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mercredi 7 décembre 2011

Vous avez interviewé Tinan Leroy, auteur du livre «Magnitude 7.3»

VOS QUESTIONS - L'auteur a répondu à toutes vos questions sur son livre et l'adoption...

Comment comparez-vous votre expérience d'adoption qui sans doute a eu lieu dans un contexte très particulier et les vagues d'adoption qui se font après le séisme du 12 janvier en Haïti ou beaucoup d'enfants sont partis sans destination fixe et même sans régularisations? Comment voyez-vous les retombées de l'adoption internationale sur les enfants Haïtiens? (Jean S.P.)

Une partie des adoptions qui ont suivi le séisme sont encore une forme de trafic d’enfants parmi d’autres. Je me souviens du battage médiatique en décembre 2010 autour de ces 300 enfants adoptés en France. Les procédures avaient été accélérées pour qu’ils puissent arriver avant Noël. Ces enfants ont vécu un tremblement de terre, des inondations, une épidémie mais ce qu’on ne sait pas c’est que ce sont peut-être leurs parents adoptifs qui leur ont apporté le pire fléau : le déracinement. Croyez-vous que des cadeaux de Noël peuvent apaiser un enfant meurtri et déraciné ? N’aurait-il pas été plus judicieux de les adopter en été... ou de ne pas les adopter du tout ?

Existe-t-il un site permettant à une personne née à l’étranger de retrouver ses parents biologiques ? Si non à qui m’adresser? (Lionel45)
Je ne crois pas. Par contre, il existe des associations qui aident des particuliers à effectuer leurs démarches. Par exemple ehfa pour Haïti.
Y a-t-il des programmes alimentaires sérieux mis en place et une reforestation d’Haïti? (manuelaeris)
Beaucoup d’ONG travaillent sur des programmes alimentaires. Il faut espérer qu’elles sauront se coordonner et tenir compte des réels besoins et habitudes en Haïti, ce qui n’a pas toujours été le cas. Il me semble également primordial d’impliquer au maximum les Haïtiens dans ces programmes (il y a de nombreux agronomes qualifiés en Haïti qui ont un avis pertinent sur la question).
Quant à la “reforestation”, elle est à l’étude mais semble très compliquée car le niveau de vie des Haïtiens ne leur permet pas de penser à long terme. Or pour un agriculteur haïtien, le meilleur moyen de s’en sortir est de couper du bois car le charbon est la seule source d’énergie qui soit consommée massivement et facile à vendre, dans un pays où il est difficile de trouver de l’électricité. Comment faire comprendre à ces agriculteurs que, pour leur avenir, ils doivent cesser de couper du bois alors que s’ils s’exécutent, ils ne survivront peut-être pas un mois de plus ?!

Que sont devenus les autres enfants, avec lesquels tu es arrivé à Paris? Tu as des contacts avec eux? (FredAstien)
En 1984, 40 enfants (dont moi) ont disparu de l’établissement auquel leurs mamans les avaient confiés. Lors de mon premier retour en Haïti, en 2002, j’ai rencontré ces 40 mamans et je leur ai promis de rechercher leurs enfants une fois en France. Ce n’est pas chose facile car elles ne savent pas ce qu’ils sont devenus et ignorent même leurs prénoms français. De plus, la loi française protège les adoptions plénières et je n’ai pas le droit de contrevenir aux secrets familiaux. Je n’ai donc aucun contact avec ces enfants (maintenant adultes) mais l’une de mes missions est de les retrouver. La meilleure solution serait que ces personnes viennent à moi au lieu que je les cherche. Mon livre est donc une sorte d’appel à témoin.

Bonjour, j'ai acheté votre livre et je l'ai déjà lu. Je l'ai beaucoup apprécié. Cependant, vous dites que vous en voulez énormément à vos 2 mamans. Pourquoi? Sont-elles vraiment fautives? A vrai dire, je comprends votre position mais aussi celle de vos mamans. Peut-être vous aussi? (Maurianne)
Hors contexte, cette citation peut sembler brutale. Il faut comprendre qu’il y a en moi plusieurs personnalités. L’adulte européen et réfléchi que je suis comprend parfaitement les positions de mes deux mamans et n’a pas de mal à concevoir l’idée de l’adoption. Mais l’enfant Haïtien qui sommeille toujours en moi et qui n’a jamais accepté d’avoir été déraciné, lui, ne peut pas comprendre. Il sait que sa mère naturelle l’a abandonné, que ce soit volontaire ou pas n’a pas la moindre importance pour lui. Il sait que sa mère adoptive l’a déraciné et là encore, les bonnes intentions des adultes européens n’ont pas la moindre importance pour lui. Tout ce dont il avait besoin, c’était l’amour de sa maman haïtienne et on l’en a privé. Voila pourquoi il ne pourra probablement jamais pardonner.

Je me suis renseigné un peu sur votre histoire. J’ai une question. Ne concevez-vous pas que l'on puisse adopter simplement et seulement pour offrir un meilleur avenir à un enfant abandonné (donc censé être orphelin?)? (Maurianne)
Il faut savoir que la majorité des enfants abandonnés ne sont pas orphelins. Leurs parents les abandonnent par faute d’argent. Dans le cas d’un orphelin, il peut être préférable pour l’enfant d’avoir des parents étrangers plutôt que de n’avoir aucun parent. Mais dans tous les cas, si l’on veut vraiment rendre service à un enfant, il faut d’abord explorer toutes les solutions qui lui permettent de vivre mieux parmi les siens plutôt que de le déraciner.

Vous êtes né en Haiti et pourtant, vous avez grandi en France, avec une autre culture. Comment s'est passé ce retour dans la terre de vos racines? N'était-ce pas trop difficile, du fait que vous aviez vécu, tout simplement, dans un autre monde?
Mon premier retour en Haïti, en 2002, s’est globalement bien passé. Le contact brutal avec la pauvreté et le choc culturel ont été rudes mais j’ai en même temps retrouvé ma famille naturelle, ce qui était extrêmement bénéfique. Par la suite, je n’ai pas eu de mal à m’habituer aux conditions de vie, au climat, au manque de confort. Par contre, malgré de nombreux efforts, je n’ai toujours pas réussi à m’adapter aux mentalités haïtiennes. Je sais bien que ma culture soit différente de celle des Haïtiens mais là-bas, personne (à part mon grand frère) n’a fait l’effort de me comprendre ou de se mettre à ma place.

Actuellement, tu te sens plutôt Français ou Haïtien? (ou les deux)
J’ai éprouvé le besoin de chercher mes racines parce que je ne me sentais pas à ma place en France. Après plusieurs séjours en Haïti, je me suis aperçu que, même si j’avais retrouvé ma famille d’origine, je n’étais pas pour autant chez moi dans mon pays natal et que la culture haïtienne ne me correspondait pas. Aujourd’hui, je constate que je ne suis ni Français ni Haïtien, je suis perdu quelque part entre deux mondes ou sur une autre planète. J’ai surtout découvert que je ne pouvais pas retrouver mes racines et qu’il était extrêmement difficile d’en reconstruire d’autres à partir de rien. Pour me construire, je m’appuie sur mes valeurs intrinsèques, mon exigence, ma rigueur, mon envie de rendre service. Sans être un marginal, je n’ai pas l’impression d’appartenir à la société française ni à celle d’Haïti.

Y a-t-il vraiment une amélioration de la situation économique d’Haïti depuis l'éviction de "Baby Doc"? (manuelaeris)
Malheureusement non. Bébé Doc était un dictateur mais ses successeurs également. Haïti est le premier Etat noir à avoir obtenu son indépendance en 1804, sous Napoléon Bonaparte. Depuis, le pays vit une crise politique permanente et la France a participé à son isolement économique afin que cette impertinence serve d’exemple. Aujourd’hui, après des siècles d’errance politique et économique, pour qu’Haïti s’en sorte, une aide des grandes puissances est indispensable et sur le long terme. Il faudrait aussi que la France admette ses responsabilités envers Haïti et assume son devoir.

Avez-vous suivi l'affaire de l'arche de Zoé? (En 2007, les membres de cette association s'apprêtaient à embarquer 103 enfants dans un avion affrété pour les amener en France). Qu'en avez vous pensé? (Irina75)
C’est malheureusement un exemple parmi tant d’autres de trafic d’enfants. Cette affaire était spectaculaire et a fait beaucoup de bruit mais le trafic d’enfants est une réalité très répandue dans le monde de l’adoption internationale, souvent sous des formes beaucoup plus discrètes. Pour ne citer qu’un autre exemple, ma propre adoption ! Ma famille française pensait m’avoir adopté dans les règles mais en Haïti, la réalité était tout autre. Ma mère biologique n’a jamais voulu que je sois adopté. En Haïti, j’ai été kidnappé comme 40 enfants le même jour que moi, comme beaucoup d’autres enfants encore aujourd’hui.

Félicitation au danseur hors pair que tu es, de t'intéresser à ce genre d'action. Bravo aussi à ceux qui prennent à cœur de donner un peu de bonheur à ces enfants. Questions : sur quels critères sont choisis les enfants destinés à l’adoption? (manuelaeris)
Merci. Etre adoptable pour enfant, cela signifie que des vérifications ont été faites pour s’assurer que les parents biologiques sont consentants et qu’il bénéficie d’un suivi médical ou autres soins obligatoires par exemple dans un établissement agréé. La convention de La Haye est censée éviter les abus et les trafics mais sur le terrain, c’est parfois compliqué de tout vérifier, surtout dans un pays comme Haïti ou la convention vient tout juste d’être ratifiée.

Quand avez-vous commencé à vous poser des questions sur vos origines, votre vous-même? (JPCastel)
Ces questions sont venues progressivement au cours de mon adolescence jusqu’à ce que j’éprouve le besoin impératif de trouver des réponses, vers 20 ans. Si je n’avais pas réussi à retrouver mes racines, je ne sais pas si j’aurais pu continuer à vivre.

Bonjour, vous souvenez-vous de votre arrivée en France, de la rencontre avec votre mère adoptive comment cela s'est-il passé? (Hervetull)
J’ai beaucoup de souvenirs d’enfance et celui-là est l’un des plus marquants que je décris d’ailleurs dans mon récit. Ce qui m’a le plus marqué c’est le dépaysement brutal, le changement de lieu, de repères, de météo, l’architecture, la couleur des gens... J’étais un peu perdu et je ne comprenais pas exactement ce qui m’arrivait. J’avais juste l’impression que je ne reverrais plus ma mère haïtienne.

Pourquoi avoir écrit ce livre? Est-ce que tu penses qu'il peut aider des personnes qui sont dans la même situation? (FredAstien)
Au départ, je voulais juste coucher par écrit des étapes importantes de ma vie. Puis je me suis rendu compte que mon histoire pouvait être utile. Tout d’abord parce qu’elle apporte un regard juste sur Haïti, à la fois un point de vue européen et Haïtien. Ensuite parce les témoignages d’enfants adoptés sont plutôt rares et beaucoup de gens souhaitent retrouver leurs racines mais n’y parviennent pas. J’aimerais beaucoup pouvoir aider tout ces gens.

Conscient que mon histoire suscite de nombreuses questions, je vous invite à me retrouver sur mon site http://www.tinan.fr/
N’hésitez pas à me poser d’autres questions.

Présentation du chat:
29 mai 1984, Tinan Leroy a quatre ans et demi. Son avion vient de se poser à l’aéroport de Roissy en provenance de Port-au-Prince. Un groupe d’une quarantaine d’enfants sort de l’avion. Parmi eux, Manassé, aussi déboussolé que les autres, ne sait pas où il est et ce qu’il fait. Soudain, une jeune femme arrive et le prend dans ses bras, il vient d'être adopté.
En 2002, dix-huit ans après l'avoir quitté, Tinan retourne en Haiti. Il va y découvrir une autre culture, et sa famille biologique. Mais comment vivre entre deux cultures, deux terres, deux mondes que tout oppose? A travers ce récit autobiographique, récit d'un séisme intérieur, Tinan Leroy aborde le sujet d’Haïti et les problématiques de l’adoption. Au bout, sa réponse à la question: appartient-on à un pays, ou à soi-même?
http://www.20minutes.fr/vousinterviewez/836724-interviewe-tinan-leroy-auteur-livre-magnitude-73

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