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vendredi 24 mai 2013

Troisième jour en Haïti: "L'enfer de la pauvreté absolue"

HAÏTI - Jour 3: Ce matin, la visite tant attendue du camp Jean Marie Vincent où vivent les personnes déplacées à cause du séisme. Pour moi, il s'agit de l'expérience la plus forte jusqu'à présent. Certes je voudrais retourner à Cité Soleil. Mais là, on entre dans l'enfer. L'enfer de la pauvreté absolue. Nous avons eu une vision directe de la réalité.
© Igor Rugwiza, MINUSTAH

Avant de commencer la visite dans le camp, j'ai été reçu par des membres de la Police nationale haïtienne (PNH), des Nations-Unies et des femmes du contingent du Bangladesh. On m'a briefé sur l'historique du camp et ses problèmes. Sur ses accomplissements aussi, comme le nombre de personnes qui en sont parties. Clairement le camp se vide. On m'évoque le problème de l'afflux de personnes qui recherchent dans le camp la sécurité assurée par les forces de police des Nations-Unies avec des patrouilles 24h/24, et, juste après le séisme, de l'eau et de la nourriture.

David Preux, de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), m'a expliqué comment on aide au départ des personnes du camp avec des subventions graduées qui leur donnent accès à des logements. On m'a aussi informé sur la collaboration des équipes de la police des Nations-Unies pour la formation de la police haïtienne, et sa féminisation.
Puis nous sommes partis. Et là, on assiste à quelque chose de très bouleversant, de très fort. Je vois une dame en train de laver son linge dans une bassine. Je demande à un représentant du comité de gestion du camp, élu par les résidents du camp: "mais l'eau, où est-ce qu'on la trouve?". Il m'explique qu'on la paie, environ 5 gourdes par bassine soit 8 cents pour des gens qui, au mieux, gagneront 1 dollar par jour. C'est une dépense considérable, simplement pour avoir de l'eau. On avance ensuite dans cette marée de plastique, malgré le fait que, tous les cinq jours, des équipes d'habitants du camp nettoient. Que fait-on des déchets? Où vont-ils? C'est ma question principale au sujet de l'île, la gestion de ces déchets m'intéresse.


© Igor Rugwiza, MINUSTAH
À un moment donné nous avons entendu une dispute, des gens se poursuivaient en se jetant des grosses pierres. C'était sérieux, violent, un lynchage. La sécurité m'a protégé. Les forces de police haïtiennes ont tiré en l'air pour intimider la foule mais il y a eu des échanges de tir entre des groupes de résidents du camp. Il y avait des traces de sang. J'ai vu la coordination incroyable entre les forces de police. La façon dont l'événement a été géré était efficace, pas dans la répression mais calme.
La situation était quand même chaude et j'ai dû quitter le camp. C'est comme un baril de poudre. On a vu à quel point tout peut escalader rapidement. Clairement, il s'agissait d'un problème de pillage, avec une vengeance contre une personne venu voler des gens qui, eux, n'ont rien.

© Igor Rugwiza, MINUSTAH
 Une photographie réelle, brutale
Finalement, ce n'est pas un problème de catastrophes naturelles, ou un problème d'une soi-disant violence intrinsèque à la nature haïtienne. C'est le problème de la pauvreté et de ses maux. Et j'ai envie de reprendre cette notion qu'aimait partager avec moi l'Abbé Pierre, qui disait que "le plus important est d'ouvrir les yeux sur la pauvreté. De ne pas faire fuir le regard. De l'observer à fond". Aujourd'hui, j'ai ouvert les yeux totalement.
L'Abbé Pierre m'a donné du courage, je me suis engagé parfois, pas assez...mais ce matin, j'ai beaucoup pensé à l'Abbé Pierre. Je l'imaginais dans un camp comme Jean Marie Vincent. Il n'aurait pas voulu partir, il serait allé au-devant des gens. Je ne voulais pas partir non plus...

http://www.huffingtonpost.fr/lambert-wilson/haiti-pauvrete-absolue_b_3317788.html

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