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vendredi 25 mai 2007

Réprobation générale en Haïti après l’assassinat de François Latour

Les artistes, les intellectuels et la communauté des médias fortement secoués ; le gouvernement déplore la disparition du célèbre comédien et publicitaire exécuté peu après son enlèvement
jeudi 24 mai 2007,
Radio Kiskeya
L’odieux assassinat mardi soir à Port-au-Prince du célèbre artiste et publicitaire haïtien, François Latour, 63 ans, suscite indignation, colère et désolation dans les milieux artistiques, intellectuels et médiatiques en Haïti.
De Caracas où il participe au IVe Festival mondial de la poésie, l’écrivain et peintre Frankétienne, ami de longue date de la victime, s’est déclaré "profondément choqué, bouleversé et renversé par ce coup de poignard ". La terrible nouvelle lui a été annoncée par sa femme Marie-André qui, sous le coup de l’émotion, n’a pu s’empêcher de l’appeler.
"Je ne sais pas ce qu’il faut penser d’une telle situation, je n’ai aucune certitude sur l’avenir de ce pays. C’est terrible qu’on assassine des valeurs comme Latour", a déclaré au bord des larmes Frankétienne dans une interview exclusive à Radio Kiskeya. Le célèbre écrivain haïtien s’est gravement interrogé sur "l’utilité de ses œuvres et de celles d’autres créateurs face à la puissance d’une arme à feu entre les mains d’un bandit" capable d’engendrer les pires barbaries.
Rappelant les études très avancées en art dramatique qu’avait suivies le disparu en France, il l’a présenté comme son "initiateur au théâtre" et le principal artisan de sa popularité actuelle. Les succès de "Pèlen Tèt" (la tête prise au piège), notamment auprès de jeunes gens issus de couches sociales modestes, ont, en effet, valu à Frankétienne une énorme reconnaissance au-delà des frontières du monde théâtral.
A la mort de Franck Foucher, un important auteur dramatique haïtien tué dans un accident au Canada, François Latour s’était donné pour mission de porter l’autre Franck à assurer la relève afin d’empêcher "la disparition du théâtre en Haïti".
Frankétienne met en relief les performances et l’intelligence remarquables de l’homme de théâtre qui avait le secret de la "mise en scène à la fois sobre et éclatée". Il avait réalisé le tour de force de mettre en scène et d’interpréter des pièces aussi difficiles que "L’exception et la règle" et "La somme et la différence" de Berthold Brecht.
Vers les années 1959-1960, François, Franck et Gérard Etienne, un écrivain haïtien vivant au Canada, animaient sur les ondes de Radio Port-au-Prince une émission dominicale très prisée consacrée à la poésie.
Frankétienne a tenu à rappeler sa récente réconciliation avec François Latour grâce à un ami commun, le comédien et journaliste Fritz Valescot. Après de longues années de brouille, nées de divergences profondes entr’autres sur le théâtre, les deux hommes recommençaient à se fréquenter avec assiduité.
Le cinéaste haïtien de renommée internationale Raoul Peck a, dans un hommage posthume intitulé "Les lâches", évoqué la grandeur, la verticalité, le patriotisme et la personnalité sublime de François Latour.
"Un acteur inégalable, si rarement utilisé, trop grand pour notre pays qui n’a su qu’en faire. Un homme, souvent déçu et blessé, fuyant amateurisme, médiocrité, et plus que tout la malveillance. Un homme grand, droit, sincère, entier, modeste, drôle, généreux. Un homme seul aussi, sans place pour ceux comme lui", écrit Raoul Peck dans ce texte envoyé à Radio Kiskeya.
En réaction à l’exécution du comédien, l’écrivain et historien Michel Soukar a dénoncé "une Haïti mangeuse d’hommes" qu’il attribue à la politique criminelle menée à la tête de l’Etat au cours de ces dernières années.
"Un François Latour ne naît pas tous les jours", a poursuivi Soukar qui se souvient des années de sa jeunesse lorsqu’il rencontrait régulièrement le défunt chez le dramaturge Robert Bauduy, en compagnie des acteurs Roland Dorfeuille dit "Pyram" et Fritz Valescot alias "Pitit Fèy".
Qualifiant d’inaceptable l’insécurité chronique qui sévit en Haïti, l’historien a mis en garde contre les conséquences néfastes que l’assassinat de François Latour pourraient avoir sur l’économie nationale qui était sur le pont d’amorcer une timide reprise.
Pour sa part, Fritz Valescot, ami personnel et compagnon de scène de M. Latour, révèle que la victime était quotidiennement confrontée à l’insécurité économique et n’a possédé qu’une seule fois dans sa vie un véhicule neuf. Ces derniers temps, il devait constamment lever les pannes à répétition de son Isuzu Trooper déglinguée.
Valescot, qui était l’invité de l’émission "Pale Pou n Vanse" à diffuser dimanche sur Radio Kiskeya, se console à l’idée que François Latour est mort debout malgré la volonté des assassins de lui enlever sa dignité en l’humiliant. Même ses souliers ont été volés.
L’historien et ancien ministre de l’éducation nationale, Pierre Buteau, avoue ne pas comprendre un crime aussi gratuit qui a emporté l’une des grandes figures du théâtre haïtien. Il affirme que la résurgence du cycle infernal de la violence, qui a récemment fait d’autres victimes dont l’architecte Nadim Hyppolite William, le responsable de média et enseignant Alix Joseph et deux policiers, risque d’anéantir tous les efforts déployés depuis un certain temps en vue d’une normalisation de la situation du pays.
Pierre Buteau rend hommage à François Latour comme celui qui a appris sa génération à apprécier le théâtre et qui concevait "des messages publicitaires dont le langage était porteur d’une grande théâtralité".
Le responsable du Centre œcuménique des droits humains, Jean-Claude Bajeux, également écrivain, a indiqué s’être réveillé mercredi "dans la colère et l’indignation" en apprenant qu’un homme aussi talentueux avait été exécuté par des bandits. "Il semble qu’il n’y a pas de vaccin contre cette maladie qui frappe Haïti" s’est exclamé avec désespoir Bajeux qui explique s’être vu contraint de limiter ses activités personnelles en raison de l’insécurité.
Le défenseur des droits humains en a profité pour dénoncer l’émergence des gangs sous l’ancien gouvernement de Jean-Bertrand Aristide. Ils seraient à l’origine de la majorité des 2 à 3.000 assassinats enregistrés en Haïti au cours des trois dernières années.
Le bâtonnier par intérim de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince, Me Gérard Gourgue, a qualifié François Latour de "grand citoyen". Il a fait remarquer que sa fin tragique est arrivée au moment où le Président René Préval dansait mardi soir au Palais National.
"Il faut que la bête de l’insécurité meure", a martelé l’éminent juriste qui appelle les habitants de Port-au-Prince à se réveiller comme l’ont fait ceux des Gonaïves après l’assasinat d’Alix Joseph. Me Gourgue s’est moqué des propos de responsables d’Etat et diplomates proclamant la fin de l’insécurité à Port-au-Prince alors que les infrastructures des bandes armées restent opérationnelles. Il estime qu’un corps de 15 à 20.000 hommes devrait assurer la sécurité publique à la capitale.
La Primature et le ministère de la culture ont également condamné le meurtre de l’artiste en soulignant que cet acte a "plongé la Présidence et le gouvernement dans la consternation et l’indignation". Ils saluent le départ d’un "fils du pays aux talents multiples et d’une grande générosité".
Une minute de recueillement à la mémoire de M. Latour a été observée mercredi au stade Sylvio Cator lors du match international amical Haïti-Chili auquel assistait le Président René Préval.
Le Théâtre National d’Haïti, où Latour travailla dans le temps, a particulièrement rappelé la contribution du disparu à la vie théâtrale et la longue liste de pièces qu’il avait créées.
Les Députés Steven Benoît et Accluche Louis-Jeune de même que le PDG de la station privée Radio Ibo, Hérold Jean-François et le rédacteur en chef de Radio Vision 2000, une autre station privée, Valéry Numa, ont fermement réprouvé ce crime abominable. Ils réclament des autorités des mesures urgentes visant à stopper la recrudescence des activités criminelles.
Jeudi, les stations de radio continuaient à diffuser à profusion les spots publicitaires du créateur avec un accent d’hommage qui rencontrait les exigences commerciales des commanditaires
Kidnappé mardi en début de soirée par des inconnus armés au moment où il regagnait sa résidence à Delmas 31 (nord de Port-au-Prince), l’illustre comédien a été tué d’une balle au ventre. Son cadavre a été découvert en caleçon près des magasins Bâtimat (entrée nord) mercredi aux premières heures.
Les ravisseurs exigeaient une rançon de 100.000 dollars américains.
Né vers la fin de 1943, François Latour était un metteur en scène, acteur, diseur, homme de radio et publicitaire de haut vol. spp/RK

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