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samedi 2 février 2008

Bâtir l'avenir de l'éducation en Haïti

Le premier forum sur l'éducation organisé par le Parlement du 29 au 31 janvier 2008 à l'Hôtel Montana a eu un relief particulier. De l'état des lieux de l'éduction à la législation haïtienne de l'université en passant par le besoin de mettre en place un système universitaire national articulé autour d'un ensemble d'universités publiques (en région), les thématiques ont interpellé la conscience sur l'avenir de l'éducation en Haïti. Les débats ont donc porté sur les défis et enjeux éducatifs nationaux.Le Premier ministre Jacques-Edouard Alexis, le ministre de l'Education Gabriel Bien-Aimé et l'expert international en éducation, Guy-Serge Pompilus, faisant l'état des lieux de l'éducation en Haïti, loin de partir en vents dispersés, ont convenu de mettre l'emphase sur la complexité et la dualité du système d'éducation.

Lors du forum sur l'éducation organisé conjointement par la Commission d'éducation de la chambre des Députés et la Commission d'éducation du Sénat de la République, ils ont touché la plaie du doigt, à savoir que le système éducatif forme plusieurs types d'Haïtiens. Ecole congréganiste, école presbytérale, école de mission, école laïque, école nationale, école rurale, école communautaire, telle est la typologie scolaire : d'où le défi d'harmoniser et d'organiser le système. Selon la logique de la corresponsabilité et dans la perspective d'une école haïtienne nouvelle. D'autres tabous ont été également brisés lors de ces assises qui ont donné lieu à des propositions conciliantes en ce qui a trait aux efforts supplémentaires à consentir pour améliorer les services d'éducation (accès et qualité) et structurer les pôles existants du système, en l'occurrence le pôle étatique (avec un secteur public qui se cherche), le pôle privé (avec un secteur non public diversifié et en constante évolution) et le pôle associatif. Le constat est navrant : notre système d'éducation consacre un enseignement fondamental à côté d'un enseignement primaire, mais aussi un enseignement secondaire de sept (7) ans à côté d'un autre programme en cours d'expérimentation présentant ainsi un double goulot d'étranglement (deux bacs et un sac de filtrage social et de construction d'effet de stock)», note avec amertume l'expert Guy-Serge Pompilus qui voit dans le PSU (Programme de Scolarisation Universelle), le PIENASECO (Programme d'implantation d'écoles nationales), le PAE (Programme Accéléré d'Education), PARQE (Projet d'Appui au Renforcement et à la Qualité de l'Education), PEB (Projet d'Education de Base), SNA/EPT (Stratégie Nationale d'Education Pour Tous), etc. des efforts concertés pour l'amélioration de l'éducation. Amélioration qui met les responsables face au défi d'accueillir à l'école tous les enfants en âge scolaire, de mettre l'éducation au service du développement. Ce, en coulant dans une loi de programmation pluriannuelle l'ensemble des projets et programmes éducatifs dont l'exécution passe nécessairement par une augmentation substantielle de l'éducation. Point de vue tout à fait partagé par le sénateur Edmonde Supplice-Beauzil qui présidait la séance à la première partie du forum.

Les économistes Kesner Pharel et Charles Clermont, intervenant autour du thème «Education et Compétitivité dans la Caraïbe», lors de la deuxième partie du forum, ont montré les choix à faire dans le cadre d'une éducation visant le développement socioéconomique du pays. Education pour l'amélioration des standards de vie des citoyens, pour le renforcement de la classe moyenne : tel a été leur plaidoyer qui s'inscrit, toutes proportions gardées, dans la logique réflexive de l'économiste Péguy Boisson sur le thème : «Haïti, éducation et marché de l'emploi». La première journée du forum s'est terminée avec la brillante intervention de Françoise Auguste Marzourka, entrepreneur sur le titre «Une éducation pour le succès. Des débats sereins et passionnants s'en sont suivis.
Quelle école pour Haïti ?

C'est le thème générique autour duquel intervient de façon remarquable l'écrivain Yannick Lahens qui plaide pour une éducation innovée. En toute urgence. Pierre-Michel Laguerre, directeur général du ministère de l'Education nationale, prend fait et cause pour une école haïtienne dotée d'une politique linguistique cohérente. «Il faut repenser l'aménagement linguistique dans le curriculum», suggère-t-il comme pour dresser, à la manière de l'agronome Joseph Félix, le profil du citoyen haïtien à l'horizon 2015. La troisième partie du forum présidée par le député Gasner Douze a pris fin avec l'intervention de l'incontournable Josué Mérilien, coordonnateur général de l'Union nationale des normaliens haïtiens (UNOH). «La condition enseignante: un déterminant de la qualité de l'éducation», a-t-il indiqué.Ecole haïtienne et cadre législatif


Les règles juridiques relatives à l'administration de l'éducation ont fait l'objet d'une réflexion profonde du Dr Monferrier Dorval, juriste. «Il existe un ensemble de principes constitutionnels régissant l'éducation», fait-il remarquer, en insistant sur le principe de gratuité de l'enseignement, le principe de la liberté de l'enseignement (liberté contrôlée par l'Etat), le principe de l'égalité des chances et le principe de l'obligation de l'enseignement primaire. Rénold Telfort, directeur de l'enseignement fondamental (DEF), a fait état du vide légal du système dans lequel l'Etat les ordres d'enseignement: préscolaire ou maternel, fondamental, secondaire et supérieur. Revenant à la charge, Guy-Serge Pompilus a montré la nécessité de règles et de normes devant régir l'école haïtienne qui définit tout de même des modèles de gestion en matière d'éducation: gestion directe exercée par le ministère, gestion contrôlée par le ministre, gestion concertée à travers l'office de partenariat. La présidence de la 4e partie du forum a été assurée par le député Jean-Beauvoir Dorsonne.
Enseignement supérieur et Université en Haïti«Toutes les couches sociales s'accordent pour reconnaître que l'Université d'Etat d'Haïti (UEH) n'est pas parvenue à jouer son rôle de moteur de développement du pays», s'est empressé de souligner le recteur de l'UEH, Jean Vernet Henry qui se veut conscient de la mission des structures publiques de l'enseignement supérieur. Selon le recteur, l'UEH n'est pas arrivée à se positionner ni comme un haut lieu du savoir, d'élaboration et de diffusion de connaissances, ni comme un lieu de création scientifique, technologique et culturelle. C'est peut-être tout dire. Mais que faire pour lui permettre de jouer son rôle de leadership que lui confère la constitution (cf.art.208).Jacky Lumarque, recteur de l'Université Quisqueya, avoue d'entrée de jeu qu'il participe à ce forum avec tristesse. D'abord, intellectuellement, il est un peu désappointé que le caractère hâtif de l'événement ne laisse pas assez de temps aux intervenants pour produire une réflexion plus systématique et mieux documentée: seule condition pour nourrir des échanges fructueux au-delà des généralités habituelles sur le système éducatif. «Mais là n'est pas la raison de ma tristesse. Compte tenu des lacunes de l'UEH et de la grande demande de formation universitaire, le secteur privé est en train de se développer à un rythme accéléré en dehors du cadre juridique», indique M. Lumarque qui déplore le fait qu'il n'existe aucune loi règlementant l'enseignement supérieur, à part la Constitution qui reconnaît l'autonomie de l'université, sans une définition précise. Et qui fait l'obligation à l'Etat d'avoir l'avis technique de l'UEH pour délivrer une licence de fonctionnement à une institution privée d'enseignement supérieur.
Gérard Dorcély, recteur de l'UP a fait le diagnostic de la situation des universités privées en Haïti. «On est en train de secondariser l'enseignement supérieur», fulmine M. Dorcély qui ne peut que constater que l'Etat n'a pas le sens de l'enseignement supérieur. Et qu'il lui appartient de jouer pleinement sonrôle de régulateur du système.Pour le secteur de l'Université publique de l'Artibonite aux Gonaïves, Michel Saint-Louis, les universités publiques en région sont pleines d'avenir. Leur raison d'être et leur originalité peuvent en témoigner. «Ce sont des espaces de service public à la communauté, des sanctuaires du savoir et du développement humain», argue-t-il en précisant à son compte qu'il revient de savoir ce qui justifie la création de ces universités et ce qui fait ou fera leur originalité ou leurs missions. Des débats animés et par moments vigoureux s'en sont suivis.
Université et législation haïtienneNesmy Manigat, représentant régional Caraïbes et Amérique Latine Aide et Action a fait une étude approfondie sur la coopération Haïti/République Dominicaine dans l'enseignement supérieur. «L'éducation n'est pas une fin en soi mais une stratégie pour la création de la richesse», professe-t-il en plaidant pour une éducation ayant une valeur ajoutée, comme dans la république voisine.Christian Rousseau, sur la trace de Rénold Telfort, a abordé la thématique du vide légal qui caractérise les universités haïtiennes, tandis que Patrick Attie a cru bon de placer nos universités dans des perspectives mondiales. Le contenu de la loi-cadre de l'université a été cerné par le sénateur Youri Latortue qui rappelle le double rôle de l'UEH: formation et régularisation de l'enseignement supérieur. Et dire que ce premier forum du Parlement sur l'éducation a été un pari gagné, à ceci près qu'il a permis d'agiter des questions d'une extrême pertinence. Il n'est donc que d'attendre ce que seront les retombées immédiates de ce forum qui se veut déterminant pour la construction de l'avenir de l'éducation en Haïti.
Robenson Bernard

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=53894&PubDate=2008-02-02

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