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mercredi 19 décembre 2007

Lueur d'humanité pour les restavèk

Pareille à ces dizaines -voire même des centaines- de milliers d'enfants au destin tragique, *Cristela, née et élevée dans une province du Sud, a connu l'enfer de la domesticité au lendemain de la disparition de ses père et mère. Jadis humiliée, désespérée, l'adolescente, fréquentant aujourd'hui le Foyer Maurice Sixto, retrouve progressivement le sourire.
Quatorze ans accomplie, passablement vêtue de son uniforme, *Cristela, restavèk éprouvée, n'a pour estime que sa scolarité. Cette maigrelette en 3e année fondamentale au Foyer Maurice Sixto, malgré elle, n'a pas caché son bonheur de connaître la civilité d'une salle de classe comme tant d'autres adolescents de son milieu à Carrefour. « J'aime être à l'école, c'est l'endroit idéal où un enfant puisse se retrouver », soupire t-elle, les yeux pleins de vie et de rêves. A son âge, d'autres gosses jouissant d'une enfance relativement normale s'installent déjà en secondaire. Cristela, elle, est moins préoccupée par le niveau d'études que par la joie de lire et écrire à un moment où des dizaines -voire même des centaines- de milliers de ses pairs vivent en état d'asservissement ou sont carrément réduits en ''esclavage''.
Pareille à ces enfants au destin tragique, Cristela, née et élevée dans une province du Sud, a connu l'enfer de la domesticité au lendemain de la disparition de ses père et mère. « Ma tante -formule de politesse généralement utilisée pour nommer la responsable de la famille d'accueil- m'a invité à suivre ses pas à Port-au-Prince, me promettant une vie décente capable de m'épargner de la solitude orpheline, se rappelle Cristela toute pensive. Je l'ai suivie avec entrain ». Là commence le calvaire de l'adolescente. Il lui revient en propre, au lendemain de son arrivée, de s'occuper assidûment des tâches ménagères : faire la vaisselle, laver les linges, aller à la recherche de l'eau, etc. « Le droit aux loisirs m'est pratiquement refusé ; Et le comble de mon malheur, ce sont les longues fessées qui récompensent la moindre maladresse et le moindre oubli », dit-elle, avec une note d'amertume dans la voix.
La raison de vivre de Cristela aujourd'hui, c'est son droit de pouvoir aller à l'école. Elle s'en est accrochée aussi solidement qu'elle semble être prête à se battre pour le garder intact. Fort heureusement, personne n'a jamais osé le lui enlever. « Beaucoup d'enfants se sont vus empêchés par leur famille d'accueil de fréquenter le Foyer Maurice Sixto en dépit du fait qu'elles n'ont aucun frais à payer pour leur formation académique, dénonce Wénès Jeanty, directeur exécutif de cette institution. Ces familles avancent, comme prétexte, que leur domestique dispose de peu de temps pour s'occuper de leurs tâches quotidiennes ».

Foyer Maurice Sixto, lieu de civilité, d'humanité
C'est en l'année 1989 en réponse à « Sentaniz », lodyans populaire de Maurice Sixto -posant dans son inhumanité, et sa barbarie la problématique de la domesticité en Haïti, agitée avant lui par Justin Lhérisson dans « Zoune Chez Sa Ninainne »- que le Foyer a été fondé par le prêtre Miguel Jean-Baptiste. Le foyer fournit une assistance éducative, psychologique et affective aux enfants en domesticité dans la commune de Carrefour. « L'espace, dans sa philosophie, est un plaidoyer sur la nécessité urgente d'une prise de conscience collective du phénomène en vue de modifier le comportement des familles d'accueil qui infligent de lourdes peines à ces pauvres enfants », explique Wénès Jeanty. Le directeur exécutif soutient que c'est une honte pour le pays qu'à l'échelle internationale on continue à dénoncer, 203 ans après le miracle de l'indépendance et 13 ans après avoir ratifié la Convention relative aux droits de l'Enfant, l'esclavage moderne en Haïti.
Financé par ''Terre des Hommes Suisse'' et supporté par UNICEF dans ses projets ponctuels, le Foyer Maurice Sixto est un lieu de civilité, d'humanité et d'apprentissage où plus de 350 restavèk se côtoient, se frottent et se socialisent. Majoritairement des filles, les moins de 15 ans suivent un cycle normal de scolarisation jusqu'à la 4e année fondamentale avant d'intégrer d'autres centres d'enseignement de la zone. Ce que Wénès Jeanty appelle une forme subtile de réinsertion sociale. Au-delà de 15 ans, ils suivent des cours d'alphabétisation et sont orientés vers des professions manuelles. Au Foyer, tous ont droit à un repas chaque jour et des séances d'animation qui leur permettront, même l'espace d'un cillement, de retrouver la joie de vivre loin de la geôle et de l'enfer que représente souvent le toit d'accueil.
Bien qu'il demeure encore criant -le dernier recensement de l'UNICEF fait état de 200 000 enfants domestiques- le problème de la domesticité en Haïti, a fait remarquer M. Jeanty, interpelle de plus en plus de consciences. Beaucoup de comportements ont changé suite à des campagnes de sensibilisation. Des institutions nationales, relativement nombreuses, et internationales sont de plus en plus conscientes du phénomène : d'où le prix des Droits de l'Homme de la République française 2007 décerné au Foyer Maurice Sixto. Le problème est posé avec acuité dans les médias par des organismes des droits humains. Mais le phénomène ne disparaîtra pas, reconnaît le numéro 2 de la Fondation Maurice Sixto, s'il n'y a aucune volonté politique de transformer la société haïtienne, si nos valeureux paysans ne sont pas encadrés, si l'Etat ne crée pas des écoles dans les zones les plus reculées du pays pour contenir l'exode rural, si rien n'est fait pour casser cette dichotomie « moun an deyò/ moun lavil », ... s'il n'y a pas une politique de création d'emplois pour réduire le chômage et la misère en Haïti.
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* Cristela est un nom d'emprunt qui protège l'identité véritable de cette adolescente en 3e année fondamentale au Foyer Maurice Sixto.
Nélio Joseph

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