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vendredi 26 octobre 2012

Gladys, lycéenne sans papiers en 2004, française aujourd'hui


A Évry en Essonne, à la maison des syndicats, RESF organise, samedi 27 octobre de 14h30 à 18h00, une rencontre entre lycéens sans papiers d'hier, aujourd'hui régularisés ou français, et lycéens sans papiers d'aujourd'hui.
Octobre 2012, Gladys a 28 ans. Elle est française, ASH (Agent de service hospitalier) dans la même clinique depuis plusieurs années, elle a son appartement, son permis de conduire, sa voiture. Des rêves et des projets plein la tête pour elle et pour Chloé, sa petite fille de 5 ans.
C’est pourtant une rescapée. En 2004, elle devait être expulsée en Haïti. Lycéenne, elle a été sauvée par ses camarades de classe et ses profs révoltés à l’idée qu’elle puisse être renvoyée de force vers la misère etla dictature. C’est à l’occasion de ce mouvement de solidarité avecGladys et Sandrina, une autre élève du même lycée de Châtenay-Malabry que naît l’idée du Réseau Education sans frontières, finalement créé en juin 2004.
Ci-dessous le récit de ce que fut le combat de Gladys, de ses camarades et de ses enseignants pour sa régularisation. Et, en vidéo, le témoignage de ce qu’elle est huit ans plus tard. Des images à faire honte à Le Pen et à Copé.

http://www.youtube.com/watch?v=LvSFZKM4qiY=

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26 septembre 2004. Grand concert du « KO social » [1] sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris. La place est bondée. Yann Tiersen et les Têtes Raides ont galvanisé jeunes et moins jeunes. Pas facile de prendre la suite.
La suite, c’est un groupe black, blanc et beur, qui s’avance au bord de la scène. Voix mal assurée despremiers mots, très vite la conviction l’emporte, le besoin de faire partager l’indignation, l’injustice, les luttes et l’espoir. Ils appellent au soutien et à la régularisation des lycéens sans papiers.
Cinq minutes de paroles vibrantes, persuasives, soutenues pour la plus jeune par les images dramatiques de sa courte vie. Le silence s’est fait, on écoute le trio, on les applaudit longuement
Elle s’appelle Gladys, elle est haïtienne. Depuis quatre ans, elle vit en France et elle a 20 ans. Son pays revient périodiquement à la une des médias. Misère chronique, développement bloqué, dictature de père en fils, prêtre libérateur qui prend le masque de l’oppresseur, assassinats, Chimères[2]. La famille de six enfants a été menacée pour ses opinions et ses engagements, particulièrement son père et sa sœur aînée, membre d’un parti d’opposition ; un oncle et un frère, Abel, ont été assassinés. Le père et la sœur ont pu obtenir l’asile politique en France, avec l’espoir de regrouper la famille ensuite.Gladys est restée avec ses frères et sœurs, en ville. La mère est en province, et quand elle le peut, vient ravitailler les enfants en riz, en huile. Quand les Chimères, l’école ferme, pour une semaine, un mois. La mère ne peut plus circuler, et les enfants restent enfermés, sans rien. « Alors, dit pudiquement Gladys, on a des problèmes »

A 16 ans, munie d’un visa touriste, Gladys rejoint son père et sa sœur, dans la banlieue parisienne, réussit sa classe de 3ème, et entame un BEP bio services au lycée Jean Jaurès de Châtenay-Malabry. Bonne élève, appréciée au cours de ses stages, elle obtient son BEP brillamment. Son père entame les démarches en vue de sa régularisation. Gladys est refusée du regroupement familial, car trop âgée à son arrivée sur le sol français ; elle voit peu à peu échouer tous les recours. A 18 ans, Gladys est devenue sans papiers, hors la loi, illégale sur le sol français. Dans son entourage scolaire, personne ne s’en doute, ni ses profs ni ses camarades. Gladys est souriante, parle avec ses copines, apparemment détendue. Mais pas de ça. Pourquoi ? « J’avais peur de leur dire. Je trouve que ce n’est pas bien, sans papiers. Parce que je suis comme eux. Et quand ils savent que la police peut te prendre, te menotter, ce n’est pas bien. ».

Elle vit dans la peur. : « Je ne peux pas circuler comme je voudrais, parce qu’il y a des contrôles de police. Je préfère rester enfermée chez moi. J’ai des frayeurs, parce que je n’ai pas de papiers. Quand je vois des policiers, je marche comme si j’étais en règle ». Elle reste à la maison, un logement de deux pièces qui donne sur une gare. « Les trains juste à côté, quand je vois les personnes qui passent, les élèves qui sortent de l’école, les trains, ça me donne envie de bouger ». Le soir, Gladys ne sort pas, et malgré son envie de vivre normalement et de travailler, s’installe dans la clandestinité. Pour son père, mieux vaut vivre ici, même sans papiers, parce que là-bas c’est la guerre.

Elle dépose une demande de statut de réfugié auprès de l’OFPRA. Dans son récit de vie, rédaction imposée pour constituer le dossier, elle mentionne les menaces qui ont pesé sur sa famille et sur ceux qui sont restés en Haïti. Refus. Gladys vit dans la peur, et le sentiment d’un avenir interdit. « Si tu n’as pas de papiers ici, tu ne peux rien faire, c’est une vie gâchée ! »

Gladys trouvera un jour le courage d’aller trouver un de ses profs. Elle découvre qu’elle n’est pas la seule au lycée dans cette situation. En 2003, quatre autres élèves font connaître leur situation d’élèves sans papiers, parmi elles, Sandrina, dont la situation a peut-être un peu plus de chances d’aboutir. Les deux jeunes filles décident alors de sortir du silence, pour jouer leur dernière carte. Dans la classe de Gladys, c’est la stupéfaction, puis l’étonnement, et l’engagement. Mobilisation, pétitions, les élèves de la classe font corps autour d’elles. « Nous faisons de leur sort une affaire personnelle. »

Les pétitions tournent, dans l’établissement et à l’extérieur. Des élus s’engagent. Les médias, alertés par cette mobilisation et plusieurs signatures connues, montent à leur tour au créneau. France–Info le samedi, TF1 le dimanche à 20 heures, Le sous-préfet, Alain Zabulon,[3] réagit dès le lundi et concède à Gladys et à Sandrina « à titre dérogatoire, un titre de séjour étudiant. » Première victoire, et sourire radieux de Gladys, ce sourire que les télévisions n’ont pas pu montrer.

« J’avais caché mon visage, j’avais honte … Après, mes camarades m’ont dit : il ne fallait pas cacher ton visage, c’est la première fois qu’une haïtienne passe à la télé !…Maintenant je me sentais plutôt flattée. »
Avec le soutien de tout un établissement, de ses camarades, de ses profs, des parents d’élèves, Gladys est sortie de la clandestinité et de la honte. Pour autant, la victoire n’est pas totale, et le titre étudiant concédé n’est pour elle qu’une première étape, c’est du titre vie privée et familiale dont elle a besoin pour travailler et le rappelle au sous-préfet. Qui, par lettre, prend l’engagement « qu’elle recevra le moment venu le titre adapté à sa situation. »
En juin 2004, BEP en poche, elle décide de s’’inscrire pour un Bac pro en alternance et trouve une entreprise disposée à l’accueillir en stage pour peu qu’elle dispose d’une autorisation de travail. Confiante dans la parole du sous-préfet, elle demande son changement de statut. La promesse du sous-préfet, dit-on, sera honorée… à la condition de produire une promesse d’embauche et un engagement de l’employeur de régler les 850 € de taxes dues à l’OMI (Office des migrations internationales) au titre de l’introduction d’un étranger sur le marché du travail.
Gladys parvient à convaincre le responsable d’une grande chaîne hôtelière de lui établir une promesse d’embauche comme stagiaire, accompagnée d’une lettre au sous-préfet demandant que l’entreprise, qui va assurer sa formation, soit exonérée du règlement des 850 €. En vain. Son projet capote, elle doit renoncer à sa formation, envoie de nombreux CV et décroche simultanément en août deux offres, l’une en CDI, l’autre en CDD de trois mois.
Elle se rend de nouveau en sous-préfecture accompagnée de plusieurs de ses anciens enseignants. Et se voit à nouveau déboutée de toute autorisation de travail en l’absence de promesse d’embauche et d’un engagement de payer les 850 €. Second échec.
Gladys entreprend à nouveau les mêmes démarches pour le CDD. Troisième échec. Et le temps passe, elle est à la charge de sa famille, et son autorisation de séjour ne court que jusqu’au mois de décembre.
En septembre, un patron accepte d’employer Gladys au nettoyage de ses chantiers, activité éloignée de la restauration collective mais qui néanmoins correspond à sa formation. Il lui signe la promesse d’embauche et l’engagement à régler les 850 € de droits à l’OMI. Mais lui accorde un mois de délai maximum pour obtenir son autorisation de travail. Dossier déposé en sous-préfecture le 10 septembre. Un mois plus tard, le dossier n’a pas bougé. Il faut, lui dit-on compter entre trois et quatre mois. Le 6 novembre, RFI consacre l’une de ses émissions Territoire de jeunesse au cas de Gladys. Le sous-préfet, renouvelle sur les ondes son engagement à trouver au cas de Gladys une réponse à la fois humaine et conforme au droit. La preuve en est, dit-il que « Melle Pompée n’a pas fait l’objet d’une reconduite à la frontière ! »
Il s’engage à faire accélérer le traitement de son dossier. Mais fin novembre, le service des étrangers exige par courrier de nouvelles démarches de son futur employeur et… une lettre de motivation de celui-ci justifiant son désir de l’embaucher. C’en est trop. Le patron renonce ! Gladys continue à chômer et, pour se rendre utile, garde le jeune enfant de sa sœur
En décembre, elle obtient le renouvellement de son titre étudiant pour 3 mois. Gladys sera à nouveau sans papiers en mars si d’ici là elle ne met pas la main sur un employeur philanthrope ! Mobiliser, oui, mais qui ? Gladys n’est plus au lycée, et les soutiens sont de fait plus diffus. Rappeler ses engagements au sous-préfet, sans succès.
Ce sera la mobilisation du RESF devant les préfectures le 2 février 2005 qui finira par emporter la décision du sous-préfet. Le réseau se rassemble dans toutela France, et médiatise les situations injustes. Recevant une délégation du réseau RESF, le sous-préfet accorde àSandrina et Gladysle titre Vie privée et familiale qu’elle reçoit un mois plus tard.
Fière de pouvoir enfin travailler, elle reprend ses envois de CV et relance les employeurs. Elle a enfin gagné, par sa ténacité et son courage, et la pression que tous autour d’elle ont exercée sur l’administration, le droit de vivre et de travailler en France, le droit d’aider sa famille, le droit de pouvoir construire sa vie.

Armelle Gardien RESF
Gladys a obtenu en février 2005 son 1er titre de séjour de séjour d’un an. Depuis cette date, elle est employée comme agent hospitalier dans une clinique à Versailles. Elle est mère d’une fillette de 5 ans. Depuis le mois de juin 2012, elle est française.
La mobilisation créée autour de sa situation et de celle de Sandrina est l’une de celles qui ont été à l’origine du Réseau Education sans frontières.

[1] Concert militant organisé le 26 septembre 2004 place de l’Hotel de Ville à Paris, le KO social alternait prises de parole de la trentaine de syndicats et d’associations impliqués et prestation de la douzaine de groupes et d’artistes dont lesTêtes raides et Yann Tiersen venus les soutenir.
[2] Jean Bertrand Aristide, président de 2001 à 2004. Les Chimères, bandes armées liées au clan d’Aristide, sèment l’effroi notamment dans la ville de Port-au-Prince.
[3]Alain Zabulon, sous-préfet d’Antony en 2004, est l’actuel directeur adjoint du cabinet de F. Hollande

http://blogs.mediapart.fr/blog/resf/251012/gladys-lyceenne-sans-papiers-en-2004-francaise-aujourdhui

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