usage de ses yeux en 1957 suite à une fièvre de cheval. Tandis que Léonie Jean, une dame fort âgée, ne se rappelle ni de son âge, ni des détails de sa maladie. « Je suis devenue non-voyante après avoir participé à une fête qu'organisait le président Duvalier à Port-au-Prince», se souvient-elle. Mme Archange Therminus a, quant à elle, été touchée par cet handicap depuis tantôt un an suite à une maladie de la peau. « J'avais l'habitude de me laver dans une eau courante, c'est ce qui est probablement à la base de cette maladie », reconnaît-elle. De son côté, Alain Bélizaire, 19 ans, avait eu mal aux yeux, ce qui a entraîné la perte de son oeil droite. Il vit dans la crainte de devenir aveugle. « L'autre oeil commence à être attaqué, car à certaines heures de la journée, je ne vois pas trop bien », se plaint-il Le manque de connaissances des habitants de Montegrande en matière de santé est un élément à prendre en compte dans leur handicap visuel. « Lorsque les gens viennent à l'hôpital, ils refusent souvent de suivre les recommandations des médecins », déplore le père Alphonse qui fait venir à Hinche à des périodes précises des ophtalmologues de Port-au-Prince. A côté de cela, plusieurs personnes avouent qu'elles ont l'habitude d'introduire dans leurs yeux des éléments comme : « liann savon, grenn bazilik, sucre blanc... ». « Ces pratiques sont très répandues ici. Nous ignorons si elles sont bonnes ou mauvaises », regrette Jonas Fréjuste, responsable d'une église protestante à Montegrande.Travailler oui, mendier non!La majorité des aveugles de Montegrande sont des vieillards. Cependant, leur âge avancé et leur handicap ne tuent pas leur rêve de vivre dans la dignité. Comme les autres membres de la population, ils cultivent leur lopin de terre et font du commerce de détail. « Grâce à notre association, nous formons une vraie famille, se réjouit Jean Odius Eugène. En groupe, nous labourons nos petits morceaux de terre. » Pour cet handicapé visuel, quémander est une honte. « Les aveugles doivent travailler pour ne pas mendier », soutient-il.
Malgré leur volonté, certains ne trouvent plus la vigueur et la force nécessaire pour continuer à travailler. Ceux-ci sont pris en charge par leurs progénitures ou par de bons samaritains. « Je redeviens enfant, je survie grâce à la générosité de mes quatre enfants », déclare, l'air désolé, une dame d'une soixantaine d'année. Les besoins des personnes frappées de cécité à Montegrande sont énormes. Soins de santé, outils pour travailler la terre, eau potable, emploi pour leurs enfants, maison décente...tout est urgent. Aucun signe ne laisse croire que les autorités haïtiennes sont au courant de l'existence de cette localité où des aveugles mènent une vie d'enfer. Comme infrastructure, il n'y existe qu'une école primaire communautaire construite par le regroupement des malvoyants avec l'aide de CECI. Un projet de latrinisation et d'eau potable financé par la World Vision Haïti, celle des Etats-Unis d'Amérique, et Rotary club international y est en train d'être exécuté.
Les charlatans font leur beurreSi on ignore le nombre d'aveugles qui existent dans le Plateau Central, tel n'est pas le cas pour les ophtalmologues. Sans détour, père Alphonse nous confie : « Il n'y en a pas ». Pour contourner ce problème, la congrégation dirigée par le prêtre belge organise des séances de consultation chaque premier lundi du mois. « Avec la collaboration des ophtalmologues venus de Port-au-Prince, nous essayons de combattre les maladies des yeux dans le département du Centre », souligne le religieux tout en critiquant des charlatans qui en profitent pour soutirer de l'argent à la population du Plateau Central. A part les consultations mensuelles, une clinique mobile sillonne une fois par mois une commune du département. Deux fois par an, des interventions chirurgicales au profit des gens atteints de la cataracte sont aussi pratiquées. Vu l'ampleur du travail à réaliser dans le domaine de la santé occulaire dans le Plateau Central, père Alphonse juge ces actions insuffisantes. Il annonce, pour les prochains jours, le début d'une émission radiophonique sur l'ophtalmologie afin de sensibiliser la population sur les précautions à prendre pour éviter d'être aveugle.

Jean Pharès Jérôme
pjerome@lenouvelliste.com

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