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vendredi 10 février 2012

Réinventer la politique en Haiti

Peut-on sortir du discours purement compassionnel sur Haïti ? Parfois, à entendre les experts, haïtiens ou étrangers, on en douterait. Capitale de la douleur, Port-au-Prince attire « l’empire humanitaire » depuis le séisme de janvier 2010. Mais le regard n’était-il pas sensiblement le même auparavant ?
Haïti, réinventer l’avenir vient de paraître aux éditions de la Maison des sciences de l’homme, sous la direction de Jean-Daniel Rainhorn.
Cet ouvrage de 350 pages rassemble 26 communications ou témoignages issus d’un colloque, dont l’ambition était d’amorcer un dialogue à trois (ou trialogue) entre les intellectuels haïtiens vivant dans leur pays, ceux de la diaspora et les organisations de coopération internationale.
L’ouvrage fourmille d’idées pour la reconstruction ou la refondation d’Haïti : les divergences concernant l’avenir commencent par la terminologie. Les analyses et les diagnostics sont souvent pertinents et leur mise en forme facilite la lecture.
Si on devait exprimer une préférence, on recommanderait le texte de Laënnec Hurbon sur « Religions, politique et mondialisation », qui porte un regard aigu sur l’essor du pentecôtisme.
Cependant, il est étonnant de voir presque 50 pages consacrées à la critique des médias, un sujet très à la mode. D’autant que le décryptage politique de la crise haïtienne brille par son absence. L'aide humanitaire n'échappe pas aux critiques, et c'est normal. L'action des casques bleus des Nations unies pourrait aussi être contestée.
Est-ce un tabou d’envisager de manière critique la responsabilité des hommes politiques et des partis haïtiens ? Est-ce qu’on ne peut pas pointer du doigt l’incompétence coupable de l’ancien président René Préval, élu avec le soutien de tous les « pays amis » ? Fallait-il attendre les révélations de WikiLeaks pour décrire ses faiblesses ?
Avec le nouveau président Michel Martelly, les Haïtiens ne sont sans doute pas sortis de l’impasse politique. Alors, quel est le sens de dénoncer la mise sous tutelle du pays, si on glisse sur la défaillance de l’Etat et si on tait l’irresponsabilité des politiciens ?
Cette évacuation du politique dès qu’il s’agit d’Haïti est commune aux humanitaires, aux coopérants, aux médias et aux universitaires. Ce faisant, les uns et les autres transforment les Haïtiens en objets de leurs discours et leur dénient le statut de sujets. Les victimes méritent aide et compassion, pas ceux qui fuient leurs responsabilités.
Réinventer Haïti suppose de réinventer la politique. Et pour ce faire, il faut commencer par décrypter la politique réellement existante en Haïti, sans complaisance ni paternalisme.
http://america-latina.blog.lemonde.fr/2012/02/09/reinventer-la-politique-en-haiti/

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