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lundi 25 juin 2007

SAUT D’EAU / RÉALITÉS NATIONALES / À l’école comme au temps du moyen-âge


Par Phoenix Delacroix phedelacroix@yahoo.fr

Des écoliers bien vêtus, criant, riant, se pressant les uns contre les autres, et gambadant joyeusement dans la cour gazonnée d’une école bien entretenue. Des enfants sveltes, heureux d’exister, l’esprit au vent, ouvert aux étrangers. Des gamins et des gamines espiègles, aux yeux intelligents, posant sans retenue toutes les questions qui leur viennent à l’esprit. C’est le genre de spectacle auquel je m’attendais en arrivant dans les parages de l’École nationale de Turpin pour une visite guidée.Rien de tel ne s’offrît cependant à ma vue. J’ai cru à un mirage en arrivant sur les lieux. Turpin, section communale de Saut d’Eau, éloignée et déshéritée, est lointaine de Port-au-Prince. Mais l’éloignement n’explique pas l’énorme fossé qui se trouve entre la capitale et cette zone « en dehors ». Ici, on vit en plein moyen-âge. Des responsables m’auraient fourni moult détails sur le délabrement extrême de l’ « établissement scolaire ». Ils se seraient évertués à décrire l’exiguïté des salles, l’état lamentable du parquet, la timidité maladive des élèves; la scène que je découvris dépasse l’entendement.

Une école, ici ?
C’est la première question qui me vient à l’esprit. Incroyable, mais vrai, deux bicoques aux murs décrépis, entourées de trois tonnelles faites de feuilles tressées de cocotiers, abritent le « centre scolaire ». Un drapeau national flambant neuf, décoration de circonstance, accroché à un mât en bambou, flotte ironiquement dans le décor. C’est le seul indice cependant qui témoigne de l’importance des lieux. Dans la campagne, les prêtres vaudou utilisent aussi le bricolage national pour signaler leur « hounfort ».

Plus de cent élèves, âgés de 6 à 18 ans, la crème de la gente enfantine locale, fréquentent ce lieu qu’on a peine à appeler établissement scolaire. Il a plu la veille du jour de notre visite. Le parquet des salles logées sous les tonnelles est transformé en marmelade. Les élèves sont entassés pêle-mêle sur des blocs de sable, leurs cahiers posés sur leurs genoux. Notre arrivée n’émeut personne, ni même nos salutations. Par discipline ou par peur, les élèves feignent d’ignorer notre présence, concentrant leur regard sur leur professeur qui écrit des notes sur une feuille de plywood réduite en peau de chagrin. Leurs visages émaciés restent impassibles, mais transpirent la fatigue. Leurs chaussures sont couvertes de boue. La plupart ont dû parcouru deux kilomètres pour venir chercher un enseignement médiocre. Ils sont là, harassés et affamés, assis contre leur gré dans la vase, comme des innocents voués au martyre.

Misère et honte
Le professeur qui vient à notre rencontre, en lieu et place du directeur absent, déploie tout son zèle pour nous accueillir. « Vous êtes les bienvenus. Nous sommes heureux de vous accueillir chez nous. Faites comme chez vous », nous lance-t-il. L’homme est frêle, mais ne manque pas de vigueur. Ses poignées de main en témoignent. Visiblement ému, il éprouve beaucoup de peine à camoufler ses gencives édentées. Son sourire : un vrai rictus. Pour des raisons inconnues et inexpliquées, et peut-être par honte ou timidité, le directeur s’est éclipsé deux heures avant la visite. On comprend assez vite. Il n’y a pas d’honneur à gérer ce centre merdeux. Surtout quand on n’a pas la compétence nécessaire. Le directeur ne détient pour tout diplôme qu’un brevet de classes élémentaires, apprend-on.

Dure et triste réalité
À l’origine, cette école, construite sous le gouvernement de Jean-Claude Duvalier, accueillait des « restavèk ». Aujourd’hui, tous les enfants de la zone la fréquentent. Le bourg de Saut-d’Eau, qui abrite des écoles plus ou moins dignes du nom, se trouve à plus de sept kilomètres. Parcours trop fatigant pour les jambes tremblantes d’un enfant de six ans. Un enfant né dans la zone risque ainsi davantage de souffrir de la malnutrition que d’aller à l’école primaire et autant de mourir à l’âge de cinq ans que de faire des études secondaires. « Il n’existe au niveau de la localité que deux centres de ce genre pour une population estimée à huit mille âmes », nous informe notre hôte. « Cette dure vérité nous rappelle que pauvreté et éducation se conjuguent pour déterminer les chances d’un enfant dans la vie », commente l’un de nos guides, un brillant sociologue.
Beaucoup de promotions, depuis 1986, se sont succédé à – puisqu’il faut l’appeler ainsi – l’établissement. Les temps ont changé et, avec, les mentalités. Les enfants se résignent à accomplir ce que répugnaient à faire leurs parents. Dans certaines situations, les choix sont minces. Même quand l’enseignement est gratuit, les uniformes, les manuels et autres fournitures scolaires coûtent trop cher. Et, pour les parents de Turpin , assurer une éducation minimale à leurs enfants devient un sacrifice énorme, quand aller à l’école constitue un vrai calvaire pour les gamins et les gamines. Espoir quand même, le bout du tunnel, les parents et les écoliers de Turpin le chercheront encore longtemps. Néanmoins, ils aperçoivent une éclaircie dans les ténèbres, symbolisée par le geste symbolique d’une ONG qui a accepté de financer la construction de deux salles de classe. « C’est peu par rapport aux besoins. Mais c’est mieux que rien. Avec cela, il y a lieu d’espérer. Personne ne s’y attendait Nous espérons que l’État fasse le reste. Tant qu’il y a la vie, tant il y a l’espoir », philosophe le prof édenté.

Commentaires :

De quoi inspirer les associations qui travaillent dans le domaine de l’éducation en Haïti. Partout, des chantiers ou tout reste à faire. L’inimaginable prend des allures cauchemardesques. Il faudrait que ces situations cessent de se pérenniser …Pourtant Saut d'eau reste l'une des zones les plus visitées d'Haiti, le pélérinage vers la ierge miracle oblige...

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