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samedi 21 août 2010

L'aide qui peut tuer

Le Service jésuite aux réfugiés (SJR) a inauguré jeudi son bureau national en Haïti. Avec pour objectifs accompagner, défendre et servir, cette organisation de droits humains prêche aux ONG la participation communautaire, la transparence et le respect de la culture des personnes déplacées.
Haïti: « En négligeant ses responsabilités vis-à-vis de la population, l'Etat laisse faire les ONG. Celles-ci, se sentant souveraines dans leurs opérations, laissent la population sur le qui-vive. » Tel est le constat dressé par le Service jésuite aux réfugiés (SJR), qui a profité de la Journée mondiale de l'aide humanitaire célébrée le jeudi 18 août pour inaugurer son bureau à Port-au-Prince. Wismith Lazard, directeur exécutif de l'organisation catholique, estime que les ONG n'ont pas su s'acquitter correctement de leurs tâches en raison de l'absence de contrôle de l'Etat sur leurs actions.
« Le gouvernement doit mettre en place des mécanismes visant à mieux orienter les interventions des ONG », insiste M. Lazard, qui appelle à la transparence des organismes humanitaires. « Le manque de preuves est criant, car le porteur de l'aide est celui qui contrôle son aide », s'inquiète-t-il.
Pourtant, selon le spécialiste des droits humains, en mettant en place des mécanismes capables de réguler ce secteur, l'Etat responsabiliserait les ONG et pourrait se fier à leurs actions. Les ONG, elles aussi, bénéficieraient de plus de crédibilité aux yeux de la population en rendant compte à l'Etat.
Cette absence de régulation occasionne, d'un autre côté, la duplication des interventions dans les camps d'hébergement, selon le directeur exécutif du SJR. « On peut trouver plusieurs institutions oeuvrant dans un même domaine sur un même site sans aucune coordination, alors que celles-ci ont la capacité d'être plus efficaces s'il y avait de la cohésion dans leurs travaux », soutient Wismith Lazard, qui déplore également que la population ne soit pas impliquée dans les prises de décisions.
Père Lazard veut que l'action humanitaire respecte également la culture des personnes affectées. Le responsable du SJR fait état de la dénaturation de l'habitat et d'autres réalités haïtiennes dans le processus de reconstruction engagé sur la place. « L'aide humanitaire est un droit, martèle-t-il. Elle ne peut en aucune façon affecter la culture d'un peuple. »
Pour Camille Charlmers, qui était invité à débattre du thême assistance humanitaire et développement, Haïti aurait été victime de la dénationalisation des instances d'orientation. « Depuis 1994, on assiste à l'expropriation de la fonction de prise de décision de l'Etat haïtien », fait-il remarquer. L'économiste de la Plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif dénonce ce contexte qu'il qualifie de dangereux pour la nation.
L'aide humanitaire devient un poison aux mains des pourvoyeurs quand elle ne répond pas aux problèmes et aux desiderata de la population. Le père Jean Hanssens le soutient. « Il y a une tendance à soumettre les populations à l'assistance humanitaire, dit-il. Une aide qui ne respecte pas la culture et la dignité. »
Les responsables du SJR voient quelque part dans le travail de l'ONG une sorte de sous-traitance. « Nous ne voulons plus de ce type d'aide humanitaire qui profite beaucoup plus aux ONG qu'à nous autres qui sommes dans les camps dans l'attente de miettes qui tombent de leur bouche comme si nous étions des mendiants», lit-on dans l'un de leurs documents intitulé : Le SJR plaide pour une orientation de l'aide humanitaire en Haïti.
Le père Hanssens fait appel à plus de responsabilités de l'Etat haïtien vis-à-vis de ses concitoyens. Car, dit-il, « en collaborant entre eux, les pays se doivent de la solidarité en cas de catastrophe. Mais en même temps, la coopération peut être un outil de contrôle de marché. »
Lima Soirélus
lsoirelus@lenouvelliste.com
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=82710&PubDate=2010-08-20

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