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mardi 1 novembre 2011

Retour au pays natal d'Anthony Phelps

Anthony Phelps, né en Haïti en 1928, est l'un des poètes haïtiens les plus importants. Son oeuvre, poésie, roman, nouvelles est connue tant en Haïti qu'à l'étranger. Phelps a reçu deux fois le prestigieux prix Casa de las Americas pour sa poésie. Honoré dans de nombreux pays, ses livres sont traduits en une dizaine de langues et étudiés dans plusieurs universités. Phelps revient au pays natal pour présenter certains de ses livres récents : Le mannequin enchanté (nouvelles) Une plage intemporelle, Femme Amérique, Une phrase lente de violoncelle (poésie)... Il les signera à la librairie La pléiade de Pétion-Ville le samedi 29 octobre à partir de 10 heures a.m. Bonel Auguste l'a rencontré, accompagné de sa femme, Hélène, une Québécoise qui connait bien son oeuvre, son parcours littéraire (du début à aujourd'hui). Elle a participé à l'interview en complétant des réponses du poète, romancier, diseur. Haïti: Le Nouvelliste (LN) : Anthony Phelps vous êtes l'un de ceux à avoir initié l'un des mouvements littéraires les plus importants en Haïti, Haïti-littéraire. Quelle est l'essence du mouvement ?
Anthony Phelps (AP) : Cela a commencé par une rencontre entre mon père et un ami qui lui a apporté un recueil de René Philoctète, Saison des hommes. Mon père lui a dit, j'ai un fils qui est poète; on pourrait les mettre en contact. Et René est venu me voir à Pétion-Ville avec son recueil. Il y avait des poèmes dans le livre de René qui recoupaient ce que j'étais en train de faire. On a échangé quelques poèmes. Et il m'a dit, le 18 novembre c'est mon anniversaire que nous allons fêter à La galerie Brochette à Carrefour. Est-ce que ca t'intéresse de participer à cette soirée ? Je devais rencontrer d'autres membres, parce que Philoctète appartenait au groupe Samba : Legagneur, Morisseau, Davertige. Il y avait deux ou trois autres. Ils se mettaient à me poser des questions pour savoir quelle était ma position en poésie. Il semble que j'avais bien répondu; ils m'ont tout de suite accepté dans le groupe Samba. J'ai été agréablement surpris; tous les samedis à midi, il y avait lecture de poèmes. Je participais moi aussi, j'avais toujours des petits poèmes en poche. Parallèlement à cette rencontre, je montais avec deux beaux-frères Radio Cacique. On voulait faire une radio éducative. Cette station allait servir de lieu de rencontre de nous six, Anthony Phelps, René Philoctète, Serge Legagneur, Roland Morisseau, Davertige, et Auguste Ténor. Celui-ci s'intéressait plutôt à la politique. Il était militant syndical. Il a séjourné deux fois au Fort Dimanche, la deuxième lui a été mortelle.

En formant Haïti-littéraire, on voulait se démarquer en poésie de ce qu'avaient fait nos ainés, et de la négritude. Pour nous, la négritude ne pouvait pas être haïtienne, parce que nous avions déjà franchi cette étape. Nous avons rejeté cette idéologie, Duvalier a transformé la négritude en idéologie raciste, anti-mulâtre et anti tout ce qui était contre lui. On a dû négocier, on ne pourrait pas écrire un poème et dire des choses qui pourraient choquer le gouvernement. Cela nous a appris à maîtriser notre écriture, à apprendre le plus de mots. Plus tu connais de mots, plus tu peux écrire des choses intéressantes. Ça a continué. Puis j'ai été arrêté. J'ai passé trois semaines au bureau de la police. J'ai continué à Radio Cacique à diffuser tous les dimanches des poèmes engagés. J'avais les deux oreilles fixées sur la rue. Je me demandais s'ils n'allaient pas revenir. Ma mère m'a dit, Anthony, tu quittes le pays.

LN : Le mouvement Haïti-littéraire n'a pas été théorisé, il n'a pas eu de crédo non plus. Comment vous travailliez? Comment était l'ambiance ?
AP : Serge Legagneur, surnommé le poète mécanicien (il était mécanicien) avait une voiture qu'on appelait Pégase qui nous transportait. On allait à La galerie Brochette, on s'amusait, on buvait, fumait. On se réunissait pour se lire, on se critiquait durement. Quand enfin l'un de nous trouvait qu'un poème était bon, il fallait expliquer pourquoi. Tu ne pouvais rien dire, tu patinais, tu pataugeais. On s'engueulait parfois. Mais il n'y a jamais eu de frustration ou de rancoeur. L'autre jour encore, je disais à Serge Legagneur, le meilleur poète d'Haïti-littéraire, c'est toi. Il m'a répondu, le meilleur poète d'Haïti-littéraire, c'est Haïti-littéraire. Quand Davertige a reçu un coup de chapeau de Alain Bosquet, c'est comme si c'était tout le groupe qui l'avait reçu.

LN: Vous êtes le premier du groupe à avoir connu l'exil. Comment l'avez vécu, je suppose dans la douleur ?
AP: Je suis parti d'abord; les autres ont suivi comme tout le monde. Des intellectuels, des peintres, des écrivains, ils ont fui la dictature.

LN: Je revois encore la célèbre photo avant votre départ où tout le groupe est réuni, vous portiez une cravate, Phelps.
AP: C'est une photo faite par mon beau-frère, Jean-Claude Carrier qui faisait de la photographie avec moi. Il n'y avait pas que nous cinq. Il y avait aussi d'autres membres que nous appelions des satellites comme Emile Olivier, Marie Chauvet, Janine Tavernier, Jacqueline Baugé.

LN: Vous avez choisi le Québec comme terre d'accueil?
AP: Je connaissais déjà le Québec, mais c'est aux États-Unis que j'étais allé. J'avais eu un visa grâce à mon frère médecin qui travaillait à Philadelphie. Lors de mon premier voyage au Québec, j'avais fait la connaissance d'écrivains dont Yves Tério et sa femme. Quand ils ont su que j'étais à Philadelphie, ils sont venus me chercher. Ils m'ont dit: tu vas pas écrire en français aux Etats-Unis. Ils m'ont ramené à Montréal. Quelque temps après, nous avons refait Haïti-littéraire à Montréal. Legagneur était là, Morisseau était là, j'étais là, Gérard Etienne y prenait part aussi. Nous avons eu la chance de trouver un Haïtien qui avait un restaurant que fréquentait la bohème québécoise. Il nous a offert l'espace le lundi comme il n'y avait pas de musique. Nous nous réunissions pour dire des poèmes et nous avons aussi invité des poètes québécois.

LN: Je suppose que vous avez vécu l'exil dans la douleur comme la plupart des gens.
AP: Comme tout le monde en pestant, en croyant que Duvalier serait renversé dans 6 mois, dans 1 an par l'armée ou par une invasion. Ma mère est morte en 73, je n'ai pas pu rentrer; j'ai été interdit de séjour en Haïti. Mais en 80, il y a eu un commencement de dégèl dans le gouvernement de Duvalier grâce à l'arrestation de Jean Dominique et d'autres gens. Et J'ai pu rentrer. Mon frère Pierre qui était ici, je lui ai dit, pose des questions au ministère de l'Intérieur. Il est allé voir le ministre qui lui a demandé si Anthony avait 50 ans. Mon frère lui a répondu oui. Et il a dit que je pouvais rentrer, car après 50 ans, il n'y a plus de révolutionnaire. Mais j'avais peur, je ne sortais pas. Je restais sur la galerie de la maison à Pétion-Ville.

LN: Vous vous êtes bien intégré à Montréal, vous avez travaillé à la radio...
AP: Non, j'ai travaillé à la télévision à Radio-Canada, Radio-Canada c'est aussi la télé. J'y ai travaillé pendant 20 ans comme journaliste. Après, j'ai passé 8 ans au Mexique, ensuite je suis revenu en Haïti pour travailler avec Jean-Claude Bajeux au ministère de la Culture et aussi avec le cinéaste Raoul Peck. J'ai monté des spectacles avec Syto Cavé, entre autres, 60 ans d'histoire qui a fait un boom.

LN: En Haïti, vous avez publié trois livres, Eté, Présence, Eclats de silence, dans lesquels, on remarque une quête de fraternité, un grand besoin d'amour, un désir de profonde intimité avec l'être aimé...
AP: Oui, oui, c'est parce qu'il n'y avait pas encore la souffrance de l'exil.

LN: Effectivement, on voit la différence entre les livres publiés en Haïti et ceux publiés en exil comme Points cardinaux, La bélière caraïbe, Orchidée nègre, Mon pays que voici qui évoquent la blessure de l'histoire, la mémoire douloureuse, la souffrance aiguë.
AP: Mon pays que voici, il y a une grande partie qui a été écrite en Haïti. Je suis parti au Québec avec un enregistrement de Mon pays que voici. En arrivant à Montréal, je l'ai fait écouter à deux ou trois camarades qui m'ont dit, Anthony, il faut mettre sur disque. Le livre est sorti après le disque.

LN: Ce disque vous a fait connaître à un large public en Haïti et ailleurs.
AP: Oui, un peu partout. Le romancier poète martinais, Ernest Pépin m'a dit, il y a deux ou trois ans, qu'il y a trois objets qu'on retrouvait dans la chambre des étudiants martiniquais, guadeloupéens et autres qui étudiaient en France, c'étaient une photo, celle de Che Guevara, un livre, Cahier d'un retour au pays natal, un disque, Mon pays que voici. Les Haïtiens qui étaient de passage à Montréal prenaient soin d'acheter le disque, mais ils achetaient aussi un disque de musique cubaine. Ils laissaient la pochette de Mon pays que voici pour mettre le disque dans la pochette du disque de la musique de danse cubaine pour pouvoir passer tranquillement à l'aéroport.

LN: Votre écriture poétique est très travaillée, elle est exigeante et on y trouve parfois des mots rares. Philoctète aurait dit un jour que vous écrivez comme un chirurgien.
AP: Le goût du travail sur la langue, je l'ai hérité de la famille. Mon père était commerçant, mais il écrivait des petits billets pour Le Nouvelliste et Haïti-journal. Je lisais, il y avait la bibliothèque familiale. L'un de mes oncles qui s'appelait Carl Wolff que je n'ai pas tellement connu, a écrit un livre intitulé Carolus que j'aimerais faire rééditer. Ce sont des fables comme celles de La Fontaine. Lui, il a utilisé des animaux d'ici. Les fables se terminent par un dicton en créole. Il y avait Jules Faine qui a avait épousé la soeur de ma mère. C'est lui qui avait écrit le premier livre sur la langue créole.

LN: Vous, vous n'avez jamais essayé d'écrire en créole ?
AP: Non jamais. Le français est une langue difficile. Me mettre sur les épaules d'une autre langue, le créole, non... je ne sais pas comment il fait Castera. Lui, il écrit un créole impeccable.

LN: Vous ne pouvez pas dire non plus en créole
AP: C'est difficile, mais j'ai dit un texte en créole, L'homme qui plantait des arbres de Giono traduit par Castera.

LN: A partir des années 70, vous vous êtes mis au roman tout en continuant avec la poésie. Dans les deux premiers, Moins l'infini et Mémoire en colin-maillard, Vous évoquez avec réalisme la dictature des Duvalier. Vous la dénoncez même, mais dans une sorte de mélange de réalisme et d'onirisme, surtout dans Mémoire en colin-maillard.
AP: J'ai écrit des romans pour évacuer la dictature, ses crimes, ses horreurs. Pour moi c'est une sorte de catharsis.

LN: La poésie le ferait mieux, non ?
AP: Non, la poésie a un côté mystérieux, qui ne dit pas tout à fait. Le roman te permet de dire et même de dénoncer. Le dernier roman que j'ai écrit et qui n'est pas encore arrivé ici, c'est un roman sur le retour impossible qui s'appelle La contrainte de l'inachevé, il est bien reçu par la critique et l'objet d'une thèse. Je viens de terminer une sorte de collage de nouvelles qui va former un roman. Il me faut trouver des recettes de plats haïtiens.
Vous savez, de tous les arts, la poésie est la seule qui ait été créée par l'homme. On trouve la musique dans la nature, la peinture, la sculpture, le chant, tout... Mais la poésie n'existe pas dans la nature. C'est une création humaine. La poésie ne rapporte rien, le roman rapporte de l'argent et les disques aussi, car les gens préfèrent écouter la poésie que la lire.

LN: Quand et comment écrivez-vous ?
AP: J'écris la nuit. Pour la poésie, j'ai un fichier que j'appelle Réserve poésie. Et je remplis ce fichier de temps à autre. Parfois, c'est deux lignes, trois lignes. D'autres fois c'est tout un paragraphe d'images qui n'ont rien à voir entre elles. Au bout de trois ou quatre semaines, je n'ai plus rien en cours, je vais au fichier pour voir ce que j'ai et comment je peux éventuellement les organiser. La poésie, je l'écris avec plaisir; le roman, je l'écris dans la douleur. Parfois j'ai envie d'assener le texte d'un coup de marteau pour le terminer. C'est plus physique. Il y a les personnages auxquels, il faut donner de la profondeur. Parfois, ils n'en font qu'à leur tête et suivent leur propre voie.

LN: Vous êtes aussi un diseur important, où avez-vous appris à dire ?
AP: J'ai appris seul en écoutant les autres, des diseurs comme Jean Villard.
Bonel Auguste
http://lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=98840&PubDate=2011-10-28

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