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mercredi 15 septembre 2010

si m pa rele...D’une certaine fausse représentation des "divisions" d’Haïti

La tribune hebdomadaire de Lyonel Trouillot mardi 14 septembre 2010, Radio Kiskeya
Je suis assez énervé d’entendre constamment des haïtiens et des étrangers répéter que les haïtiens ne savent pas s"entendre. Il y a là une généralisation qui fait offense aussi bien au peuple haïtien qu’à l’intelligence humaine. Ce genre de cliché témoigne d’une paresse intellectuelle qui interdit l’analyse concrète des causes de nos problèmes et de désigner les sujets historiques qui en portent la responsabilité, puisque tout est dû à une tare commune, un vice de naissance ou un défaut de fabrique.
La Belgique peut-être appelée à disparaître, mosquée ou pas mosquée sur le site de "ground zero", la montée de l’extrême-droite dans certains pays d’Europe et son ciblage de certaines ethnies, et tout près de nous la République dominicaine où les noirs n’osent pas se dire noirs. Il y a partout dans le monde des problèmes sociaux, des discours alimentant de vrais et de faux conflits, et il y a surtout partout dans le monde, dans toutes les sociétés, des groupes sociaux dont les intérêts divergent. Les grèves, les manifestations en sont des témoignages quotidiens. Les barrières sociales, les clivages sociaux, la lutte des classes pour l’appeler par son nom, ne sont pas des exclusivités haïtiennes.
Ce qui fait problème particulier en Haïti, c’est peut être que l’Etat et la société n’ont jamais su, surtout voulu, aménager un cadre pour l’expression des conflits sociaux. Jean Casimir et d’autres chercheurs ont fait ressortir les orientations différentes que les élites et les masses populaires ont voulu donner à la société haïtienne au lendemain de l’indépendance. C’est en grande partie un Etat et une société qui se sont mis en place contre les intérêtes et les propositions populaires. ce n’est pas un problème entre haïtiens, mais un problème entre groupes d’haïtiens. Entre le bord de mer (ce qu’il en reste) et les terres intérieures ; entre l’assimilation version occidentale et les pratiques culturelles populaires, entre la richesse et la pauvreté vu que les conditions de production de l’une détermine les conditions de production de l’autre. C’est dans le concret de l’organisation sociale qu’il faut trouver, chercher et combattre ce qui fait blocage. Ce sera plus utile, moins désespérant qu’un discours d’auto-flagellation qui réunirait tous les haïtiens.
"Les haïtiens". Voilà peut-être une expression qu’il faut bannir de notre vocabulaire. Surtout qu’on ne l’utilise que lorsque l’on entend, paresseusement, se dédouaner en mettant la responsabilité sur un "nous" qu’on nie par ailleurs. Cette bonne bourgeoise qui se met à parler anglais quand elle ne veut pas que le personnel domestique comprenne la conversation ; cet entrepreneur qui ne respecte pas les normes et se spécialise dans les trafics et contrebandes ; ce petit-bourgeois individualiste qui ne connaît de cause que sa promotion individuelle ; ce couple de parents n’ayant jamais inculqué la moindre notion de civisme à ses enfants ; ce religieux sectaire qui dénonce tous les autres cultes comme des oeuvres sataniques, entendre ce genre d’individus dire que "les haïtiens ne savant pas s’entendre", c’est comique au meilleur des cas, mais, en y pensant sérieusement c’est malhonnête et dangereux.
S’entendre autour de quoi ? Dans les intérêts de qui ? Organiser quel vivre ensemble, fondé sur quels principes ? Et surtout, ma part de responsabilité. sociale, mais aussi individuelle. Dans la crise que nous vivons actuellement, on ne peut pas faire l’économie des responsabilités individuelles, tout en se livrant à l’analyse du fonctionnement global de la société. Il est trop facile, pour les politiques, comme pour les simples citoyens, de tout renvoyer à un sujet collectif, impersonnel, pour éviter de se se demander : et moi, dans tout ça ? Quand des institutions échouent, quand les élites économiques ne peuvent rien proposer pour l’ensemble, quand des personnalités politiques préfèrent leurs intérêts personnels aux intérêts collectifs, quand des parents font de leurs enfants des petits monstres sans idéaux ni patrie, cessons de dire que les haïtiens ne peuvent pas s’entendre. C’est une façon d’épargner les responsables et d’offrir une population, un peuple, comme matière à caricature.
http://radiokiskeya.com/spip.php?article7047

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