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mercredi 16 janvier 2008

« Artistes, pilier de la société »

La cérémonie de graduation de la promotion « Marel » (2002-2006) de l'Ecole nationale des Arts (ENARTS) s'est déroulée, hier dimanche, dans les jardins de la Télévision nationale d'Haïti. Trente étudiants en arts plastiques, danse et musique ayant résisté à la rigueur académique et les soubresauts perturbant constamment le fonctionnement de cette institution ont vu leur rêve se concrétiser. Etre artiste dans un pays où le quotidien humain se résume à une lutte constante pour la survie peut paraître un acte de folie pour certains.
Une graduée de la promotiom "Marel" de l'ENARTS recevant son parchemin. A l'extrême droite se trouvent le parrain de le promotion, Pradel Henriquez (en costume) et le directeur général de l'ENARTS, le jazzman Turgot Théodat (Photo: Chery Dieu-Nalio)
Mais Turgot Théodat, le directeur général de l'ENARTS veut surtout croire qu'il s'agit d'un acte d'héroïsme. Avec raison, dirait-on, quand on connaît les conditions désastreuses dans lesquelles travaillent ces étudiants. En dehors de toutes normes académiques. Il ne s'est passé une année sans de véhémentes protestations pour de meilleures conditions de travail, sans des luttes internes entre étudiants et responsables académiques. »
Le directeur général considère ces étudiants comme des combattants de l'art. « La vie artistique en Haïti est un combat pour se faire accepter » Le jazzman-directeur semble être prêt à se battre pour que ces artistes gradués puissent être utiles véritablement ; qu'ils puissent vivre de leur art.
Le combat doit passer par l'intégration de l'ENARTS dans l'organisation du carnaval. « ENARTS va se proposer en vue d'apporter des innovations dans le défilé des trois jours gras. C'est la seule école d'art du pays. Aucune organisation sérieuse ne peut se passer de sa vision artistique. Le combat passe également par l'intégration des cadres de l'institution dans l'administration publique, par l'intégration des disciplines artistiques dans le curricula de l'enseignement scolaire. « L'art est une arme contre l'exclusion sociale, l'obscurantisme et la pauvreté.
Même préoccupation du côté du parrain de la promotion « Marel ». Pradel Henriquez digère mal qu'en Haïti les artistes crèvent de faim alors que dans d'autres sociétés l'art génère des millions. « Nos artistes vivent comme à l'époque du XVIIe siècle ». Ancien étudiant en arts plastiques à l'ENARTS au début des années 80, Pradel Henriquez a fait un survol historique de cette institution s'attardant sur les années de déboires. Le calvaire de l'Ecole nationale des Arts a commencé, dit-il, avec les évènements politiques de 1986. « A chaque coup d'Etat, l'ENARTS a toujours été l'objet d'actes de vandalisme et de découchage », a informé M. Pradel Henriquez, directeur de la radio-Télévision nationale d'Haïti, citant les évènements de 86, 88 et 94.
Seymarc Lespérance, chanteur de talent, a charmé le public dans "Time to say good bye" de Bocheli (Photo: Chery Dieu-Nalio)
Aujourd'hui, l'ENARTS est abandonnée à elle-même, elle fonctionne en absence d'une véritable politique culturelle. « L'art n'a jamais été la priorité de nos gouvernements. Pour preuve, c'est le budget des institutions culturelles qui disparaît le premier quand surgit un problème financier », regrette Pradel Henriquez révélant que de nombreux étudiants européens veulent venir à l'ENARTS afin de faire des échanges avec leurs homologues haïtiens, mais faute de structures l'école ne peut pas les recevoir. Au comportement irresponsable de l'Etat haïtien, Pradel Henriquez propose la solidarité pour sortir l'art du misérabilisme dans lequel il se trouve. On ne peut concevoir une véritable société sans une grande vision artistique. « Les artistes sont les piliers de la société, a affirmé Réginald Jean-Louis, président de la promotion. Mais en Haïti, être artiste, c'est porter la croix du Christ ; c'est être traité de marginal et de fou »
La cérémonie, conduite avec tact par le professeur Georges Belec, a eu l'aspect d'une grande dévotion artistique. Avec des discours entrecoupés de notes de musique, de danse et de théâtre. Un plat culturel préparé exclusivement par des étudiants. Willène Guérismé, Myriam Joseph et Seymarc Lespérance, des chanteurs de talent qui se sont déjà fait entendre sur le marché musical haïtien ont montré toute l'importance d'une institution ayant formé pendant 25 ans plusieurs générations d'artistes. La danse avec la « compagnie balai de l'art » et le théâtre avec la « Troupe Codac » ont eu une présence honorable. On regrette seulement qu'il n'y ait eu aucune illustration en arts plastiques. Les jardins de la TNH auraient pu être transformés en un vaste atelier en plein air. On aurait pu peindre une grande fresque collective qui porterait la marque de la promotion. La cérémonie se serait terminée dans des nuages de couleurs qui garderont pendant longtemps la signature de ces artistes appelés à devenir les ambassadeurs d'Haïti.

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