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jeudi 31 janvier 2008

Haïti serait-elle en panne d'experts ?

Avec des saisons sèches devenues plus longues et plus rudes, des lacs débordant de leur lit..., les effets du changement climatique global commenceraient à être perceptibles en Haïti. Mais personne ne s'entend sur les causes et les solutions. En panne d'experts, le pays ayant le plus faible taux de couverture forestière de la Caraïbe sollicite l'aide de Cuba - son grand voisin - pour étudier le phénomène.

Pierre après pierre, des chauffeurs et des techniciens engagés par le ministère des Travaux publics aménagent de petites digues pour contenir le lac Azueï qui déborde de son lit, depuis déjà un mois. « Un palliatif pour faciliter le transport entre Haïti et la République dominicaine, en attendant l'expertise nécessaire », dit un jeune ingénieur qui supervise les travaux. Accrochés au flanc de la montagne d'en face, la vingtaine de techniciens à l'oeuvre réhabilitent pour l'instant les tronçons les plus endommagés des trois kilomètres de la route inondée par les eaux du lac, calme par nature. Un bon coup qui fait sourire certains usagers de route internationale. Mais pas assez pour faire cesser les polémiques déclenchées sur les causes du débordement du lac, qui s'étend sur 11 300 hectares.
« Le débordement du lac Azueï est une conséquence due au changement climatique, prétend le ministre de l'Environnement, Jean-Marie Claude Germain. Les petits Etats insulaires de la Caraïbe commencent à sentir les effets des changements climatiques par une augmentation du niveau de la mer, ce qui favorise l'entrée de l'eau de mer à l'intérieur des terres. » La logique du premier responsable de l'Environnement du pays ayant le plus faible taux de couverture forestière de la Caraïbe - moins de 2% - ne fait pas l'unanimité, tant du côté des environnementalistes que des riverains qui font du lac leur principale source de revenu.

« Le niveau du lac augmente toujours en saison pluvieuse. Mais c'est la première fois qu'il déborde autant de son lit, affirme Ralph Lapointe, maire de Ganthier, une localité riveraine. Les flots ruisselants de la montagne d'en face dévalent dans la profondeur du lac. » Yonbite Anélis, un jeune pêcheur de 23 ans, est d'accord. « L'augmentation du niveau du lac Azueï a été constatée et signalée lors du passage de la tempête tropicale Noël, en octobre dernier. La situation a empiré au cours de la dernière semaine de novembre au point que la route devient aujourd'hui presque impraticable par endroits. »

L'équation à plusieurs inconnus

Il n'est pas raisonnable de tirer des conclusions hâtives avant d'avoir réalisé les études nécessaires, modère l'agronome Jean André Victor, faisant allusion aux arguments avancés par le ministre Germain, lequel faisait un lien entre le débordement du lac Azueï et les changements climatiques. « Si la montée des eaux du lac participe d'un phénomène global, pourquoi, alors, le lac Enriquillo qui est de même nature écologique que le lac Azueï n'a t-il pas le même comportement que ce dernier ? Pourquoi, d'un autre point de vue, l'étang Bois Neuf - Ndlr : situé à Montrouis - qui est une zone humide s'est-il asséché au lieu de devenir plus humide? », réplique l'agronome Victor, qui fut ministre de la Planification sous le gouvernement éphémère de Marc Bazin. A côté des phénomènes macro-écologiques, il existe d'autres réalités locales qui peuvent expliquer certains faits observés. »

Les causes et les solutions de la montée du lac Azueï ne sont pas la seule pomme de discorde entre les autorités et les environnementalistes haïtiens. L'appel à l'expertise de techniciens cubains ne fait pas aussi l'unanimité. « Si on fait d'emblée appel à l'expertise cubaine, est-ce une façon de faire comprendre que l'expertise haïtienne, dans ce domaine, n'existe pas », s'interroge l'agr. Victor ?

Si personne ne s'entend sur les causes et les solutions, les conséquences du débordement sautent aux yeux des camionneurs, usagers et pêcheurs qui gagnent leur vie à partir des richesses du lac Azueï. « Quand les eaux de pluie dévalent en abondance dans le lac, la pêche n'est pas bonne. Nous n'attrapons que très peu de poisson, parce que nous pratiquons la pêche de manière archaïque », se plaint un pêcheur. Enthousiaste à la vue des techniciens qui s'affairent à combler de remblais les abords du lac, il exhorte les autorités à draguer le plan d'eau. « Il faudrait aussi élever le niveau de la route à défaut d'une nouvelle topographie », ajoute l'ingénieur Roberto Joseph, responsable d'une petite firme de construction dans la zone.

Nébuleuse, l'affaire sera au centre d'une rencontre engageant Haïti, la République dominicaine et Cuba, trois des pays de la Caraïbe qui ont récemment défini un couloir biologique. « C'est dire que la question du changement climatique nécessite une réponse commune pressante, dans la mesure où il s'agit du défi humain le plus important de notre génération », ont mis en avant les autorités haïtiennes lors d'une récente conférence de l'Association des Etats de la Caraïbe (AEC) tenue en Haïti.

En attendant l'arrivée des experts cubains, l'étang de Miragoâne se fait aussi menaçant. « Depuis près d'une année, cet étang ne fait que grossir et s'élargir, se lamente Faustin Pauly, député de Miragoâne. Ce qui entraîne de sérieux problèmes tant pour les habitants que pour les agriculteurs se trouvant aux alentours. » Affolés, les agriculteurs fuient comme la peste le débordement de l'étang.

Chose certaine, les riverains du lac Azueï et de l'étang de Miragoâne ne risquent pas de vivre la même chose que ceux de l'étang Bois-Neuf de Montrouis qui, lui aussi, connaît de graves problèmes, mais de sécheresse cette fois. Changement climatique ou pas, les experts cubains ont du pain sur la planche en Haïti.

Claude Gilles
(Panos Caraïbes)
gonaibo73@yahoo.fr

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=53728&PubDate=2008-01-31

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