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mercredi 8 juin 2011

Le blues des Haïtiens de Dakar

Après le séisme qui a secoué Haïti en janvier 2010, 163 étudiants ont bénéficié d’une bourse pour poursuivre leurs études au Sénégal. Mais l'intégration laisse à désirer.


Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Une dizaine d’étudiants est en train de discuter dans une langue autre que le wolof (langue la plus parlée au Sénégal). Renseignement pris, ils sont tous Haïtiens et discutent en créole. Après la catastrophe naturelle qui a frappé le pays de Toussaint Louverture le 12 janvier 2010, le président Abdoulaye Wade a accordé des bourses d’études à 163 étudiants de l'île caraïbe. Arrivés au Sénégal en octobre 2010, ils ont été orientés dans plusieurs universités: Cheikh Anta Diop de Dakar, Gaston Berger de Saint-Louis, Université de Ziguinchor, Université de Bambey et Université de Thiès. Le tremblement de terre d’une magnitude de 7 à 7,3 aurait tué plus de 200.000 personnes, dont 4.000 étudiants.

Magloire (*), étudiant dans un institut dakarois, se dit satisfait de sa nouvelle vie même si son pays lui manque. Pour lui, son voyage en Afrique est un retour aux sources, parce que, dit-il, ses ancêtres ont été arrachés au continent noir.
«A Gorée, j’ai versé des larmes de tristesse. C’était très émouvant de voir la porte du voyage sans retour. Je l’ai franchie en portant un tee-shirt sur lequel on a mentionné la Porte du retour», dit-il, très ému.
Comme Magloire, Juvenal apprécie son séjour en terre sénégalaise. «Je me suis bien intégré. J’ai de nombreux amis sénégalais. Je remercie le président Wade de nous avoir permis de poursuivre nos études au moment où tout s’est écroulé», dit le jeune homme.

Une entraide pas toujours acceptée
Magloire habite avec 44 de ses camarades dans un immeuble appartenant à l’Etat du Sénégal. Situé dans le quartier résidentiel du Point E à deux pas de l’université de Dakar, le bâtiment à trois étages est un vrai palace comparé aux pavillons délabrés du campus social de l’université de Dakar. Logés dans de grands appartements de trois chambres meublées avec goût, ces 45 étudiants sont beaucoup plus chanceux que leurs camarades du campus. Ce qui ne manque pas de susciter quelques fois des grincements de dents de la part des étudiants sénégalais.
Amadou Lamine Diongue, président de l’Amicale de la Faculté des sciences et techniques, avait rué dans les brancards peu après leur arrivée:
«Il est absurde que nos frères traînent à la place de ces Haïtiens. L’Université souffre d’une capacité d’accueil insuffisante (5.000 lits pour 50.000 étudiants). Nous n’allons pas sacrifier les étudiants sénégalais au profit des étudiants haïtiens. Nous n’acceptons pas que pour satisfaire une volonté politique, ces Haïtiens prennent la place de nos frères sénégalais.»
Pape Diop, un jeune marchand ambulant, partage l’avis de Diongue. Pour lui, avant d’aider les Haïtiens, Wade devait penser à régler les problèmes des Sénégalais: «Comment peut-il jouer les bons samaritains pour les Haïtiens au moment où son peuple souffre. Ce ne sont pas les Haïtiens qui vont le réélire en 2012.»
Face au flot de questions qui leur semblent gênants, les jeunes étudiants haïtiens s’emmurent dans un silence assourdissant. Il n’est pas facile pour eux de parler à la presse. Le cabinet du ministre-conseiller Lamine Ba, chargé des Affaires internationales et humanitaires au cabinet du président de la République, veille au grain. Les boursiers n’ont visiblement pas le droit de parler à la presse de leurs difficultés. Une interdiction qui semble être motivée par une volonté d’encadrer leur communication.
Dans l’immeuble où logent 45 étudiants haïtiens avec cinq étudiants sénégalais, le mutisme est apparemment la règle. «Avez-vous eu l’aval du cabinet de M. Lamine Ba? On nous a interdit de parler aux journalistes sans la présence d’un membre du cabinet», nous souffle l’un d’entre eux.
Il est vrai qu’un peu après leur arrivée au Sénégal, la presse a multiplié les articles les décrivant comme incapables de s’adapter à la culture sénégalaise.
«Un journal avait écrit que les Haïtiens ont du mal à manger les plats sénégalais et qu’ils ne pouvaient pas utiliser les toilettes de l’université. Des informations sans fondement qui font que le ministre a donné des instructions pour éviter ce genre d’incident», ajoute la même source.

Wade, le bienfaiteur
«Son excellence Me Abdoulaye Wade, le génie que possède le Sénégal.» Ce commentaire accompagnant une photo, postée sur Facebook et montrant le Président sénégalais en compagnie d’étudiants haïtiens, en dit long sur la fascination qu’exerce Abdoulaye Wade sur les étudiants haïtiens. Rosalie considère Wade comme le sauveur de toute une génération d’étudiants haïtiens.
«Nous étions désœuvrés. On n’avait plus de perspective après le tremblement de terre. Les universités étaient détruites. Quand on a appris que le Sénégal voulait nous accueillir, on priait tout le temps pour faire partie des sélectionnés. Il y a eu 2.050 demandes et 163 étudiants ont été choisis. Le président Wade est un homme généreux qui occupe une place importante dans nos prières», témoigne la jeune femme.
Pour Vladimir, cette bourse d’études accordée par les autorités sénégalaises est, d’une certaine manière, une renaissance.
«C’est une grande chance pour nous. A Haïti, tout est à reconstruire. Nous n’entrevoyions pas d’avenir dans ces conditions. Avec la bourse, nous avons une opportunité de poursuivre nos études dans de bonnes conditions», souligne-t-il.
Malgré ces éloges, certains d’entre eux trouvent insuffisant le montant de la bourse d’études de 36.000 francs CFA (55 euros) qui leur est allouée. Sous couvert de l’anonymat, un étudiant se plaint des conditions difficiles:
«Nous sommes certes redevables au président Wade et à l’Etat du Sénégal mais c’est très dur pour ceux d’entre nous qui ont perdu leurs parents dans le séisme. Ils ne reçoivent pas de soutien financier et la bourse semble dérisoire face à leurs besoins.»
Autre source d’inquiétude, le manque de suivi médical pour certains étudiants dont l’état de santé mentale laisse à désirer. Avec le choc du séisme, certains étudiants souffrent de troubles post-traumatiques. Ils ont besoin d’être assistés mais rien ne semble être fait dans ce sens.
(*) Les noms utilisés dans cet article sont des noms d’emprunt
Ndèye Khady LO
http://www.slateafrique.com/2475/blues-des-haitiens-sur-campus-senegalais

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