Google

mercredi 17 mars 2010

"Les enfants haïtiens dessinent des cimetières"

Par LEXPRESS.fr, publié le 16/03/2010
Deux mois après le séisme qui a endeuillé ce petit pays, en quoi consiste le travail des humanitaires dépêchés sur le terrain? Chef de mission pour Pompiers sans frontières, Frédéric Vigreux vient de rentrer en France. Il a répondu à vos questions, mardi 16 mars.
Hamon: Est-ce qu'on garde des traces de ce genre d'expérience? On doit en sortir très marqué, psychologiquement en tout cas...
Frédéric VIGREUX: Dans ce genre d'expérience, dans le domaine de l'urgence, il est vrai qu'on en ressort marqué, non seulement par l'état des maisons, des constructions, comme les routes, ponts, mais aussi par la détresse de la population rescapée. Ce qui m'a le plus marqué, c'est le visage des enfants pour qui on a organisé une équipe mobile d'urgence dans une école. Entre 2 et 5 ans, ils n'avaient pas le sourire. Ca m'a rappellé Banda Ace. Les enfants dessinaient des maisons cassées, des cimetières cassés. Dans la ville de Leogane, le cimetière est très endommagé, les cercueils ressortent, parfois ouverts, laissant dépasser les corps. Pompiers sans frontières était basé à Leogane, au pont de Brache.
Aldaelle: Comment avez-vous eu envie de partir en Haïti? Qu'est-ce qui vous a motivé et donné du courage?
Frédéric VIGREUX: Ca fait 12 ans que je fais de l'humanitaire en urgence, 30 ans que je suis pompier, j'ai toujours eu envie de tendre une main à la solidarité internationale, aux plus démunis. Dès qu'il y a une catastrophe, j'essaie d'être aux premières loges de l'urgence. C'était ma première fois en Haïti. J'ai toujours eu une attirance personnelle pour les peuples africains, peut-être le fait de lire Mandela, et mes différentes visites en Afrique.
Ce qui m'a le plus marqué, c'est le visage des enfants. Entre 2 et 5 ans, ils n'avaient pas le sourire
Avec cette envie qui me pousse à aider, le courage vient en même temps. Je sais que le courage est en moi. Ca ne date pas d'aujourd'hui. Déjà quand j'étais pompier à Paris, dans le 19e arrondissement de Paris et entre Chateau Landon et Pigalle, je voyais pas mal de gens qui avaient vraiment besoin d'aide.
Corinne: En quoi consiste l'action de Pompiers sans Frontières en Haïti?
Frédéric VIGREUX: C'est de l'action d'urgence. La première équipe de 8 à 10 personnes arrive sur le terrain. Un évaluateur-chef de mission, des logisticiens, des équipiers SD (Sauvetage, déblaiement), et une équipe médicale composée d'un médecin et d'un infirmier. Cette première équipe fait une reconnaissance du sinistre, de manière à effectuer des sauvetages, tout cela en collaboration avec les acteurs de l'urgence, nationales ou internationales et avec les institutions locales.
Le coordinateur de l'ONU donne un secteur bien spécifique à l'évaluateur qui l'évalue ensuite et décide d'un endroit stratégique pour établir un camp de base. Il fait ensuite une demande de moyens à Pompiers sans frontières et une équipe d'environ 8 personnes arrive en renforts au niveau médical avec du matériel (poste médical avancé) et une unité de potabilisation d'eau. Le rôle de PoSF consiste à distribuer de l'eau potable aux populations, acheminer de l'aide médicale d'urgence sur le camp, et reconnaitre des endroits non explorés afin d'effectuer les premiers gestes de secours médicalisés.
humanitaire: Vous avez fait quoi sur place? Combien de temps vous avez été envoyé? Vous avez ressenti quoi quand on vous a dit: allez, mission pour Haiti?
DR Frédéric Vigreux administre l'antenne Rhône Alpes de l'ONG Pompiers sans Frontières.
Frédéric VIGREUX: Je suis resté environ trois semaines. On a 500 adhérents à PoSF et on est contents quand il faut aider. On a tous ce besoin et cette envie d'aider. Donc le fait que je puisse partir me permet de participer directement à l'urgence. Le plus dur pour nous, c'est qu'on est tous bénévoles au sein de l'assoc, et on prend sur nos congés personnels pour nous libérer. Ainsi, ma famille aussi fait de l'humanitaire puisque je prends sur mon temps de congés, que j'aurais pu passer avec eux.
Sos: Quel a été pour vous le moment le plus marquant, en Haïti?
Frédéric VIGREUX: On a mis au monde trois bébés sur le camp, deux garçons et une fille. C'est une image de la vie qui continue, à côté des nombreuses personnes qui mouraient. Nous étions associés avec Gynéco sans frontières, sur notre plateforme d'urgence. On a même créé un jardin des naissances. Pour chaque enfant qui naissait sur le camp, on plantait un manguier. C'est un arbre résistant, qui fait de l'ombre et des supers fruits. Le parrain de ce jardin est Emile Ferdner, un jeune haïtien bénévole qui est resté sur le camp pour nous aider.
Ce qui m'a marqué aussi c'est la détresse des gens qui n'ont plus rien, qui ont cette peur de rentrer dans leur maison détruite ou fragilisée. Ils dorment dehors. Même ceux dont la maison n'a rien du tout dorment par terre avec leurs enfants. Avec la période des pluies qui arrive, cela va fragiliser encore plus leur situation, d'autant plus que ça va drainer des maladies.
Badoumba: On parle de la saison de pluies qui ne va rien arranger pour les survivants. Est-ce qu'elle a commencé? Jusqu'à quand elle dure? Et pourquoi ça pose problème aux gens?
Pour chaque enfant qui naissait sur le camp, on plantait un manguier. C'est un arbre résistant, qui fait de l'ombre et des supers fruits
Frédéric VIGREUX: Oui, la saison des pluies a commencé prématurément. Prévue début avril, on a déjà essuyé les pluies dans les hauteurs, au Nord, mais on accélère les choses pour que les gens soient abrités correctement. On a préféré quitter notre emplacement à côté d'une rivière à cause de la montée des eaux. On a pris place sur une plateforme de plusieurs ONG, qui est gérée par Ayuda (Mexique). Les gens sont encore sous des bâches, tout le monde n'a pas de tente, beaucoup dorment encore par terre.
Dans le secteur "Petite rivière", on a pu s'occuper de quelques camps, en collaboration avec l'ambassade de France à Port-au-Prince et le Rotary Club. Aujourd'hui, la crainte c'est que les gens qui dorment par terre contractent des maladies. Unicef lance une campagne massive sur Leogane de vaccination avec le ministère de la Santé haïtien. Ce peuple est vulnérable.

Lebluff: De quoi ont besoin les rescapés du séisme? Après deux mois passés sous les tentes et dans la boue, ils doivent avoir peur qu'on les oublie...
Frédéric VIGREUX: Les gens ont besoin d'un toit autre qu'une bâche. Les gens ont besoin de trouver de quoi se nourrir. Il n'y a plus de matière première alimentaire. Ils ont aussi besoin de soutien médical et surtout de soutien psychologique important. Ils s'aperçoivent que les ONG commencent à quitter le pays, ils craignent qu'on les délaisse. Mais il y a un fort soutien des pays étrangers, comme le Canada. Son armée s'est occupée de la reconstruction temporaire de maisons en bois.
blabla: on entend plus parler d'Haïti, ça fait deux mois, c'est loin... vous trouvez qu'on en parle pas assez?
Frédéric VIGREUX: C'est normal c'est les régionales! Plus sérieusement, l'information n'est pas que médiatique. Mais il y a des articles notamment dans Courrier International qui parlent encore d'Haïti. A la télé, on en parle moins, même si il y a eu un Envoyé Spécial y a pas longtemps dessus.
Mais des reportages 2 à 3 mois après, ce serait intéressant pour montrer comment Haîti se développe après la catastrophe. C'est important que les gens qui ont donné de l'argent pour Haiti puissent avoir une preuve que leur don sert à quelque chose. La meilleure preuve, c’est la reconstruction des maisons, mais aux normes antisismiques.
Humanitaire : Vous aviez déjà été envoyé dans d’autres zones ? Si vous deviez comparer à d’autres zones, vous diriez quoi d’Haiti ?
« C'est important que les gens qui ont donné de l'argent pour Haïti puissent avoir une preuve que leur don sert à quelque chose »
Frédéric VIGREUX: Oui. Je suis allé sur le conflit au Kosovo, puis le tremblement de terre de Boumerdes en Algerie, ensuitele séisme de Turquie, à Ismit,enfin, à Banda Ace sur le tsunami. Haïti, c'est une zone très pauvre, où tout s'est couché. Aussi bien la population, les maisons, les infrastructures, mais aussi les institutions haïtiennes qui ont mis un genou à terre. Tous les acteurs de l'urgence se sont sentis seuls pour organiser cette urgence dans ce pays.
Banda Ace, c'est un petit endroit dans un très grand pays, ca n'a pas le même impact par rapport à la surface géographique. En revanche, Haiti, c'est un tout petit pays, dont un gros pourcentage a été impacté par le séisme, ca a déstabilisé les pouvoirs publics. C'est comme si en France, on avait un séisme qui couvrait les deux tiers de notre territoire.
Catherine06 : est-ce que vous n'avez pas l'impression de faire le boulot que l'Etat d'Haiti devrait faire lui même?
C'est comme si en France, on avait un séisme qui couvrait les deux tiers de notre territoire
Frédéric VIGREUX: Non. Car les pays pauvres n'ont pas les mêmes infrastructures que les nôtres. Donc on ne se substitue pas à la valeur d'une institution, mais on est bien conscients du savoir faire qu'on a et du soutien matériel qu'on peut avoir grâce à nos structures françaises. Il faut être conscient que le monde est fait comme cela. Les pays pauvres sont plus ou moins exposés au risque climatique et ne disposent des moyens pour se reconstruire rapidement. Les pays riches plus ou moins exposés eux aussi mais ils ont les moyens d'aider les plus démunis chez eux.
AJacmel: On parle beaucoup de Port-au-Prince, mais il n'y a pas que ça!!! Vous avez pu aller dans d'autres endroits comme Jacmel par exemple? Comment ça se passe là-bas? Ils ont encore moins que ceux de la capitale?
Frédéric VIGREUX: Nous sommes allés à Port-au-Prince, et après on s'est décalé sur Leogane, près de l'épicentre, et on s'est principalement orienté sur cette région. Pour Jacmel, D'autres ONG ont pris en compte Jacmel, en collaboration avec l'ONU. Je n'étais pas à Jacmel, et je n'ai pas eu d'écho de cette région précise sur le bilan.
Blablabla: Vous pensez repartir bientôt en mission? ou c'est fini? ou vous ne voulez pas y retourner?
Frédéric VIGREUX: Dès que je pourrais repartir, je repartirai. Malheureusement, j'ai épuisé tous mes congés 2009 et mon employeur (je suis pompier dans le privé) ne me laissera pas revenir sur le terrain de sitôt. Après l'urgence, Pompiers sans frontières travaille sur des projets de développement durable. Je devrais partir, soit à Madagascar, au Sénégal ou au Pérou pour organiser des formations de transfert de compétences aux futurs pompiers de ces pays.

Aucun commentaire: