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vendredi 8 juin 2012

MICHEL MARTELLY HONORE LES ECRIVAINS ET ARTISTES DANS LE CADRE DE LIVRES ENF OLIE

Discours du Président Michel Martelly :

« Mesdames, messieurs,
Nous voilà aujourd'hui devant le devoir et le plaisir d'honorer un véritable bouquet d'écrivains de chez nous. Ils sont aussi fameux que célèbres, divers par la qualité de leur talent, ils représentent chacun une facette de l'idéal de l'intellectuel et de l'artiste. En chacune de ces personnalités, la nation reconnait un modèle, une figure de proue, une référence ; une étoile qui témoigne dans le vaste ciel de l'univers des grands guides de l'humanité, l'existence d'une Haïti vivace. Que donc aujourd'hui, reconnaissance leur soit solennellement accordée par Haïti et devant le monde.
Oui, ils sont grands et beaux par leur travail d'intellectuel et d'artiste et leur contribution au rayonnement de l'humanité a fait, hier, la fierté du peuple haïtien, la nourrit aujourd'hui et la renforcera demain.
Chère Madame Odette Roy Fombrun, une vie dédiée comme la votre avec tant de constance, tant de passion et tant d'intelligence à l'éducation est exemplaire. Et pourtant, au cours des ans, vous avez vu et souffert nombre de dérives de notre société, mais toujours avez-vous mis votre énergie à indiquer des moyens de sortie en puisant avec clairvoyance dans les ressources de notre culture. Essayiste perspicace, votre verbe résonnant comme un tambour nous invite au konbit, inlassablement vous argumentez avec justesse et, j'ai envie de dire avec un entêtement raisonnable, la nécessité de reprendre en main notre destin de peuple. Cet admirable plaidoyer ne s'arrête pourtant pas là, icône du civisme et de l'éducation en Haïti, comme titrait justement le journal Le Matin à votre sujet, vous n'avez pas cessé de vous investir et de créer pour l'amélioration de l'éducation des jeunes et des moins jeunes. Madame, votre foi me fait penser à Noé construisant son arche. Un jour nous direz-vous d'où vous vient-elle ?
Pour ma part, je n'ai pas attendu la réponse pour inviter le peuple haïtien à suivre vos leçons de civisme pour un mieux-vivre ensemble dans un environnement physique, social et économique sain.
Vous avez follement raison de croire dans l'éducation, follement raison de croire que notre pays est le centre culturel de la Caraïbe, follement raison de croire que nous pouvons nous relever de toutes les catastrophes qui jalonnent notre histoire, follement raison de croire dans ce rêve d'une Haïti juste, prospère, accueillante, consolante... Moi aussi j'y crois. Madame Fombrun d'où vous vient cette foi inouïe ?
M. Georges Corvington, mémoire vivante de notre chère Port-au-Prince. Pour vous aussi j'ai une question : Comment tant de savoir peut-il tenir dans autant d'humilité ? Pardonnez-moi, vous êtes si discret qu'on se demande comment vous faites pour écrire cette ville si bruyante par endroits, si paisible par d'autres, si orgueilleuse, débridée, sérieuse, changeante... on pourrait allonger des qualificatifs tout le long de la rue des Miracles. Frankétienne dirait "si chaotique" et pourtant Georges Corvington assure. L'histoire de Port- au-Prince est un dédale, on s'y perdrait comme on pourrait se perdre dans les corridors de ses quartiers populaires, si Corvington n'assurait pas le maintien du fil de l'histoire. Nous le savons tous, plus de quarante années de flux migratoire accéléré de la province vers la capitale a non seulement modifié considérablement l'aire métropolitaine, mais aussi a profondément affecté le rapport de ses habitants à son environnement. Nous devons nous l'avouer, les rues de Port-au-Prince, ses monuments, ses places publiques n'ont pas tout à fait le même sens pour tous ses habitants. Les générations avant nous parlent par exemple du Bicentenaire avec nostalgie ou de tramway avec regret. Celles à venir ne connaitront pas le Palais National, le Palais de Justice et le Palais des Ministères. Elles ne sauront peut-être pas que le Marché Hyppolite a été reconstruit à l'identique. Mais le plus important encore une fois, c'est que l'histoire nous permet de donner du sens. Ce n'est peut être pas la meilleure occasion de signaler cela, mais, rendez-vous compte que récemment encore la statue du Nègre Marron a été vandalisée. Comment alors ne pas être interpellé et reconnaitre qu'un travail d'éducation important reste à faire ? Que "Port-au-Prince au cours des ans" a besoin d'être diffusé au maximum. L'histoire de Port-au-Prince est notre histoire à tous. Elle va se poursuivre avec la reconstruction, mais il faudra garder précieusement en mémoire ce qui a défiguré notre capitale, conserver ce qui cristallise en symbole des moments forts de notre évolution et projeter un avenir meilleur dans des aménagements urbains modernes et non aliénants.
Le travail de Corvington préparait le terrain pour tout cela. Ce sage savait-il qu'un tremblement de terre allait terrasser la ville ? En tout cas, il nous a fourni les matériaux indispensables à la reconstruction de notre capitale. A nous, nous tous d'en faire un Port-au- Prince bien nommé.
Vous le voyez bien, le Port-au-Prince de Georges Corvington prend toute la place et pour un peu ferait oublier l'auteur. Peut-être avons-nous là une réponse à notre question du début. Ce n'est pas vous, Monsieur Corvington, qui êtes trop humble, c'est Port-au-Prince, qui malgré ses déboires est trop séduisante à nos yeux et vous ravit la vedette. Mais sachez que nous savons bien que c'est aussi grâce à vous que nous partageons pour elle votre passion. Merci de nous faire aimer encore plus Port-au-Prince.
Anthony Phelps, oserai-je le dire : la voix du poète fait la texture de ma conscience politique. Votre inoubliable « mon pays que voici », acte politique de poète à l'adresse, non pas seulement du peuple haïtien, mais à tous les peuples qui ont été contraints de se parler par signes, est une contribution sans prix à notre patrimoine. Partageons la joie de nous parler aujourd'hui avec le verbe.

Aubain ? Non, vous ne serez plus étranger dans votre propre pays. Votre verbe a déchiré les muselières et nous voici aujourd'hui à pouvoir à claire voix, dire et chanter notre fraiche fraternité !
Poète, vous êtes de partout et d'ici fondamentalement, de Port-au-Prince que nous venons d'évoquer. Dois-je vous faire la promesse de nommer autrement le boulevard Harry Truman ? Vous nous avez beaucoup donné d'où que vous soyez à travers le monde, mais je vous demande encore, je vous dis encore. Encore Pierrot le fou, encore Pierrot le noir, encore. Ne m'en voulez pas de ne faire référence qu'à ces deux oeuvres magistrales de votre production littéraire. Il faudrait vous consacrer toute une étude car votre parcours personnel est en soi un long poème tracé sur la terre. Vous êtes ici avec nous aujourd'hui et la joie que provoque cette présence ne s'accommode pas trop de cet exercice sérieux.
Merci de n'avoir pas seulement parlé par signes.

Frankétienne, romancier, poète, dramaturge, comédien et peintre. L'oeuvre est aussi étourdissante dans sa diversité, qu'elle l'est dans chaque pièce. De l'oeuf à l'oeuvre l'homme aussi est étourdissant. Spirale, chaos, il fait craquer les mots comme un dieu réveillant un monstre du fond de la terre, explose les concepts en lançant son verbe dans le tourbillon et nous rend nos situations existentielles avec une brutalité et une pureté d'essence. Fankétienne est celui qui a su créer le miroir de nos folies. Nous avons comme une douleur que contrebalance une sidération à maintenir le regard sur ce qu'il donne à voir. Mesdames, messieurs, cela tient du génie !
Mais ce génie n'est pas un Zarathoustra qui se retire dans sa montagne, il est là avec nous en permanence, dans le feu crépitant de notre quotidien, il y entre et nous alerte et nous ravit. Frankétienne, vous êtes un kanzo ! Mais ce serait peu dire et me faire reprocher une tentative de réduction de la dimension universelle d'un artiste incomparable. En effet le nombre de ses publications, représentations ou de toiles est si considérable que sans doute cet homme est-il habité par une énergie spéciale. Une braise le garde en constante ignition et peut-être est-ce ce feu qui déforme tout ce qu'il manipule pour en faire oeuvre d'art. Frank, dis-moi, dors-tu parfois ?
« Ultravocal », cela s'entend, « Pèlen Tèt », se comprend, « L'Oiseau Schizophone », avec un effort on accepte, « Dezafi », c'est tout naturel à nos oreilles, « Foukifoura », c'est bien de chez nous, ça va encore et je pourrais citer encore nombre de vos titres, mais Fleurs d'insomnie ? D'où vous vient-il de telles combinaisons improbables et à la sonorité aussi juste en même temps ? Je ne connais pas d'artiste qui soit à la fois aussi sophistiqué, aussi prolifique et aussi populaire. C'est un mérite considérable car cela veut dire que l'exigence artistique ne le cède en rien au besoin de communiquer. Bravo !
Je voudrais aussi dire mon admiration personnelle et s'il en était besoin encore, justifier ma reconnaissance envers Frankétienne en signalant son apport significatif à notre langue créole.
Jodi a si kreyol se yon lang ofisyèl, DEZAFI ak PELEN TET patisipe nan sa. Pou sa selman Frankétienne mete plas li nan mitan pi gwo non nan istwa d'Ayiti. Non selman nan literati an kreyol, men tou pou jan liv sa ak pyès teyat sa te reveye konsyans tout yon jenerasyon sou pwoblèm eksistansyel e sosyal ayisyen.
Gen ochan toujou pou Franketienne e m ap fini sou karyè li fè nan edikasyon kom pwofesè syans sosyal. An verite le yon sosyete gen yon pitit kou Frank, li rich.
Mesi Frank pou richès ou ban nou.
Nan ki lang pou m pale ak Georges Castera pou m di lonè respè pou ou, samba powèt san repwoch. Ou ban nou JOF nan tou de lang yo, kisa nou ka mande anplis ?
La reconnaissance et l'affection que nous vous témoignons aujourd'hui, je les veux à la mesure de votre mérite en tant que poète. Mais, mesdames et messieurs, qu'est ce qu'un poète ? Est-ce quelqu'un qui met du rose là ou il y a du gris ? De la lumière là ou il fait sombre ? De la musique pour décorer le silence ? Un poète c'est tout cela et sans doute bien plus encore, un poète c'est comme Georges Castera, c'est-à-dire quelqu'un qui peut parler de l'intestinale splendeur des arbres. Se rend-on compte de l'effet que peut avoir une telle expression, qu'on soupçonne à peine ce qu'il faut de qualité à un esprit pour la concevoir. Ce bel amour que nous ressentons avec nos tripes pour notre pays, Georges Castera, à mon sens, nous a donné un moyen en plus de le dire.
Depuis plus d'une semaine, des textes du poète sont régulièrement publiés dans le Nouvelliste, et ils parlent mieux que je ne saurais le faire de son talent, de son engagement et de la diversité de son oeuvre. Comparaison n'est pas raison, et je m'en veux de citer d'autres noms, mais juste pour dire ma considération : Omar Khayyam pour les Arabes, Jacques Prévert pour les francophones.
Georges Castera, tu es à nous, pour les francophones, pour la Caraïbe et pour le monde entier !
Georges Anglade. Il est parti. Le tremblement de terre nous l'a enlevé. Enseveli sous les décombres de sa maison avec sa femme. On voudrait encore entendre sa voix. Ceux qui le fréquentaient disent qu'il dégustait les mots. Un "laudianceur" de première qualité. En plus de ses qualités nous retenons de lui un scientifique qui a travaillé à faire prendre en considération les données statistiques dans la planification des politiques publiques. Chroniqueur, le ton de Georges Anglade mettait de côté le fatalisme pour inviter ses lecteurs avec humour à regarder le monde tel qu'il est.
Un échantillon d'Haïtien tel qu'il en manque, qu'il soit honoré aujourd'hui et servir d'exemple aux nouvelles générations.
Paulette Poujol-Oriol a observé et décrit une frange de la société de Port-au-Prince avec perspicacité, humour et équilibre. "Mi-figue mi-raisin" reste dans nos souvenirs comme un moment délicieux de lecture. Elle a abordé avec la plus grande simplicité et la plus grande honnêteté des problèmes aussi importants que les préjugés de couleur dans notre société, le combat pour l'égalité des genres et l'éducation des jeunes. Ce personnage attachant par sa franchise et sa générosité nous a aussi laissés. Nous l'aimions tous et avons, pour le dévouement qu'elle mettait à former à l'art théâtrale les jeunes, respect et admiration.
Honneur à cette figure de notre Haïti qui a laissé un exemple admirable.
Mesdames, messieurs, c'est donc avec fierté et bonheur qu'en tant que Président de la République je vous remets cette décoration.
En honorant les écrivains, il était tout naturel de penser à ceux qui les font connaitre et les encouragent ainsi à poursuivre leur travail d'éclaireurs de la cité. Depuis 18 ans, bon an mal an, Le Nouvelliste et la Unibank, en organisant la foire Livres en folie contribuent de façon déterminante à la diffusion de la production intellectuelle dans notre pays. Cette opération connaît un tel succès que pour répondre à la demande elle se transforme en Quinzaine du livre. Qui sait quelle dimension prendra cet événement dans 18 ans encore. Je ne peux que féliciter ces initiateurs et profiter aussi de les présenter en exemple de ce que des entreprises nationales peuvent faire pour la promotion de notre culture. Heureusement, nous observons d'autres initiatives dans la même direction et les encourageons. Unibank et Le Nouvelliste, vous avez tracé une voie et elle est suivie.
Honneur et mérite à vous pour cela, car c'est un plus à votre actif déjà enviable.
Merci »

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