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jeudi 10 juillet 2008

Quand Haïti vend ses enfants « esclaves »

Quand un pays en arrive à vendre ses enfants, faute de pouvoir s'en occuper, il est temps de renoncer à son indépendance au nom de la protection de ces enfants. Je sais que cela choquera bien de ces « nationalistes sans nation » et je m'attends à leur critique. Je les invite, toutefois, à voir le reportage de la chaîne américaine ABC du 8 juillet : Child Slavery in Haïti. Images à l'appui, le journaliste démontre sous nos yeux qu'il peut acheter un enfant haïtien en moins de 10 heures en prenant un vol à partir de New York. Toutefois, je refuse de faire passer sous silence la responsabilité de certains acteurs internationaux dans le pays qui, fort de leurs moyens financiers, trompent la vigilance de pauvres parents rendus vulnérables par la misère. Cette forme moderne d'abuser des plus faibles peut conduire dans certains cas jusqu'au commerce des organes. On ne serait donc pas loin des temps modernes des négriers.

Je refuse non plus de ne jouer que la carte de la victime en laissant de côté la faillite nationale. En effet, les scènes journalières d'enfants en larmes dans nos aéroports n'attirent l'attention de personne, encore moins des policiers ou d'autres autorités. Quand la première « République noire indépendante », qui s'est libérée du joug de l'esclavage et a libéré d'autres pays également, met ses enfants en esclavage pour les vendre, on ne peut y voir que la malédiction de l'histoire. Un pays qui vend ses enfants ne mérite pas d'être indépendant. Il est vrai, cela fait quelque temps déjà, qu'il l'a perdu et à ce rythme, cette histoire glorieuse ne sera qu'une chimère confinée aux bouquins d'histoire.

Certes, on savait que cela se faisait un peu, voire clandestinement, en trompant la vigilance des pouvoirs publics et des parents. Mais on était loin de se douter qu'il existait un trafic aussi bien organisé et qu'il y avait des enfants « entraînés » à être vendus. Il me vient à l'idée ces braves compatriotes qui ne manquent aucun rendez-vous national et international pour marquer leur indignation quant au traitement des Haïtiens en terre étrangère. Je crois qu'ils ont du boulot à la maison quand des Haïtiens eux-mêmes, à grande échelle, vendent des enfants volés ou les leurs au premier acheteur.

Bien sûr, personne n'est responsable. Que ce soit le père qui abandonne la famille et qui continue allègrement de procréer, ou bien l'Etat trop occupé à chercher un gouvernement, et quand il le trouve, trop occupé à gérer la prochaine élection. Bref, les adultes sont trop occupés à gérer des choses sérieuses pour perdre du temps à s'occuper des enfants et empêcher les trafiquants de faire fortune. Mais aujourd'hui, s'il faut trouver des coupables, je nommerai ceux qui se taisent et n'agissent pas, qu'ils soient décideurs publics ou simples citoyens, bref, la société. Le trafic des enfants à si grande échelle et si impunément mené est aujourd'hui une honte nationale. Voir ce reportage sur une grande chaîne câblée américaine est une disgrâce pour le pays et ses leaders, tant du secteur public que du secteur privé. Cette irresponsabilité nationale est aussi une forme de préjugé, car il traduit un mépris pour certains groupes sociaux bien particuliers. Ayons le courage de le reconnaître si on veut réellement agir. Il est tellement facile de prendre outrage du racisme des autres qu'on en arrive, peut-être inconsciemment, à cacher nos propres travers.

Faut-il conclure que sur la colère ou le désespoir ? Non. Je crois qu'il s'agit là d'un « autre ultime » appel. Un ultime appel pour ces gouvernements irresponsables qui laissent des milliers d'enfants encore exposés parce qu'ils ne sont pas en salle de classe; un ultime appel à ce secteur privé non solidaire qui n'a jamais construit des espaces publics pour que ces enfants puissent jouer et grandir sainement sans se sentir exclus; un ultime appel pour ces pères irresponsables qu'il convient d'éduquer autrement et/ou de sanctionner; un ultime appel pour certains qui rafistolent de petits projets sans lendemain pour les enfants défavorisés, question d'avoir des financements ou un capital politique; bref, un ultime appel pour ceux qui se taisent et n'agissent pas. Je terminerai tout de même en souhaitant du courage à certains de mes compatriotes qui s'en occupent sérieusement, le plus souvent sans moyen, car il en existe heureusement, ceux qui passent pour d'éternels naïfs et rêveurs.
Nesmy Manigat

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=59631&PubDate=2008-07-10

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