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lundi 9 janvier 2012

En croisade pour Haïti

Deux ans après le séisme, Michaëlle Jean, envoyée spéciale de l'UNESCO, refuse le pessimisme pour son pays d'origineAu départ, Michaëlle Jean pouvait résumer en deux mots son mandat d'envoyée spéciale de l'UNESCO pour Haïti: promouvoir l'éducation. Mais la réalité l'a vite rattrapée. Les besoins sont partout. Et la voilà devenue «ambassadrice» tous azimuts pour son pays natal. Deux ans après le tremblement de terre, elle fait le point avec Le Devoir.
Photo : Agence France-Presse.- Le tremblement de terre a
 «rendu plus visibles ces fossés» de pauvreté absolue,
croit Michaëlle Jean. Mais là encore,
elle préfère l'espoir au désespoir.
Comparés au faste élégant de Rideau Hall, les nouveaux quartiers de Michaëlle Jean respirent la simplicité. Au troisième étage du pavillon Tabaret de l'Université d'Ottawa, les bureaux quasi anonymes de l'ancienne gouverneure générale ne se distinguent que par une plaque identifiant que la «très honorable» est désormais «envoyée spéciale de l'UNESCO pour Haïti». Et surprise: il ne trône aucune photo de la reine Elizabeth II sur les murs...
Lorsqu'on lui en fait la remarque, Michaëlle Jean se fend d'un grand sourire. «Pas ici», répond-elle en riant. Plutôt que d'un portrait royal de celle qu'elle a représentée au Canada entre 2005 et 2010, Mme Jean a préféré pour son bureau une photo de Barack Obama (à ses côtés lors de sa première visite officielle au pays) et de sa famille. Point.
Mais le véritable symbole que peut suggérer la décoration se trouve dans le vestibule d'accueil. Une série de sculptures faites de métaux recyclés et illustrant des scènes de l'imaginaire vaudou haïtien accrochent l'oeil. Même chose pour cette tête de zèbre orange en papier mâché qui surplombe la garde-robe. Une façon de souligner que la page monarchiste est bel et bien tournée pour Michaëlle Jean. Et que désormais, toute son attention est dirigée vers Haïti.
«Ce mandat, c'est pratiquement plus de travail qu'être gouverneure générale», laisse-t-elle tomber en s'assoyant pour un long entretien. Bien sûr, la structure est plus légère: pas de service de sécurité à mobiliser pour le moindre déplacement, par exemple. Mais la tâche de travail s'est alourdie depuis son entrée en fonction à l'UNESCO, en octobre 2010.

En croisade
«Je suis depuis en croisade permanente pour Haïti», dit l'ancienne journaliste de ce ton à la fois énergique et un peu théâtral qui est le sien. La saga de l'élection présidentielle — fraude au premier tour, puis difficulté pour le nouveau président Michel Martelly à nommer un premier ministre — a eu un impact direct sur les efforts de reconstruction du pays... et a modifié par la bande le mandat de Michaëlle Jean, qui déborde maintenant largement de l'objectif éducation.
«Il a fallu faire en sorte qu'Haïti reste sur l'écran radar de la communauté internationale, explique Mme Jean. Ça nous a menés partout dans le monde: en Chine, au Qatar, en Norvège, en Espagne, devant le département d'État aux États-Unis. Il fallait aussi être en Haïti. Ça n'a pas arrêté.»
Dans les cercles politiques et diplomatiques, elle utilise son badge d'ex-chef d'État de facto pour «ouvrir les portes». Avec assurance et sans modestie feinte. «En raison du bagage que j'amène comme gouverneure générale, j'ai des accès privilégiés, dit-elle. Partout, l'écoute est là. Et pour Haïti, c'est précieux. Je me retrouve dans une situation d'ambassadrice de la question haïtienne.»
Au fil de ses interventions auprès de la communauté internationale, Mme Jean a dit sentir que «les attentes du gouvernement haïtien à [son] égard ont changé». Le président Martelly lui a ainsi demandé de faire partie d'un comité consultatif qui rassemble d'anciens chefs d'État et différentes personnalités. Elle affirme «parler au président et au premier ministre à tout moment». «Le rapport de confiance est tel, c'est sûr que ça devient une responsabilité importante», ajoute Mme Jean.
Elle évoque cette relation de confiance pour souligner qu'elle n'a «pas de difficulté à défendre l'approche préconisée par le gouvernement en place». Au contraire: elle s'en dit parfaitement solidaire. «C'est un changement de paradigme très important. Nous ne voulons plus parler d'aide internationale, ni de charité, mais d'investissement. Investissement dans les ressources humaines, la formation, les infrastructures, la gouvernance, l'économie... Partout. Il y a un consensus dans la population et les autorités pour dire que la logique d'assistanat est malsaine et que la dépendance totale à l'intervention internationale ne crée rien de durable.»
En citant un récent rapport du Fonds monétaire international — FMI, qui prévoit une croissance du PIB de 7,8 % en 2012 —, Michaëlle Jean affirme sentir que le vent souffle du bon bord pour son pays. Le deuxième anniversaire du tremblement de terre, mardi, se fera donc «moins dans l'esprit du deuil et plus dans l'énergie de l'action qui commence à se préciser», croit-elle.
«Le gouvernement est très proactif, et tout le monde le sent. On voit une approche entrepreneuriale qui dit: nous avons un plan, des objectifs et on veut des résultats. Ça rassure la communauté internationale, ce qui fait qu'on commence à voir des décaissements d'argent.»

Le luxe du pessimisme
Mais il reste que les progrès sont lents, soulignait cette semaine la Coalition humanitaire, qui estime à 500 000 le nombre de personnes qui vivent dans des camps de fortune à Port-au-Prince. Le choléra sévit. La moitié des débris du 10 janvier 2010 jonche encore le sol. Le FMI relève dans son rapport du 15 décembre que «les perspectives économiques pour 2012 restent favorables, à condition que le nouveau gouvernement accélère la reconstruction».
Il semble également que celle-ci ne se fera pas au seul bénéfice de la société haïtienne et de son économie: l'ONU a calculé que le tiers des sommes promises iront en fait aux organisations civiles et militaires des pays donateurs pour rembourser leurs efforts d'urgence. Au final, seul 1 % de l'argent destiné à Haïti sera acheminé directement au gouvernement haïtien, et moins de 1 % à des ONG haïtiennes.
Sur ces questions, Michaëlle Jean se montre à la fois lucide et optimiste. N'est-elle pas découragée de la situation? «Non. Jamais. On ne peut se permettre le luxe du pessimisme, dit-elle. Ce n'est même pas une option. On peut, à la fin de la journée, avoir toutes les raisons d'être pessimiste, mais il faut se réveiller avec un optimisme à tout casser. C'est essentiel. Ce qu'on a appelé la "résilience haïtienne" relève de ça.»
N'empêche qu'elle avoue ressentir parfois de la frustration. «Il m'arrive d'être en colère par ce que je vois sur le terrain. Mon seuil de tolérance à l'insoutenable n'est pas le même que celui de la population locale, pour qui c'est un quasi-réflexe de survie. Les gens doivent se protéger, se mettre une carapace qui atténue le champ de vision. On voit moins. Mais moi je vois tout. Et je l'ai dit au président: "Vous voulez changer l'image du pays? Il faut se mettre à pied d'oeuvre pour rétablir en Haïti un espace de dignité."»
Elle parle ici de ces «femmes assises à longueur de journée sur des détritus en train de vendre leurs produits, de ces marchés plantés à côté de canaux d'immondices qui débordent, des porcs qui sont là... Ça me trouble et ça me dérange», indique-t-elle.
Le tremblement de terre a «rendu plus visibles ces fossés» de pauvreté absolue, croit Michaëlle Jean. Mais là encore, elle préfère l'espoir au désespoir. En rappelant qu'en dehors du «cauchemar de Port-au-Prince», Haïti est «magnifique». Pleine d'espoir dans ses campagnes. Pleine de fruits mûris au chaud soleil. De possibilités touristiques et économiques. Un pays de jeunesse — donc, d'avenir.
Elle répète: malgré l'ampleur de la tâche, le pays n'a pas le luxe du pessimisme. «On peut avoir visuellement l'impression que rien ne bouge. Mais je refuse de dire ça: ce pays est en marche.» Un pas à la fois.
http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/339788/en-croisade-pour-haiti

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