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dimanche 1 juin 2008

HAITI CHERIE.. LE FILM

Un jeune couple d’origine haïtienne installé dans une plantation de canne à sucre en République Dominicaine aspire, comme tout être humain, à une vie meilleure. Autant les circonstances que l’espoir les amènent à retourner dans leur pays d’origine, où règne pourtant le plus complet chaos. Haïti chérie ne parvient pas tout à fait à échapper à un certain didactisme, mais le film est plus une colère qu’un acte militant. Il se révèle surtout une plongée saisissante et poignante au plus près du dilemme des exilés qui, envers et contre tout, espèrent.

Au plus fort de sa situation tragique, Haïti a eu droit à son espace médiatique en 2004, lors du départ ubuesque du président Jean-Bertrand Aristide. Une force internationale sous l’égide de l’ONU s’y trouve depuis, la démocratie a repris tant bien que mal son cours, mais la réalité est toujours celle d’un des pays les plus pauvres au monde. Haïti a refait, un peu, parler de lui en avril dernier, secoué, comme tant d’autres pays, par des « émeutes de la faim », provoquant la démission du Premier Ministre Jacques-Édouard Alexis. Cet État partage l’île d’Hispaniola avec, à l’est, la République Dominicaine. Une vie économique structurée et la relative stabilité politique font de cette dernière un point de chute attractif pour les miséreux voisins haïtiens. Jean-Baptiste et Magdaleine sont de ceux-là, ils vivent dans une batey (une plantation de cannes à sucre).
La scène d’ouverture ne laisse pas planer grand mystère sur leur condition. Dans un cercueil improvisé gît le corps d’un bébé. L’heure est plus à la gravité qu’à un désespoir hystérique, comme si le malheur, la douleur et la mort étaient une donnée ordinaire, à force de souffrance. Comme une boucle, le film se terminera par une autre mort, là encore vécue dans une sorte de mélancolie résignée, comme un ordre des choses. Alors que le couple part accomplir l’inhumation de leur enfant, un garde-chiourne vient les rappeler à l’impératif économique : en ces temps de coupe, la plantation a besoin de tous les travailleurs. Un peu plus tard, le travail est accompagné de chants, peut-être ceux des esclaves, comme un effroyable écho venu du XVIIIe siècle.
Au sein du couple, alors que Jean-Baptiste incarne une certaine fatalité, Magdaleine se persuade que l’on ne naît pas pour être coupeur, qu’une autre vie existe, ailleurs. Son idée fixe devient le retour en Haïti, leur terre d’origine. Un sentiment que partage un jeune garçon, Pierre, adolescent sans attache familiale, subjugué par la beauté de la jeune femme. Dans ces circonstances sub-humaines, Claudio Del Punta place la sexualité comme une sorte de régulateur des relations. Elle permet d’atténuer les tensions au sein du couple après une violente dispute. Un acte de générosité aussi, lorsque la jeune femme masturbe Pierre envahi de désir. Mais aussi et surtout, elle est soumise aux relations de pouvoir au sein de la plantation. Chosifiés, les damnés de la patey sont ainsi des objets subalternes dont les gardes pensent pouvoir disposer. En empêchant et en réglant son sort au coupable de la tentative de viol de Magdaleine, Pierre et Jean-Baptiste précipitent le départ, avec l’aide d’Ernesto, médecin humaniste au sein de la plantation. Direction Haïti.
Haïti chérie est une fiction qui semble se dérouler au coeur du réel, qui semble entrer dans le champ bien souvent, ou l’effleurer. À quelques exceptions près, les acteurs sont d’ailleurs non professionnels, et certains rejouent vraisemblablement des situations vécues. Cette démarche procure souvent l’impression d’un alliage entre un réalisme étrange et une poésie brutale, qui n’est pas sans faire songer à celle de Nicolas Klotz dans
La Blessure (2005), autre histoire de vies de douleur d’exilés. Les clivages et les hiérarchies verticales sont au centre du film. Le plus évident est le gouffre entre dominants et dominés. Plus complexe qu’il n’y paraît d’ailleurs, car si les ouvriers sont soumis à la férule des gardiens, ces derniers eux-mêmes subissent un joug, jamais visible, mais il n’est pas difficile de deviner qu’ils répondent à l’autorité d’une firme cupide. Ce clivage est aussi racial : noirs (et immigrés haïtiens) exploités et cerbères métis. Le « blanc » est très peu visible, sinon pour être porteur d’un humanisme : Ernesto le médecin et un éveilleur de conscience syndical prié manu militari d’aller prêcher la bonne parole ailleurs. Plus importants en fait s’avèrent les blancs invisibles, donneurs d’ordres légitimant une situation bafouant la plus élémentaire dignité humaine. Clivage enfin dans l’usage des lieux, lorsque Jean-Baptiste, au cours du périple, croisent deux occidentaux en goguette, affublés de deux compagnes. La question du tourisme sexuel rejoint ainsi l’idée déjà énoncée d’une sexualité soumise à des relations de pouvoir, symbolique et économique.
Le parcours vers Haïti de Magdaleine, Jean-Baptiste et Pierre, aidés du médecin, constitue le corps du film. Celui-ci est un pénible cheminement désillusionné et plein de doutes. Le cinéaste parvient à inscrire habilement son récit dans un rythme qui piétine et patine. Dans cet entre-deux, les êtres semblent errer dans un non-monde et une non-existence, à la fois en pointillé et en suspension. Ceci avant de plonger le couple, Pierre renonce finalement, dans une sorte d’asile à ciel ouvert dévasté par la violence : Haïti. Vu d’Europe (le cinéaste est italien), Haïti chérie est aussi un élémentaire et nécessaire rappel que derrière les chiffres, par exemple d’une préfecture ou d’un ministère à l’intitulé révoltant, se jouent des vies et des milliers de destins individuels tragiques. L’exil n’est pas un choix, sinon par défaut, mais il s’agit avant tout d’un dilemme.
Arnaud Hée
http://www.critikat.com/Haiti-cherie.html

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