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dimanche 14 mars 2010

SI M PA RELE: Un cas de « wont sèvi kòlè »

La tribune de l’écrivain Lyonel Trouillot samedi 13 mars 2010, Radio Kiskeya
Il y a quelque chose de pathétique dans les cris de colère lancés par quelques beaux messieurs et quelques bonnes dames clamant leur appartenance aux classes aisées, face aux constats ou propos de journalistes étrangers sur les divisions sociales haïtiennes, sur l’odieuse injustice sociale qui ne résume pas Haïti, mais qui en reste l’une des caractéristiques les plus évidentes pour qui veut regarder.
Il y a eu le séisme. La terre n’a pas fait le tri. Et, dans toutes les classes sociales il y a eu, face à la détresse des autres, des gestes de solidarité, de bravoure, même d’héroïsme. Dans de telles situations, ce sont moins les classes qui sont vertueuses que les individus. Les journalistes étrangers, dans leur majorité, n’ont pas assez signalé la valeur de tels actes, le côté profondément humain des réactions individuelles. Bien sûr, il n’y a pas eu que ça, il y eu les fuites précipitées vers l’ailleurs, quelques entrepreneurs qui ont préféré sécuriser coffres et marchandises, et quelques oreilles restées sourdes aux appels de voisins… Mais tout cela existe partout. Comme le courage et la lâcheté, la bonté humaine et l’individualisme.
Saluer ces actes de courage et ces élans spontanés est une chose. Refuser de voir ce qui était avant le séisme et qui demeure (le manque d’équité, de justice sociale ; l’indifférence de classe ; le parti pris de l’exclusion) est une autre chose. Et refuser aux journalistes, comme à tout individu ou groupe qui le voudrait, de voir ce que l’on ne veut pas voir, de dire ce que l’on ne veut pas entendre, ne fait pas de sens. On peut voir les deux choses en même temps, et les actes de courage de quelques bonnes âmes de quelque soit le milieu ne peuvent servir de masque au partage inégal qui fait les malheurs permanents de ce pays. Qu’il y ait eu des actes de courage, cela veut dire que la société n’est pas fondée sur l’injustice et que cela doit changer ! Qu’il y ait eu des actes de courage, cela veut dire que quand quelqu’un tient des propos qui allient beauté et teint clair, ce n’est pas du racisme ! Qu’il y ait eu des actes de courage, cela veut dire que quand quelqu’un se prévaut de n’être là que pour le commerce et ne s’intéresse qu’à son commerce, c’est de l’humanisme et du patriotisme ! Qu’il y ait des entrepreneurs et des entreprises qui se sont engagés dans l’aide sans penser à leurs intérêts économiques immédiats, voire à perte (hommage leur soit rendu) cela veut dire que ce n’est pas injuste qu’en temps normal le travailleur ne puisse subvenir à ses besoins primaires avec son salaire !
Allons donc. Dénonçons les journalistes pour ce qu’ils n’ont pas vu : des actes de solidarité, de bienveillance de tous et de partout, la débrouillardise dans les milieux populaires… Pour ce qu’ils ont exagéré par besoin de sensationnalisme : pillages, banditisme… Mais pas pour ce qui est visible à tous, tremblement de terre ou pas : l’existence du racisme, le partage trop inégal des richesses, le mépris de l’autre par certains groupes sociaux ou au moins par certains membres de certains groupes sociaux. Aux yeux du peuple haïtien dans sa grande majorité, aux yeux du monde entier (il suffit de passer quelques heures ici et d’observer le fonctionnement de certains groupes) les élites économiques haïtiennes ne sont pas jolies. En y mettant des nuances, on pourrait dire que tous les membres de ces élites n’ont pas forcément le même comportement, et ce serait sans doute vrai, mais c’est une loi humaine que l’évidence du pire. Folles, ces élites, ou fous les pires en elles s’ils croient que quelqu’un, en dehors de leurs cercles les trouve modernes, sympathiques… Quelle doit être la solitude de celui qui n’est beau qu’à ses propres yeux…
LYONEL TROUILLOT

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