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mercredi 4 mars 2020

La petite industrie du Fresco résiste malgré la situation d’Haïti

Pour beaucoup d’Haïtiens, déguster un fresco sous un soleil de plomb est un vrai régal. Coup de projecteur sur cette industrie et surtout sur la préparation du sirop de cette boisson rafraîchissante
Si vous fréquentez la rue Marguerite en début d’après-midi, vous verrez sûrement Daniel Anilis qui vend son fresco devant le Collège Roger Anglade.

C’est un homme de 35 ans qui porte un tablier bleu marin. Appuyé contre le mur du collège, il attend ses clients qui peuvent venir de tous les coins du carrefour où défilent voitures et piétons.
Anilis arrange avec soin le vieux plastique qui couvre la glace dans sa brouette faite de bois. Il touche d’un air maniaque les bouchons de grosses bouteilles d’eau usagées qu’il réutilise pour stocker différentes saveurs de sirop. Ces bouteilles et quelques gobelets couronnent le morceau de glace installé dans la brouette en bois du vendeur. Anilis n’offre pas de paille aux acheteurs. Mais il a quelques sachets d’arachides grillés pour le bonheur des clients qui aiment savourer leur fresco avec un goût de mamba. L’homme ne se souvient pas exactement de la date où il a débuté sa petite production, mais il dit : « Je fais le fresco depuis très jeune quand j’ai arrêté l’école. »

Sa brouette a une couche de peinture fraîche, il l’a fait confectionner en septembre 2019. « J’ai payé 3500 gourdes à un ébéniste pour l’obtenir. J’ai ainsi passé pas mal de brouettes. Je n’ai rien encore écrit sur celle-ci, dit-il en admirant son meuble. Mais je crois bien que j’écrirai dessus un proverbe du genre “pawòl pa tach” ou “imilyasyon pa lanfè” parce qu’il y a des gens qui me dénigrent quand ils me voient ici », continue-t-il l’air préoccupé.

Anilis ne reste pas stationné devant une seule école, il va offrir son fresco dans d’autres établissements grâce à sa pièce artisanale roulante.

Comme Daniel Anilis, Marcel, un autre vendeur de fresco, laisse sa maison tous les matins pour aller servir ses clients. Il travaille devant le collège Saint Louis de Bourdon. « Je suis devant cette école depuis sous la présidence de Jean Claude Duvalier. J’ai vendu du fresco à des élèves qui aujourd’hui sont devenus parents. Leurs enfants sont maintenant mes clients. Mon seul regret c’est que la vente du fresco ne me rapporte plus autant qu’avant parce que tous les prix des produits ont augmenté. La marmite de sucre blanc (de 5 livres) se vend actuellement à 250 gourdes. Un gobelet de fresco qui autrefois se vendait à cinq gourdes coûte de nos jours 15 gourdes au minimum. »
Marcel a les cheveux grisonnants et le dos légèrement bossu. Il est connu de tous les autres vendeurs qui se sont installés devant l’école. En fin d’après-midi, tous le saluent avant de partir. Sa brouette et celle de Daniel Anilis, le vendeur de la rue Marguerite se ressemblent beaucoup.
Le fresco récupéré par des entreprises
À quelques mètres de Daniel Anilis se trouve Lily’s fresko à l’Avenue Jean Paul II. Deux jeunes hommes reçoivent les clients dans une véranda où le menu est clairement indiqué. La patente de l’entreprise frappe aux yeux des visiteurs. Des gobelets de toutes les dimensions et des pailles de toutes les couleurs sont exposés. Il y a dans le salon de l’entreprise des photographies de clients satisfaits affichées sur le mur.
Jacqueline Banks est la propriétaire de Lily’s. Avant d’être le nom de son restaurant « Lily » est le sobriquet de Jacqueline. « Depuis 2007, je sers le fresco ici. Après avoir travaillé dans le notariat pendant 21 ans aux côtés de mon mari, j’ai voulu m’investir dans une entreprise qui me serait propre. J’ai suivi des formations, je me suis lancée et j’ai réussi. Maintenant, j’offre d’autres produits à part le fresco », explique la dame, très sûre d’elle.

Vers les trois heures de l’après-midi à Lily’s, on peut observer une vraie mosaïque d’uniformes tant il y a des écoliers qui fréquentent le lieu. Un des clients n’a pas caché sa satisfaction pour le service. « Je viens ici très souvent avec mes amis », se réjouit-il.
Jacqueline Banks ne se déplace pas comme Daniel Anilis et Marcel. Elle n’a pas non plus de distributeurs dans les rues. Elle sert ses clients exclusivement dans ses locaux. En revanche, Banks vend son sirop à qui veut l’acheter.
La préparation du sirop de fresco
« C’est moi qui prépare mon sirop, dit Daniel Anilis. Je fais bouillir de l’eau et du sucre blanc jusqu’à ce que ce composé devienne un vrai sirop. Puis, j’ajoute la saveur voulue. Pour le grenadia par exemple, je mélange le jus du fruit avec du sucre, ensuite je l’ajoute au sirop de sucre préalablement préparé. Pour obtenir le sirop de coco, je râpe la noix, et je fais de même », avance celui qui avoue que le sirop de coco coûte plus cher que les autres saveurs. Ce sirop peut être conservé pendant des jours. Alors que les autres se gâtent seulement au bout de 48 heures, selon Anilis.
Il y a ensuite l’anisette que l’on appelle couramment le sirop blanc qu’il prépare avec de la cannelle et du sirop de sucre. Généralement, l’anisette se compose avec de l’alcool mais le vendeur précise qu’il n’y a pas d’alcool dans son sirop. « Je n’utilise pas non plus de produits pharmaceutiques, tous mes sirops sont naturels », explique-t-il. Tous les soirs, Daniel Anilis fait bouillir son sirop de sucre et ajoute le mélange de fruits le matin avant de sortir sauf pour la saveur de coco. Comme il habite sur la route de Bois Verna, le trentenaire raconte que le trajet vers son point de vente n’est pas très long.
Si Anilis n’a que trois saveurs, Banks en a une dizaine notamment la grenadine, la fraise, le raisin et le citron dont elle achète les extraits en pharmacie ici ou à l’étranger. Comme pour le vendeur ambulant, la base des saveurs de Jacqueline Banks est le sirop de sucre bouilli, sauf qu’elle y ajoute d’autres ingrédients tels l’essence, l’anis étoilé et la cannelle. « Je mets parfois même du rhum et du gingembre pour la saveur de grenadia que les hommes aiment tant. Mais je les avertis toujours que le sirop ne réveille pas les morts », dit la dame d’un ton ironique, faisant allusion aux vertus aphrodisiaques attribuées au fruit de la passion.
Marcel, vendeur de fresco devant le collège Saint-Louis de Bourdon prépare ses sirops un peu comme Anilis et Banks. En effet, il fait bouillir son sirop de sucre blanc et il utilise aussi des extraits pour certaines saveurs telle la grenadine.
Jacqueline Banks de Lily’s servant un client. 
Photo : Frantz Cinéus / Ayibopost
D’autres saveurs exotiques
Depuis trois ans, Fresco Rico, une entreprise gérée par un groupe d’étudiants de l’Université INUKA offre à leurs clients des saveurs non connues des amateurs de fresco. « Nous avons un mélange de tamarin et de kalalou Gonbo pour les clients qui ont des problèmes au niveau de la prostate. Nous avons aussi des sirops de citron et de carotte. Pour notre sirop de base, au lieu du sucre blanc, nous préférons le sirop de canne à sucre. Ce sont des saveurs issues des fruits du pays », avance Pierre Ulrick, président et directeur général de Fresco Rico.
Pierre Ulrick dit qu’il entend promouvoir un goût du terroir, c’est pourquoi l’entreprise qu’il dirige n’utilise pas de colorants ni d’extraits de fruits vendus en pharmacie. « Ce choix pourrait nous coûter beaucoup, mais nous avons une petite équipe qui réunit des originaires de presque tous les départements du pays. Nous nous organisons mutuellement pour trouver facilement les intrants », continue le PDG de Fresco Rico. Il mentionne que son entreprise dispose d’une vingtaine d’employés qui distribuent le fresco dans les écoles classiques et professionnelles.
Concurrence entre les différents producteurs
Les producteurs de fresco rencontrés pour cet article pensent qu’il ne saurait exister de concurrence entre eux. Pour Jacqueline Banks, le fresco de Lily’s est le meilleur. « Mon fresco ne peut avoir la même saveur que celui des rues. Déjà, ma préparation est plus saine. Dans la rue, les conditions hygiéniques ne s’y prêtent pas, la main qui prépare le fresco est celle qui reçoit l’argent. Vous n’allez pas voir de mouches devant mes gobelets. Là où les vendeurs de rues ont des râpes, j’ai une machine à briser la glace. J’ai des bouchons verseurs pour distribuer le sirop et aussi des capuchons pour couvrir les bouteilles de sirop. C’est tout autre chose », dit-elle fièrement.
Quant à Daniel Anilis, il affirme que les nouveaux producteurs de fresco ne font qu’imiter ceux qui sont ambulants. « Ils ne peuvent nous égaler, renchérit-il. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux ont déjà abandonné en chemin. Nous sommes les premiers et les meilleurs. »
Marcel a le même point de vue que Daniel Anilis sur la question. Les deux balancent que les instigateurs des nouvelles initiatives de production de fresco viennent souvent les voir pour connaître leurs recettes.
Une information que Pierre Ulrick a confirmée. « En 2017, quand nous avons voulu lancer notre entreprise, nous sommes allés voir plusieurs vendeurs traditionnels. Mais ils ont toujours refusé de partager leur recette. Nous leur remercions aujourd’hui parce que sans leur formule, nous avons réussi à créer nos propres saveurs. »
Peu importe les recettes, les avantages concurrentiels et le marché cible des producteurs, ils sont unanimes à reconnaître que le fresco est une boisson rafraîchissante qui ne cesse de charmer les Haïtiens de génération en génération.
Auteure: Laura Louis
Source: https://ayibopost.com/la-petite-industrie-du-fresco-resiste-malgre-la-situation-dhaiti/

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