Google

mardi 4 mars 2008

L'autorité et le charisme de Wyclef Jean

Après 1997, année de la sortie de l'album Carnival, d'aucuns se sont demandé si Wyclef Jean était l'homme d'une seule illumination. Cet album solo de l'ex-Fugees avait été une révélation, non seulement pour la planète hip hop mais encore pour l'entière culture moderne de la Caraïbe et de la diaspora haïtienne. Et après? Il nous fallut attendre jusqu'à ce Carnival Vol. II/Memoirs Of And Immigrant dont on a absorbé l'intense relecture sur scène au Métropolis - hier et mercredi.
Jusqu'à une période récente, le présumé visionnaire a produit d'autres rappeurs, il leur a fait tout plein de disques généralement moyens. Le chanteur, rappeur, multi-instrumentiste et compositeur a signé trois disques solo de belle facture, mais jamais de la trempe de Carnival - The Ecleftic, Masquerade, The Preacher's Son, Welcome to Haïti Creole101... Le Carnival Vol. II? Le meilleur depuis son premier mais pas aussi marquant. Cela étant, Wyclef Jean est demeuré depuis l'artiste haïtien le plus respecté sur terre.
Dans la nuit du Nouvel An, il avait fait une apparition-surprise chez les Haïtiens de Montréal réunis au complexe Christina avec l'excellent groupe konpa Djakout Mizik. Il a remis ça cette semaine avec un ensemble de très bon niveau (batterie, percussions, tables tournantes, claviers, basse, guitare) et sa soul sista pour défendre son nouveau répertoire et quelques-uns de ses classiques.Vous vous doutez bien que ces deux soirées montréalaises ne pouvaient comprendre l'alignement de superstars invitées sur son récent album - Paul Simon, Sizzla, Shakira, Mary J.Blidge, Norah Jones, etc. Or, sa seule personne, son seul talent, son seul charisme ont amplement suffi à tatouer les mémoires de ses fans venus à sa rencontre malgré un imposant déploiement de sécurité. Hip hop oblige, on comprendra les motivations des producteurs d'assurer le décorum mais... mercredi soir, en tout cas, la foule multiculturelle (majoritairement blanche) était surtout constituée de jeunes adultes pas tout à fait redoutables.On a eu droit à près de trois heures de grande intensité sans interruption sauf peut-être les longueurs d'un concours de danse improvisé pour demoiselles volontaires. Propice à l'improvisation, ce continuum sur scène en a peut-être dérouté certains à cause des changements soudains de direction commandés par Wyclef. Manque de rigueur? Peut-être à certains moments... À mon sens, il fallait plutôt s'adapter à cette façon efficace de balancer son répertoire: l'auditoire ne fut-il pas galvanisé jusqu'à la fin?Tant de styles on mijoté dans la marmite de Wyclef: piano intimiste, rock assez corrosif, baratin hip hop avec codes gestuels assortis, soul profondément afro-américaine, gospel, blues, folk blanc, pop blanche d'Occident, pop indienne sauce Bollywood, pop latino-américaine, évocations de Carlos Santana (Samba Pa'Ti) et de Lou Reed (Walk On The Wild Side), marées de roots reggae (No Woman, No Cry), échos de Bob Marley, Jimmy Cliff, Bunny Wailer ou Peter Tosh, reggae rock, soupçon de guitare jazz, rara et konpa d'Haïti. On n'a plus le hip hop qu'on avait!Au programme: nostalgie, tristesse, colère, agressivité, incitation à la fête, engagement et discours critique (mentions spéciales à George W. Bush, sarcasmes adressés au leader afro-musulman Louis Farrakhan, remarques polissonnes à Barack Obama et Hillary Clinton, etc.), quête de l'identité pour les réfugiés culturels, affection sincère pour le public de Montréal, allégeance à la diaspora haïtienne (créole à l'appui), pacifisme fervent («we all need to stop the fighting»).

Bien qu'il soit établi à New York depuis l'enfance, Wyclef Jean peut être considéré comme le Bob Marley de sa génération. Ce qu'on a vu et entendu cette semaine mène à conclure qu'il a le charisme et le leadership du plus grand rassembleur caribéen depuis que Bob est passé à une autre dimension. «It's so motha'fucking sunny inside!», nous a-t-il d'ailleurs révélé vers la fin de cette prestation plus que généreuse.

Alain Brunet, La Presse, vendredi 29 février 2008


http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=54961

Aucun commentaire: