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lundi 21 juin 2010

Que le remède ne tue pas les médecins

Qu'adviendra-t-il des médecins haïtiens, une fois que l'aide médicale internationale aura absorbé toute - ou presque - la totalité de leur clientèle ? Telle est une des grandes questions qui turlupine la matière grise de nos cadres médicaux haïtiens qui proposent un regroupement des institutions privées de santé et la constitution d'un pool de formation pour les internes. Haïti: Depuis le séisme du 12 janvier, les portes d'Haïti sont grandes ouvertes et s'y introduit l'aide sous toutes ses formes, en particulier en soins médicaux. Bien entendu, durant les 72 premières heures qui ont suivi le séisme, la main-d'oeuvre médicale était essentiellement haïtienne. A l'Hôpital du Canapé-Vert, comme dans plusieurs hôpitaux privés, la surprise fut vite remplacée par des soins d'urgence prodigués à des blessés arrivant de partout, affolés, nécessitant surtout des soins en orthopédie, en chirurgie ou en obstétrique. Sans perdre un seul instant, les médecins et infirmières ont réagi : les lits ont été installés sur la cour. Le monde médical et les volontaires se mobilisent, quittant leur famille et surpassant la peur des premiers instants, ils se mettent à prodiguer des soins. Le ''Privé'' passe au ''Public''. Sans transition. Solidarité et abnégations sont les priorités.
« Jusqu'au 16 janvier, nous avons fait face seuls à cette catastrophe, travaillant sans arrêt, jusqu'au bout de nos forces et à l'épuisement de nos matériels et médicaments. Nous avons prodigué les soins et fourni les médicaments gratuitement, bien sûr. Nous étions seuls à nous occuper des malades, nous dit le docteur Michel Théard, vice-président de l'hôpital du Canapé-Vert. Le lendemain du drame, une équipe de la Croix Rouge des Gonaïves est venue d'elle-même nous aider et a accompli un travail extraordinaire. Tout comme notre équipe, ils ont offert un service de qualité, insiste-t-il. « Ce n'est que le 16 janvier que les Français - arrivés les mains vides le premier jour parce que leur avion n'avait pas pu atterrir à l'aéroport - ils sont venus, nombreux et équipés, pour nous apporter une aide en hommes et en matériel suppléant ainsi à nos ressources qui manquaient cruellement suite, entre autres, au pillage de notre pharmacie et au vol de nos matelas. »
Il est, sans conteste, important de mettre l'emphase sur la motivation désintéressée des médecins haïtiens et sur la bonne volonté et la solidarité de l'international, qu'il s'agisse de professionnels de la santé, de bénévoles ou de missionnaires, apportant avec eux une quantité importante de médicaments.
Mais, si le médecin haïtien bénévole rempli son devoir sans hésiter, quel est maintenant l'avenir de la médecine haïtienne ? Les besoins en santé sont énormes au lendemain du 12 janvier et l'aide est certainement la bienvenue, voire indispensable. Mais après ? « Il est urgent et important d'aider les malades, mais il nous faut aussi penser à nos médecins d'ici, poursuit le Dr. Théard. Les médecins étrangers sont venus en grand nombre et avec tellement de matériels gratuits qu'un orthopédiste ou un chirurgien haïtien ne trouve plus de place pour travailler et n'a pratiquement plus rien à faire. Pourtant, ces médecins ont des responsabilités familiales, et même si l'on est reconnaissant de l'aide internationale, il faut reconnaitre que sur le long terme - puisque l'aide dont on parle sera là pour encore quelques mois, voire un ou deux ans - cette situation sera désavantageuse pour les professionnels haïtiens. Il ne faut pas que cette aide ait un effet négatif sur nos étudiants et nos jeunes médecins qui, ne voyant pas d'avenir pour eux dans la profession, quittent le pays au moment où le pays aura le plus besoin d'eux.
Cette situation nous a forcés à réfléchir et à envisager la profession différemment. Nous avons constaté, continue l'éminent cardiologue, qu'il est plus difficile de réussir chacun isolé de son côté, aussi, ensemble avec d'autres responsables d'hôpitaux, avons-nous entrepris de joindre nos efforts pour la réalisation d'un projet de mélange de médecine privée et de médecine sociale. On compte déjà dans nos rangs le CDTI, le Canapé-Vert bien entendu, l'Hôpital de la Communauté Haïtienne, et la Clinique Lambert Santé (cette dernière ayant fait un énorme travail après le séisme). Mais nous espérons rapidement rassembler tous les hôpitaux qui le souhaitent. Nous avons fait un bilan global de nos activités allant du 12 janvier au 12 février avec un bilan financier couvrant cette période dans un rapport que l'on va soumettre. Nous faisons des propositions de partenariat, de mise en réseau de services de santé, de lits disponibles à travers ces hôpitaux, de consultations externes offertes, de formation de la nouvelle génération de médecins au sein de ces hôpitaux bénéficiant de l'expérience de ces centres et des technologies disponibles au niveau du privé. Le but serait de prendre ces derniers en stage et leur faire profiter de notre savoir et notre savoir-faire.»
«Bien entendu, rien de tout cela n'est encore signé et on n'a pas encore la réponse des institutions internationales, même si certains hôpitaux ici ont reçu l'idée avec enthousiasme », conclut le vice-président de l'Hôpital du Canapé Vert.
Alors que l'aide médicale étrangère est abondante, et si d'un côté elle est nécessaire pour la population, de l'autre les médecins haïtiens s'inquiètent pour leur avenir. Le personnel de certains hôpitaux est déjà en disponibilité puisque ces hôpitaux, ne générant pas de profit, ne peuvent les payer. Qu'adviendra-t-il de ces derniers une fois la fièvre du séisme passée ? Que se passera t-il quand la médecine étrangère aura ''étouffé'' le secteur local de la santé ?
Il nous faut rendre la situation actuelle positive pour les personnels haïtiens de la santé, leur offrir une formation ainsi qu'une garantie d'emploi afin qu'ils restent en Haïti et nous aident à reconstruire le secteur de la santé. Nous devons même en profiter pour améliorer et moderniser. En fin de compte, il faut que les Haïtiens puissent se soigner chez eux en leur offrant une médecine moderne et de qualité. Cela va demander des capitaux importants et c'est pour cela que nous comptons sur la communauté internationale.
En attendant, le docteur Michel Théard et quelques confrères pensent aux différentes alternatives permettant d'assurer la survie du système médical haïtien pendant ce temps plus ou moins long de cohabitation d'avec les professionnels étrangers. Qui sait ? Au lieu d'une crise dans le secteur de la santé, il se pourrait que les deux camps en sortent grandis, l'un ayant appris de l'autre.
« C'est possible, pourvu qu'on gère la situation actuelle, qu'on reste groupés et qu'on ait une vision commune, car il n'y a pas d'avenir seul », comme le dit si bien Michel Théard.
Marie-Brunette Brutus
http://lenouvelliste.com/a/1/78473

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